Un pays sans miroirs
Category: Global
Themes: ArchivesRacisme
Tout au long de la campagne, quand on devait se fader à longueur de journée, sur toutes les antennes et dans les colonnes de tous les journaux (rappelons que seuls «l’Huma», «Politis», «Regards» et «le Monde diplomatique» avaient pris position pour le non) les inepties et les injures des éditorialistes oui-ouistes, on se consolait avec cet espoir confus, à peine formulé: si le non passe, alors, ils comprendront… Avec le recul, évidemment, c’était d’une naïveté inouïe. Mais à quoi d’autre pouvait-on se raccrocher, puisque le suffrage universel était le seul moyen d’expression dont disposait ce peuple muet, condamné au seul rôle de cible «pédagogique», pour répliquer à ceux qui l’admonestaient avec tant de docte suffisance? Il y avait aussi le courrier des lecteurs et les antennes ouvertes, d’accord, mais ces moyens sont, par définition, trop subordonnés aux supports qui les octroient généreusement pour faire office de contrepoids réel. Quant à Internet, les poissons du bocal médiatique ne s’aventurent presque jamais dans ce marigot, car il paraît, figurez-vous, ô abomination, qu’on n’y dit pas toujours la vérité. Brrrr! Ça doit être un endroit terrifiant. Pour vous et moi, qui sommes habitués à raconter des bobards, voire qui mentons comme nous respirons, passe encore; mais pour des professionnels de la vérité, il y a là quelque chose qui heurte la sensibilité.
Qu’ils aient presque tous pris position pour le oui, c’était déjà inquiétant, certes. Mais ça n’aurait peut-être pas été aussi grave s’ils avaient au moins donné un reflet fidèle des termes du débat. Ce qu’il y a de vraiment flippant, ce sont les analyses du vote qu’ils persistent à nous infliger, aussi pertinentes que si elles étaient formulées par des Martiens en goguette sur la Terre avec des traducteurs automatiques martien/français défectueux. Alors que, avec toute la rancoeur qu’on avait accumulée en trois mois, on se faisait une joie revancharde de savourer leur déconfiture, dimanche soir, les débats télévisés qui ont suivi l’annonce des résultats ont été bizarrement frustrants; la matinale de France-Inter, le lendemain, aussi. Il a bien fallu se rendre à l’évidence: la bulle dans laquelle vivent ces gens-là n’avait pas éclaté. Cette fois, c’est sûr: ils ont décroché, ils sont en roue libre. Leurs pseudo-analyses se nourrissent de leurs préjugés, de leurs certitudes d’officines et des pseudo-analyses de leurs confrères: de rien d’autre. Quand ils n’ont pas la franchise d’insulter leurs auditeurs, ils louvoient, ils esquivent, ils noient le poisson, ils se rassurent, ils se justifient. Et il faut encore qu’on les écoute se la raconter. «Si nous méritons la confiance de nos lecteurs, c’est en raison non pas de notre infaillibilité mais de notre liberté», se dédouane Jean Daniel dans «le Nouvel Observateur», transformé ces dernières semaines en machine de guerre pour le oui, et dont toute la rédaction en chef semble redécouvrir en choeur les vertus de la méthode Coué. Bla, bla, bla, bla, bla… Depuis dimanche soir, je me rends compte que tout ce que j’entends à la radio et à la télévision, ainsi qu’une bonne partie de ce que je lis, me révolte ou m’indiffère, au choix. Je suis ailleurs – et j’ai vaguement l’impression que je ne suis pas la seule. Ils sont dans leur monde, et au moins 55% de la population française est dans le sien.
Une population bornée, nombriliste et butée,
contre des élites pro-européennes,
audacieuses et désintéressées? C’est drôle,
mais on a plutôt l’impression
que c’est exactement l’inverse!
Parmi toutes les explications possibles au fait que les Français aient refusé ce projet de Constitution européenne, il y en a une qu’on n’entend quasiment pas évoquer: leur désaccord avec ce projet de Constitution européenne. C’est là une hypothèse audacieuse, j’en conviens; mais, quand même, ne faudrait-il pas l’envisager? Au lieu de ça, il semble aller de soi qu’ils ont voté non pour manifester leur hostilité à Chirac et à Raffarin; on insinue – ou on assène – qu’ils sont incapables de relever le nez de leurs navrants petits soucis quotidiens (du genre chômage, précarité, disparition des services publics et autres peccadilles) pour tourner leur trogne de bouseux probablement avinés vers les sublimes horizons européens qu’était censée leur ouvrir cette Constitution, malgré les efforts désespérés et méritoires de leurs élites pour leur élever l’âme, à ces ingrats. Déjà, interprétant le désaveu comme un désintérêt, on invoque, pour l’expliquer, le déficit d’information sur l’Europe dans les médias. «En France, nous sommes quand même très peu à nous intéresser à l’Europe», se désolait Christine Ockrent à la télévision lundi soir, tandis qu’à la veille du scrutin, un sondeur déclarait que la principale caractéristique du débat en France était qu’on n’avait «jamais parlé du fond»: on croit rêver…
Une population bornée, nombriliste et butée, contre des élites pro-européennes, audacieuses et désintéressées? C’est drôle, mais on a plutôt l’impression que c’est exactement l’inverse! S’il fallait une preuve du fait que le souci de l’Europe était plutôt du côté des partisans du non, on l’a eue dimanche soir, sur les plateaux de télévision: alors que l’UMP touillait déjà la cuisine interne de son remaniement ministériel et que le PS affûtait ses longs couteaux, Marie-George Buffet était la seule à parler encore de l’Europe; et, de toute évidence, elle emmerdait tout le monde, celle-là, avec son Europe. Comment peut-on ne pas voir avec quelle passion ce texte, au cours de la campagne, a été lu, trituré, disséqué, discuté? Au café, dans les réunions entre amis, au travail, sur Internet, partout les gens se déchiraient pour une divergence sur un alinéa, s’envoyaient des articles à la tête, confrontaient leurs interprétations, et on continue à déplorer qu’ils ne s’intéressent pas à l’Europe! Du coup, on chialerait presque de reconnaissance en lisant, dans «le Nouvel Observateur» (mais si!), le papier, lumineux de bout en bout, de Jean-Claude Guillebaud (qui, pourtant, si on a bien compris, «inclinait pour le oui»; comme quoi…). «En s’invitant dans le processus européen, écrit-il, les citoyens ont littéralement transformé le statut symbolique et politique de l’Europe. Ils en ont fait, pour la première fois, un espace public, concret, discernable. Le «plus» d’Europe sera paradoxalement passé par le non. C’est ainsi. Le pari que nous faisons ici consiste à penser que cette transformation substantielle est un acquis si extraordinaire qu’il contrebalance les éventuels retards que le non français fera prendre in concreto aux procédures. Sur le long terme, un tel enrichissement démocratique, une telle transmutation symbolique ne sont-ils pas plus importants que le simple timing procédural? On disait, hier encore, que le premier handicap du projet européen tenait à l’absence ou au désintérêt des citoyens? Or ces derniers, à l’improviste, se sont imposés comme partie prenante de l’affaire. D’une certaine manière, tout est changé en Europe. Qui s’en plaindra?» Oh! Beaucoup de monde, visiblement… Mais peu importe. Merci, Jean-Claude Guillebaud.
Bien sûr, parmi les Français qui ont voté oui,
comme la grande majorité des électeurs UMP,
aucun ne trouve qu’il y a trop d’étrangers en France…
A l’inverse, si les autres commentateurs sont incapables de désigner une autre cause que l’hostilité à Chirac et Raffarin, ne serait-ce pas parce qu’ils prennent leur cas pour une généralité, et qu’eux-mêmes ne voient pas plus loin que leur petit horizon hexagonal et leur petite tambouille politicienne? Déjà, ils n’ont toujours pas compris que ce scrutin n’était pas une élection, mais un référendum, c’est-à-dire une consultation des citoyens par-dessus la tête de leurs représentants politiques, qui jouent ici un rôle secondaire. «Pour la première fois, dimanche, le chef du FN a voté comme la majorité des Français», écrit sinistrement Jacques Julliard dans «le Nouvel Observateur». Mais Le Pen était aussi contre la guerre en Irak, et pourtant, personne ne nous a expliqué à l’époque qu’il fallait approuver l’aventure anglo-américaine pour éviter que le chef du FN ne pense «comme la majorité des Français»! Dans un dessin odieux de «l’Express», Plantu représente les hommes et femmes politiques ayant pris position pour le non (Le Pen, Villiers, Fabius, Buffet, Besancenot, Chevènement, etc.) rassemblés autour d’une table, en compagnie de Chirac et… d’un clochard, apparemment pour démontrer le côté hétéroclite, bras cassé et, pour tout dire, peu fréquentable de la coalition victorieuse. Etroitesse de vues, encore: trois jours avant le vote, sur France Culture, François Hollande, qui vantait depuis plus de six mois les mérites ébouriffants de cette Constitution, sidérait tout le monde en déclarant tout à trac que, si Chirac avait mis son mandat en jeu, le PS aurait appelé à voter non. Et maintenant, il va partout pleurnichant que Fabius, Emmanuelli, Mélenchon et les autres ont triché, qu’ils ont bafoué la discipline du parti, trahi le vote des militants, que c’est pas du jeu, et tout ça. En voilà, une réaction à la hauteur de la situation… L’horizon de Hollande, pour sa part, ne s’étend même pas jusqu’aux frontières de la France: il s’arrête aux grilles du siège du PS, rue de Solférino, dans le septième arrondissement de Paris.
On savait déjà que ces salauds de musulmans étaient tous antisémites; maintenant, avec le racisme de classe irrépressible qui, le désarroi aidant, se manifeste depuis dimanche, on sait aussi que ces salauds de pauvres sont tous xénophobes. Passons sur la manipulation qui voudrait faire du plombier polonais, symbole d’un dumping social dont pâtiraient aussi bien les Polonais que les Français, un thème xénophobe – d’autant plus que la campagne du non de gauche est étrangère à cette figure, dont la paternité revient à Frits Bolkestein. Kamikaze du non à «Libération», Pierre Marcelle raconte avoir entendu dans les murs de la rédaction que, s’il s’était passé quelque chose dimanche, c’était «la marche en avant du national-socialisme»; c’était une blague, mais Pierre Marcelle manque d’humour. Sur le plateau d’Arlette Chabot, l’autre soir, Bernard Kouchner, avec l’air machiavélique et triomphant du flic qui vient de confondre un suspect, lisait un sondage annonçant que, parmi les Français qui ont voté non, 67% trouvent qu’il y a trop d’étrangers en France (bonjour la question pourrie!). Serge July, dans son d’ores et déjà célèbre éditorial de lundi matin intitulé «Chef d’oeuvre masochiste» («chef d’oeuvre masochiste», en effet, vu le nombre de désabonnements qu’il a dû provoquer à «Libération»), s’indignait du «spectre turc désignant sans ambages les musulmans»: cette campagne aura au moins permis à Serge July de découvrir l’islamophobie, que lui et ses pairs, jusque-là, renvoyaient généralement à un fantasme gauchiste… Et bien sûr, parmi les Français qui ont voté oui, comme la grande majorité des électeurs UMP, par exemple, aucun ne trouve qu’il y a trop d’étrangers en France, et tous sont prêts à accueillir à bras ouverts la Turquie dans l’Union. Serge July oublie que de bruyants partisans du oui, comme les éditorialistes Claude Imbert et Philippe Val, se sont prononcés contre une éventuelle adhésion turque…
Pour la première fois,
on a vu le thème de l’antilibéralisme
se propager suffisamment dans la société
pour peser sur l’issue d’un scrutin
Que les Français aient pu tout bonnement répondre à la question qu’on leur posait, c’est une hypothèse que tout le monde écarte résolument. Et on croit comprendre pourquoi: prendre acte du refus de ce texte obligerait du même coup à prendre acte de ses motifs. Dimanche, pour la première fois, on a vu le thème de l’antilibéralisme déborder des sphères altermondialistes et se propager suffisamment dans la société pour peser sur l’issue d’un scrutin. Certes, tous ceux qui ont voté non ne l’ont pas fait par antilibéralisme; mais ça a été le cas, explicitement ou non, d’un très grand nombre d’entre eux – un nombre décisif, en tout cas. Mardi soir, sur TF1, on a revu l’étudiant travaillant au noir qui avait participé à l’émission de Chirac avec des jeunes sur l’Europe, et qui a voté non; interrogé sur le remplacement de Raffarin par Villepin, il commentait sobrement, renvoyant à son insignifiance le ballet des consultations ministérielles de la journée: «Ce n’est pas une question de personnes, mais de politiques. Tant qu’on mènera des politiques ultralibérales, rien ne changera.» Entendre ça sur TF1, quand même, ça fait drôle… Dès lors qu’on prend en compte ce paramètre essentiel, la situation s’éclaire, et on ne peut plus raconter n’importe quoi. On ne peut plus raconter, par exemple, que les partisans du non devraient avoir honte d’avoir voté comme les électeurs du FN (argument particulièrement écoeurant compte tenu de la lepénisation des esprits galopante à laquelle on assiste par ailleurs ces dernières années): si, parmi ces derniers, un certain nombre votent Le Pen non par racisme, mais par désespoir, il faut plutôt se féliciter de ce que leurs griefs aient enfin pu trouver un débouché noble, et que, pour une fois, ils ne se soient pas «trompés de colère». Rappelons les remarques de Frédéric Lordon reproduites ici même l’autre jour: «Pour la première fois, le débat roule sur les vraies questions, les questions de structures. On ne parle que de la banque centrale indépendante, des contraintes liées à la monnaie unique et à la déréglementation… Ce n’est pas comme en 2002, où la question sociale et économique s’était trouvée défigurée par le débat sur «l’insécurité», «l’immigration», «les sauvageons», etc.»
Ce débat sur le dogme libéral, et, indissociablement, sur le droit des peuples à décider des politiques économiques menées en leur nom, tout a été fait pour l’éluder, ou, à défaut, pour l’endiguer en abusant l’opinion par des ruses grossières. On a même entendu le Medef s’inquiéter d’une possible victoire du non parce que ce serait une «victoire pour l’ultralibéralisme», alors que le Medef, lui, défend une «société sociale de marché» (cité par «l’Humanité», 25 mai)! Mais ces ânes bâtés de Français, avec une méfiance inexplicable, ont refusé de croire que la construction européenne, s’ils lui donnaient le feu vert pour continuer sur sa lancée, leur assurerait soudain un avenir radieux et solidaire, leur octroierait comme ça, par pure reconnaissance, un petit droit de regard sur les choix de société qu’elle faisait pour eux, et que François Hollande, après avoir défendu de toutes ses forces un texte enfermant le continent dans la «concurrence libre et non faussée» pour les cinquante ans à venir, monterait à l’assaut de Bruxelles, le couteau entre les dents, pour exiger un salaire minimum européen, une grande loi sur les services publics et la tête de Frits Bolkestein.
Le 29 mai est ce qui pouvait arriver de mieux
à la gauche française
Si on accepte cette grille de lecture, on ne peut plus raconter non plus que le 29 mai dernier a été un «nouveau 21 avril» («le syndrome du 21 avril 2002 s’affiche désormais sans complexe», écrit Robert Schneider dans «le Nouvel Observateur», tout ça parce qu’il a retenu, la fine mouche, que «les Français ne font plus confiance à ceux qui les dirigent»). Or, le 29 mai est ce qui pouvait arriver de mieux à la gauche française. La campagne référendaire a permis aux antilibéraux en son sein, tous partis confondus, de se compter; et, vraisemblablement, c’est sur cette ligne qu’elle va se recomposer, en renonçant peut-être enfin à ses querelles de chapelles stériles. La recomposition ne sera peut-être pas achevée pour 2007, mais, de toute façon, elle n’avait rien à perdre. S’il ne s’était rien passé, si la France avait regardé passer d’un oeil bovin le train de la construction européenne, François Hollande aurait continué à se figurer que les Français avaient voté socialiste aux régionales par pur engouement pour sa personne, qu’ils ne demandaient pas mieux que de le porter en triomphe jusqu’à l’Elysée, et Sarkozy n’en aurait fait qu’une bouchée. Dans tous les cas, le pays aurait eu le choix, à la présidentielle, entre une gauche de droite et une droite de droite. Alors qu’avec la clarification inespérée opérée par le débat européen, on peut espérer voir apparaître dans ce pays une vraie gauche – à laquelle aspire, semble-t-il, une large partie de l’électorat – tenant sa place à côté d’une vraie droite. Ça n’éviterait peut-être pas les déceptions, mais ça éviterait au moins les malentendus, et c’est déjà beaucoup.
Sauf qu’au sommet de la hiérarchie médiatique, là où on ne s’accommode pas si mal du système, quand on n’en est pas partie prenante, on résiste de toutes ses forces à l’émergence du thème antilibéral dans le débat public. «Libéralisme», pour ces oreilles-là, c’est l’antienne vaine, niaise et irritante, ressassée par des gens que l’on méprise – les Bové, les Buffet, les Besancenot… On s’était accoutumé à vivre et à décider sans le peuple, cette chose sale – au point qu’on confond délibérément «populaire» et «populiste» -, et on n’a aucune envie de le voir faire son grand retour dans la gestion des affaires publiques, au lieu de s’accommoder du rôle qu’on lui réservait, celui de figurant dans une parodie de démocratie. On lui cite en exemple ses voisins européens privés de débat: eux, au moins, ont le bon goût d’avaliser docilement (oups, sauf les Pays-Bas…) un projet de Constitution qu’ils n’ont pas lu, sans avoir l’outrecuidance de se mêler de ce qui les regarde! Il y a trois mois encore, l’opinion française était prête à en faire autant. Par miracle, le débat a eu lieu; un débat d’une qualité stratosphérique. Et il faudrait en avoir honte! Mais c’est ainsi: le moindre espoir qui pointe de faire émerger une contestation large du dogme libéral suscite des ricanements haineux. «La victoire du non a installé durablement dans une bonne partie de l’opinion de gauche le mythe d’une alternative globale, l’espoir d’autant plus ancré qu’il est chimérique d’un grand soir de tous les recommencements», écrit dans «Libération» d’aujourd’hui Joël Roman, de la revue «Esprit», qui, pour la réduire à un caprice de gauchistes, ne doit pas trop voir dans son quotidien la nécessité d’une «alternative globale». Dans «le Nouvel Observateur», Claude Askolovitch consacre un papier à «la victoire de la gauche d’en bas», qui n’a pas l’air de lui faire plaisir. Après avoir évoqué les espoirs qu’elle suscite, il conclut par ces mots: «Soyons lucides, expliquons pourquoi rien n’est possible.»
All you need is Nouvel Obs!
Le renversement du slogan soixante-huitard, évidemment, n’est pas innocent. Depuis qu’ils ont noyé leur idéalisme de jeunesse dans les compromissions et les vicissitudes mondaines, ces gens-là se sont fait une mission de censurer et de tuer dans l’oeuf toute velléité de remise en cause de l’ordre établi. Pourtant, ce que le débat référendaire a réanimé, ce ne sont pas les fantasmes de grand soir: c’est simplement l’espoir d’en finir avec la confiscation du droit des peuples à décider de leur destinée, de retrouver un jeu politique débarrassé de ses faux-semblants, et d’enrayer la trahison systématique des mandats reçus. Et si cela, c’est être radical, c’est parce qu’on est tombé bien bas.
«Dans cette passe difficile, le réformisme lucide retrouve tout son sens et un journal comme le nôtre, sa mission», écrit sans rire Laurent Joffrin dans «le Nouvel Observateur» – décidément un numéro d’anthologie. All you need is Nouvel Obs! Ça alors, et moi qui croyais que le «réformisme lucide», c’était précisément ce qu’avaient rejeté 55% des Français dimanche dernier… Désormais, dans leur écrasante majorité, ni son personnel médiatique, ni son personnel politique n’offrent plus à la France de reflet fidèle de ce qu’elle est. S’ils ne la comprennent plus, c’est parce qu’ils ont sur elle un bon train de retard. La crise actuelle était nécessaire, mais cette situation étrange n’est pas rassurante pour autant – surtout en ce qui concerne la représentation politique, parce que, côté médias, on peut toujours se débrouiller avec Internet… Question: combien de temps un pays peut-il vivre sans miroirs?
Mona Chollet
Comments
Comments are moderated a priori.Leave a Comment