Lettre ouverte des syndicalistes Iraniens emprisonnés
Catégorie : Global
Thèmes : Antifascismechômage & précaritésans frontières
Lieux : Iran
Lettre ouverte Reza Shahabi, chauffeur de bus en Iran, et membre du Conseil d’administration du Syndicat des travailleurs/euses de la compagnie de bus de Téhéran et sa banlieue (VAHED) Message aux syndicalistes indépendant.es des gouvernements et des employeurs, présent.es à la conférence 2023 de l’Organisation internationale du travail 1 juin 2023
Message en français
Je vous salue chaleureusement
Je suis Reza Shahabi, chauffeur de bus en Iran, et membre du Conseil d’administration du Syndicat des travailleurs/euses de la compagnie de bus de Téhéran et sa banlieue (VAHED). Je vous adresse mes salutations de derrière les murs et les barreaux de la prison d’Evin.
Depuis 2004, c’est-à-dire depuis la reprise d’activité de notre syndicat, mes collègues et moi-même avons été arrêté.es, licencié.es, emprisonné.es et torturé.es à de nombreuses reprises. De 2010 à 2017, je suis allé en prison pour avoir revendiqué des droits, et lutté pour une vie humaine et digne. Et cela, suite à des accusations mensongères. En prison, j’ai subi une opération au cou et au dos, à cause des coups et de la torture.
En mai 2022, la répression s’est abattue contre des militant-es en raison de :
leurs activités syndicales,
leur lutte pour les droits des salarié.es,
leurs protestations contre le niveau misérable des salaires, ainsi que pour l’accès des salarié.es aux moyens de subsistance, au logement, au soins de santé, à l’enseignement …
des rencontres et échanges de vues après la fête internationale du travail de 2022, entre d’une part deux syndicalistes enseignants français.es, et d’autre part des iranien.es (syndicalistes, retraité.es, écrivain.es, femmes, étudiant.es …).
Comme par le passé, nous avons dû faire face à des faux témoignages, ainsi que d’accusations fictives et mensongères.
Actuellement des militant.es sont soit en prison, soit en attente de condamnation :
Reza Shahabi, Dawood Razavi, Hassan Saeedi du Syndicat des travailleurs/euses de la compagnie de bus de Téhéran et sa banlieue,
Keyvan Mohtadi et Anisha Asdolahi, enseignant.es d’anglais et traducteur/trices du Syndicat du syndicat VAHED,
Reyhane Ansarinejad, militante syndicale,
Jaleh Roohzad, enseignante militante à la retraite,
Rasool Bodaghi, Jafar Ebrahimi, Mohammad Habibi, Masoud Nikkhah, Eskander Lotfi, Sha’ban Mohammadi, membres de syndicats de l’enseignement,
ainsi qu’un certain nombre de sympathisant.es et d’enfants de salarié.es.
De plus, alors que nous sommes en prison depuis plus d’un an, de nouvelles accusations ont été portées contre Hassan Saeidi, Keyvan Mohtadi et moi-même le 29 mai 2023.
Camarades et cher.es collègues,
Depuis sa mise en place, le régime au pouvoir dans notre pays a eu recours à une répression ouverte et brutale contre l’ensemble du monde du travail.
Sa première mesure envers celui-ci a été de supprimer de la législation les notions de syndicat et d’organisation syndicale indépendante. Il les a remplacés par des organisations inféodées à l’Etat telles que la Maison des Travailleurs, le Conseil islamique du Travail, et l’Assemblée des Représentant.es des Travailleurs/euses.
Tous ces organismes opèrent sous la supervision et la direction du gouvernement. Ils agissent comme une police secrète au sein des usines et les ateliers, et font en sorte que les protestations des travailleurs/euses ne soient pas entendues.
Ils identifient les travailleurs/euses qui manifestent et les signalent aux forces de sécurité ou à la direction. Par exemple en province, dans le secteur des autobus, les Conseils du travail islamiques ont dénoncé aux institutions régionales sécuritaires les chauffeurs participant à des manifestations.
Sur ordre des forces de sécurité, iIs dénoncent également, aux soi-disant “Comités de Discipline du Travail”, les travailleurs/euses protestataire revendiquant leurs droits et qui manifestent. Ces salarié.es sont ensuite congédié.es sur ordre des autorités sécuritaires, comme chez nous à la Compagnie de bus de Téhéran et sa banlieue.
Nous faisons nous-mêmes partie des travailleurs/euses ainsi licencié.es. Nous avons été licencié.es, arrêté.es et emprisonné.es par les forces de sécurité. D’une part pour avoir organisé un syndicat indépendant, conformément aux conventions 87 et 98 de l’OIT. D’autre part en raison de nos revendications pour une vie juste, la mise en œuvre des nouvelles classifications et grilles de salaires, une juste reconnaissnce de la pénibilité des postes de travail, etc. Nous avons été licencié.es sur la base de rapports mensongers de membres du Conseil Islamique du Travail et de la Maison des travailleurs. Et maintenant nous sommes à nouveau emprisonné.es pour les mêmes raisons.
Cher.es ami.es,
De soi-disant syndicalistes iranien.nes assistent également à votre conférence. Ils/elles ne sont pas les représentant.es légitimes des travailleurs/euses d’Iran. Ils/elles n’ont en effet pas été choisies dans le cadre d’un processus démocratique sans ingérence des forces de sécurité et des employeurs, mais sous la crainte d’être licencié.es par la direction. Ces personnes n’ont pas été élues, ou alors ce vote était fictif.
Ces soit-disant syndicalistes font tout ce que l’employeur et le gouvernement leur demandent. Et cela uniquement dans leur propre intérêt et pour profiter de privilèges et de facilités mises à leur disposition par le pouvoir.
Ils/elles n’ont jamais été du côté des travailleurs/euses, au contraire, ils/elles ont agi en permanence contre leurs intérêts. Ce n’est un secret pour personne qu’ils/elles sont un instrument entre les mains des employeurs et de l’appareil de sécurité du gouvernement. Ils/elles constituent une « machine à signature » pour confirmer les licenciements et justifier des procédures judiciaires répressives contre les militant.es de la classe ouvrière. La douleur des travailleurs/euses d’Iran est grande et dépasse l’entendement.
Chers collègues, notre message final, est le suivant :
Le pouvoir iranien signe des conventions et pactes internationaux de l’OIT, y compris des conventions fondamentales qui lient tous les États membres.
Non seulement il ne les applique pas, mais il met en place des conditions plus dures et plus inhumaines pour l’ensemble des salarié.es, hommes et femmes, dans tous les ateliers, écoles, hôpitaux, sociétés d’intérim et entreprises du secteur privé.
De plus, la politique spéculative et rentière du pouvoir a créé une inflation galopante entraînant un faible pouvoir d’achat des salarié.es. Et même lorsqu’il/elle a un emploi, le/la salarié.e ne peut pas pas payer certaines dépenses mensuelles telles que son loyer. De plus, en cas de protestation, la peur d’être licencié.e, emprisonné.e et fouetté.e s’ajoute à ces conditions inhumaines.
Non seulement les travailleurs/euses n’ont pas voix au chapitre dans les sommets mondiaux concernant le salariat, mais ils/constatent que des positions importantes dans ces institutions sont occupées par les responsables mêmes de leur vie misérable.
Le pouvoir n’autorise pas la formation de syndicats et d’organisations indépendantes. Il fait du droit de grève un crime contre la sécurité d’Etat. Il n’autorise pas l’élection de représentant.es des salarié.es dans un cadre démocratique. Chaque fois que la voix de la protestation ouvrière s’élève, il répond par des licenciements, des emprisonnements, le fouet et la torture.
Ce même appareil sécuritaire envoie ses propres représentant.es, étiquetté.es comme syndicalistes, dans les forums internationaux, y compris les réunions de l’OIT.
Est-il possible pour la même personne de rester secrétaire général de la “Maison des travailleurs” pendant près de trois décennies, et en même temps d’être député pendant 6 mandats. Et cela alors que l’existence de filtres électoraux rigides et sélectifs est connu de tous/toutes ? Et pendant tout ce temps, le Parlement a pris d’innombrables décisions contre les travailleurs/euses.
Qu’en est-il des membres de la Maison des travailleurs et des Conseils islamiques qui ont joué un rôle direct dans la répression de l’assemblée générale du personnel de la compagnie d’autobus de Téhéran ?
Ils considèrent que servir le pouvoir constitue pour eux un honneur et un devoir. Mais comment est-il possible de prétendre qu’ils/elles peuvent être simultanément représentant.es des travailleurs/euses d’Iran ? Comment peut-on faire confiance à ces personnes qui auraient été pressentie.es pour être élu.es au Conseil d’Administration de l’OIT, ses comités ou groupes de travail ?
Je demande à chaque syndicaliste indépendant.e présent.e au sommet de l’OIT de prendre en compte les demandes des travailleurs/euses opprimé.es et démuni.es d’Iran, qui tentent de survivre dans des conditions inégalitaires avec des possibilités minimales pour agir.
Au cours de la période récente, le monde a clairement été témoin des événements dramatiques concernant l’oppression, l’exploitation et l’utilisation d’une violence infinie contre les travailleurs/euses, les jeunes, les femmes et les minorités de ce pays. Des accusations répétées ont été lancées contre nous, telles que celle d’atteinte à la sécurité de l’Etat ou d’autres accusations mensongères. Il n’est pas possible de laver les mains sanglantes de ces personnes.
Nous vous demandons de vous tenir aux côtés des travailleurs/euses d’Iran :
De ne pas accepter la présence de ces agents de la sécurité d’Etat qui ont été envoyé.es à l’assemblée de l’OIT en tant que représentant.es des travailleurs/euses d’Iran et qui auraient été pressenties pour y occuper des places au sein du Conseil d’administration, ses comités ou groupes de travail,
D’exiger leur départ,
De demander également ouvertement la libération de toutes et tous les travailleurs/euses et syndicalistes emprisonné.es,
D’exiger la pleine mise en œuvre des conventions de l’Organisation internationale du travail, notamment en ce qui concerne le droit de grève, d’organisation, de négociation collective et de liberté d’association .
En solidarité,
Reza Shahabi, depuis la Prison d’Evin, Téhéran
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