Petit tour d’horizon sur la mobilisation
Catégorie : Global
Thèmes : Retraites 2023
Lieux : France
À l’appel de l’intersyndicale nationale, on dénombre déjà 5 grosses journées de mobilisation, quatre en semaine (19/01, 31/01, 07/02 et 16/02) et une le samedi (11/02).
Des manifestations massives, mais pas explosives
Une même impression se dégage de ces 5 journées, c’est le côté massif des manifestations bien rangées. En nombre, au niveau national, elles restent constantes au cours des différentes manifs’ : selon la CGT, 2 millions dès le 19/01, 2,8 à 3 millions le 31/01, (ce qui a permis de battre le record de 1995 de mobilisation pour une contre-réforme sociale), 2 millions pour le 07/02, 2,5 millions le 16/02. Également, 2,5 millions de personnes dans des cortèges paisibles et familiaux le samedi 11/02, elles s’accompagnent d’un nombre important de salariés grévistes (même s’il ne s’agit que d’un débrayage de 2h) notamment dans le privé.
S’il y a énormément de gens dans la rue, même les plus improbables comme la CGC ou la CFTC, l’ambiance est tranquille, voire frileuse. Malgré les enjeux, l’envie d’en découdre n’est pas là, les cortèges ne sont pas très offensifs et l’on ne ressent pas la même énergie que pendant d’autres mouvements comme la loi travail ou le CPE. Les gens sont contents de se revoir ou de sortir pour la première fois dans la rue, mais la volonté de faire une action ou de partir en reconductible est encore absente. Pour le moment, il n’y a pas de mouvement social et encore moins de climat insurrectionnel.
Dans ces manifestations bien tenues, pacifiques, la présence policière comme force de répression n’a pas été nécessaire dans la plupart des villes. Le service d’ordre des syndicats étant amplement suffisant pour canaliser les rares velléités d’actions sauvages. C’est très surprenant pour nous de revoir un SO dans nos manifs après les mobilisations des Gilets Jaunes (GJ) moins réglementaires. D’ailleurs les policiers ont défilé « avec nous » dans beaucoup de villes (en différents groupes, selon leur appartenance syndicale, Alliance bien à part). Si leur présence a été remarquée, ils n’ont pas été virés étant même protégés par la CGC dans certains cortèges comme à Strasbourg.
Ça bouge aussi dans les petites agglomérations
Fait notable, la mobilisation ne se concentre pas sur les grandes agglomérations, il y a un dynamisme et un taux de participation très remarqué dans les petites et moyennes villes, avec actions conviviales et symboliques à vocation de sensibilisation. Les gens en ont marre de se déplacer dans des lieux à près de 100 km de leur habitation, ils se mobilisent à juste titre, là où ils vivent. Cela s’explique aussi par le fait que les classes populaires (non cantonnées dans les banlieues des grandes villes) vivent dans les petites villes ou zones rurales, là où la perte de pouvoir d’achat se fait particulièrement ressentir. L’influence du mouvement des Gilets Jaunes dans ces lieux a permis à certain.es de se politiser et de garder le réflexe de manifester. Mais globalement, les GJ sont faiblement présents dans les cortèges et leur combativité est affaiblie. Ce sont souvent les seuls à prendre la parole en fin de manif. À Strasbourg, sur leurs créneaux, les manifs du samedi, le SO en est venu aux mains avec eux pour les empêcher de prendre la tête du cortège ! C’est vrai que les GJ font mauvaise presse à l’intersyndicale, elle ne souhaite pas faire tomber le gouvernement, elle !
Rares secteurs en action
Mis à part les grosses journées de manifestation, il y a eu peu d’actions (des retraites aux flambeaux à Toulouse, Lille, etc) et si elles ont lieu, elles sont ponctuelles et très verrouillées. On peut citer par exemple le blocage du port de Bayonne le 21 janvier, avec quelques militant.es des syndicats LAB (syndicat des travailleurs abertzale), FSU et CGT laquelle a tenu à tout canaliser et contrôler.
Dans le secteur de l’énergie on parle de 40 à 45 % de grévistes et des actions ont été annoncées : rétablissement du gaz et de l’électricité dans les foyers modestes, basculement au tarif heure creuse pour que certains bénéficient de réduction, voir gratuité pour les hôpitaux. À Beynes, le dépôt de gaz Storengy a fait grève sur les grosses journées et à Poitiers, le secteur de l’énergie a même pris la tête de cortège avec entre autres les salariés de la centrale de Civaux.
Dans les transports, ça s’arrête aussi. On estime de 35 à 45 % le nombre de grévistes à la SNCF, dans la plupart des coins, aucun TER n’a circulé les journées de grosses mobilisations. Mais s’il y a eu un fort taux de grévistes, ceux-ci n’ont pas ressenti le besoin de se rencontrer et ont délaissé les AGs de cheminots (quelques dizaines de personnes dans la plupart des villes). Et c’est une tendance générale, en opposition aux mouvements précédents, cette fois, les AG post-manif ou dans les boîtes sont squelettiques et ne décident de rien. Même intersyndicales, elles ne peuvent qu’acter des décisions déjà prises au niveau national.
La jeunesse est peu présente, mais si c’est le cas, elle est dynamique, essaye de prendre la tête du cortège et affiche sur ses pancartes des mots d’ordre un peu plus larges que les retraites, comme le souci de l’environnement, du féminisme, des droits LGBT… Au niveau des facs, la mobilisation peine à se mettre en place. Déjà les cours ont encore lieu en distanciel dans la plupart d’entre elles du fait de bâtiments délabrés et d’absence de chauffage (!). Et dans les villes où il y a eu des tentatives d’AG voire de blocage (Brest, Strasbourg…), la police est intervenue dès le départ pour y empêcher toute expression politique. Pourtant la réforme des retraites pose des enjeux intergénérationnels (ce sont les jeunes qui vont payer les retraites avec leurs cotisations).
Dans les villes de classes moyennes comme Poitiers ou Strasbourg, les secteurs du tertiaire (soignants, administratifs…) ont été très représentés dans la rue.
Aucun secteur ne semble vraiment en pointe, le mouvement apparaît lent à démarrer, il semble que chacun attende de pouvoir se greffer sur ou de profiter d’un secteur qui serait plus combatif. En attendant, toute initiative de solidarité entre les différents secteurs est la bienvenue !
L’union sacrée
Une des caractéristiques du mouvement est l’union des huit grands syndicats. Mise en avant partout, par l’intersyndicale elle-même, mais également dans tous les médias, c’est une grande première, cela n’avait même pas été vu en 1995. Pour y arriver les syndicats se sont posés 2 règles minimales :
- un mot d’ordre unique « pas de recul de l’âge, ni 63, ni 64, ni 65 ». Exit donc ceux qui veulent un retour aux 60 ans !
- le choix de la tactique du nombre, de la masse. Le but (réussi pour le coup) est de rassembler un maximum de gens dans la rue en toute tranquillité. En effet, il faut s’aligner sur les méthodes des plus réformistes notamment de la CFDT. Laurent Berger est contre toute violence, mais avec une définition très large de la violence, paralyser le pays étant jugé extrêmement agressif pour lui. Les manifestations paisibles qui en découlent obtiennent ainsi une bonne note dans les journaux télé et un regard bienveillant de la petite bourgeoisie… mais elles risquent fort de ne provoquer aucun recul du gouvernement.
La peur de perdre leur image de force crédible et réfléchie (en comparaison aux pitreries à l’assemblée) met les syndicats en position d’attentisme. On se calque sur l’agenda du gouvernement, on attend que le parlement vote au lieu de faire pression sur les députés, on décide de ne rien faire entre le 16 février et le 7 mars histoire de ne pas trop perturber les départs en vacances, on n’apporte aucune parole politique dans les rassemblements afin de ne pas faire s’effriter le vernis de l’unité syndicale. Et surtout, on n’appelle pas à une vraie grève générale, reconductible dans la durée.
Vaut-il mieux être nombreux ou actifs ?
Chez les personnes peu habituées aux cortèges ou peu militantes, il y a une « confiance » dans les syndicats et l’idée de pouvoir « gagner tous ensemble » avec des cortèges pacifiques et bon-enfant. En ces temps de crise et d’inflation, quand en plus le gouvernement tient en permanence des discours méprisants, force est de constater que les syndicats représentent encore des repères privilégiés. Tous lorgnent vers l’intersyndicale, ses dates et ses consignes, attendant un go pour la grève ou un durcissement… mais la pendule tourne et tout sera terminé le 23 mars.
De notre côté, nous sommes plus pessimistes face à l’excès de prudence des syndicats, la stratégie des manifs saute-mouton n’a jamais fait ses preuves si ce n’est pour épuiser physiquement et financièrement, les appels au 7 mars semblent des vœux pieux. Si l’opinion est favorable c’est parce qu’on est sur un minima (non aux 64 ans) et tant que l’intersyndicale ne donne pas son aval, il n’y aura probablement pas de reconductible.
De toute façon qu’attend-on des bureaucraties syndicales ? Des manifestations massives, mais sans échange, sans prise de contact, sans fond politique servent-elles à quelque chose ? Bref, les syndicats ont-ils envie de se battre contre le projet de société de Macron ou de l’accompagner ? Comment casser l’opinion répandue qu’il suffit d’être nombreux à défiler pour gagner, ou qu’il faut privilégier le dialogue social ? Le gouvernement se fout complètement d’une massification sans blocage de l’économie, sans occupation !
Alors, on s’organise ?
S’il y a clairement une déception face à l’intersyndicale et le fait que rien ne doit déborder au nom de l’unité, cela doit nous pousser à nous organiser et à agir en parallèle des syndicats. Pourquoi ne pas se rencontrer ? Commencer la grève pour commencer à débattre ensemble et planifier des actions. Créons des collectifs, trouvons des lieux pour se rassembler, discutons et entrons vraiment en lutte. Les premiers intéressés doivent garder le contrôle sur le mouvement, réfléchir à ce qu’il faut bloquer, voire saboter ! Le rôle des centrales syndicales reste trop souvent de défendre le travail et pas les travailleurs ! Et c’est bien vers là qu’il faut s’orienter : repenser le travail encore bien trop souvent considéré comme une valeur. Le report de l’âge légal à 64 ans aura des conséquences sur nos vies, mais c’est presque anecdotique quand on cherche à penser un autre modèle de société et quand on combat le capitalisme. Il est temps d’élargir le débat à la thématique du rapport au travail, combien de temps certes, mais surtout comment on bosse ? Pourquoi ? Pour qui ? Il nous semble important de discuter des conditions de travail et de sa pénibilité, des fins de mois qui sonnent creux, que tous les mécontentements ressurgissent. À quoi sert notre travail ? Enrichir les bourgeois, faire tourner des entreprises polluantes, augmenter le capital privé… Il est nécessaire de repenser les conséquences du travail et de la production non seulement sur nos corps, la société, mais aussi l’environnement. Évidemment que dans une société orientée vers la consommation, on nous incite à travailler plus. L’objectif doit être de travailler moins, non seulement pour réduire le productivisme, mais aussi nous libérer du temps pour des activités bénéfiques à la société, du temps pour nos enfants, nos loisirs, notre épanouissement personnel. Après le COVID, les gens se sont rappelés qu’il pouvait y avoir une vie en dehors du monde du travail sans être productif. Mais, pour le moment, il y a peu d’alternatives ou de projets politiques proposés, il faut y réfléchir ensemble et ce ne sera possible qu’au sein d’un mouvement social ! Tous les mythes autour du travail doivent s’effondrer : travail émancipateur qui libère, le « travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy, la « fierté ouvrière » opposée à « l’assisté » de Fabien Roussel.
Et tous en grève le 7 mars !
Puisque la question du travail n’est pas discutée par l’intersyndicale, la question du « non-travail » et donc de la grève n’est qu’évoquée du bout des lèvres. « La grève ne se décrète pas » « on peut faire d’autres initiatives tout aussi bénéfiques parfois symboliques » indique Laurent Berger. Alors le 7 mars, pas le choix, même si du côté de l’intersyndicale c’est nébuleux. Grève générale ? Reconductible ? Arrêt du pays ? Dès le 7 ? Le 7 et le 8 ? Si on ne veut pas que cela se termine par des aménagements de quelques articles, il faut imposer un rapport de force dès maintenant avec le gouvernement et avec l’intersyndicale s’il y a lieu !
ocl strasbourg
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