Au sujet de la mutation du service d’ordre de la cgt
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Global
Thèmes : Syndicalisme
Lieux : Paris
L’attaque du cortège de la CGT le 1er mai 2021 a été l’occasion d’une nouvelle salve d’articles et de commentaires sur son « service d’ordre ». Aussi bien dans les médias mainstream que dans les médias subversifs, comme Lundi matin, le fameux « service d’ordre de la CGT » a vu sa sulfureuse réputation se gonfler d’approximations, d’erreurs factuelles et de caricatures. Pour les premiers, cette mythologie sert le buzz pour attaquer une organisation syndicale qui, malgré ses limites et ses contradictions, fait obstacle aux manœuvres des capitalistes. Pour les seconds, il s’agit plutôt de valider l’avant-gardisme de certains groupes autonomes ayant versé dans l’antisyndicalisme.
Face à ce confusionnisme intéressé, il est nécessaire d’exposer les choses clairement. L’autodéfense ouvrière est une question éminemment politique, qu’il faut débarrasser des croyances et des légendes urbaines.
D’où vient la réputation autoritaire du SO de la CGT ?
C’est un héritage de la période stalinienne de la CGT, quand le stalinisme était puissant dans la classe ouvrière, de 1945 aux années 1990. Disposer d’un service d’ordre aguerri a été plus d’une fois utile pour aider des salarié·es à défendre leur piquet de grève contre des nervis patronaux, ou pour imposer le respect à la police dans des manifestations de rue régulièrement interdites jusqu’en 68. Dans la foulée de Mai 68, où la direction stalinienne de la CGT et du PCF avait tout fait pour freiner le mouvement révolutionnaire et le limiter à des revendications classiques, les militants PCF-CGT les plus obtus faisaient « la chasse aux gauchistes » aux portes et jusqu’à l’intérieur des entreprises. Ils se retrouvaient au SO pour « faire la police » dans les manifestations syndicales et politiques.
Ces pratiques indéfendables ont perduré avec des phases plus ou moins violentes jusque dans les années 1990. Entrecoupées de « paix des braves » signées avec la LCR dans les années 1980, ou avec la CNT au début des années 2000.
Quelle a été l’évolution dans les années 1990-2010 ?
L’effondrement des pays du « socialisme réel » et la désillusion née du gouvernement PS-PCF de 1981 a fortement affaibli et désorienté la CGT, comme le PCF, faisant reculer leur sectarisme. C’est dans les années 1990 que les cortèges du PCF dans la rue ont été, pour la première fois, inférieurs à ceux de l’extrême-gauche.
Dans les années 2000-2010, alors que les forces vives de la CGT se sont effritées, le SO traditionnel s’efface, se limitant à une simple protection du carré de tête. Entre pragmatisme et révolution politique, les responsables francilien du SO font peu à peu évoluer la doctrine : expulsion du SO de certains militants trop impulsifs, interdiction de l’alcool, protection du cortège syndical sans tenter de « faire la police » à l’extérieur.
Comment les manifs de 2016-2017 ont-elles marqué un tournant ?
La dernière fois que le service d’ordre de la CGT a voulu faire « la police des manifs », c’était durant la lutte contre les lois Travail, en 2016-2017, qui ont vu plusieurs altercations entre le SO de la CGT et d’autres manifestants.
Après la manif du 24 mars 2016, pour la première fois, des syndicalistes CGT ont publiquement désapprouvé certaines pratiques, comme en témoigne un texte devenu célèbre dans les milieux militants. Son auteur s’est d’ailleurs ensuite activement engagé dans la mutation du SO CGT.
Le 12 mai, c’était cette fois un groupe autonome qui attaquait le SO CGT, réduit à une maigre troupe, dépourvue d’équipement. C’est un militant communiste libertaire qui se fit alors intermédiaire pour une trêve qui fut globalement respectée, sans le « match retour » que certains cégétistes réclamaient…
Enfin, lors de la manifestation du 12 septembre 2017, l’altercation avec un groupe féministe a fait scandale. Il s’agissait certes d’un dérapage individuel vite contrôlé, mais il a convaincu les organisations franciliennes de la CGT qu’il fallait accélérer la mutation du SO.
S’agit-il d’un replâtrage de façade ou d’une démarche politique ?
Les mois suivants, une mutation s’est engagée, associant largement les syndicats d’Île-de-France, dans l’idée de se passer du SO du type « garde prétorienne », ressenti comme un truc de « spécialistes », et de passer à un SO plus démocratique. Mais il n’a pas été fait de publicité de ce changement de cap. C’est seulement après l’agression du cortège CGT, le 1er mai 2021, que Le Canard enchaîné a levé le voile sur cette mutation, mais en la dépolitisant, en la réduisant à une histoire de rivalités personnelles et d’appareil [1]. En réalité, la démarche est sincère. Suffisamment en tout cas pour avoir convaincu des libertaires et révolutionnaires de la CGT de participer au SO nouvelle formule. Ce que, dans la configuration précédente, ils et elles n’auraient ni pu, ni voulu.
Quelle forme prend le SO nouvelle formule ? Que sont les collectifs ALS ?
La dénomination usuelle de « service d’ordre » – qui n’existe nulle part dans les statuts d’aucun syndicat – a le désavantage de laisser croire qu’il existerait un « service » centralisé et homogène, avec des spécialistes (voire des professionnels) du maintien de « l’ordre ».
En réalité, l’autodéfense est aujourd’hui assurée par un ensemble hétérogène de groupes, les collectifs Animation des luttes, sécurité (ALS). Chaque structure affiliée à la CGT (syndicat, UD, UL, fédération) peut constituer librement un collectif ALS. Il s’agit d’une pratique d’autodéfense reposant sur le mandatement, le fédéralisme et l’autogestion, dans l’esprit originel de la Confédération générale du travail.
Dans les grandes manifs parisiennes, qui peuvent rassembler des dizaines de milliers de personnes, les collectifs ALS s’agglomèrent généralement, en confiant à l’union régionale Île-de-France (Urif) le soin de les coordonner. Pour une initiative unitaire, les collectifs ALS peuvent se fondre au sein d’un SO unitaire avec Solidaires, la FSU ou la CNT.
Qui sont les membres des collectifs ALS ?
Les adhérent·es qui rejoignent leur collectif ALS à l’occasion d’une apparition publique de la CGT sont des syndiqué·es volontaires et bénévoles. Ils et elles sont mandaté·es par leur syndicat pour participer au collectif ALS qui, pour le reste, s’autogère comme bon lui semble. Pour que collectif ALS ne s’autonomise pas, il doit nécessairement être coordonné par une ou un camarade élu à commission exécutive de la structure.
En Île-de-France, de nombreux secteurs de la CGT contribuent activement aux collectifs ALS : le Spectacle, le Livre, l’Éducation, la Santé, l’Agroalimentaire, les UD…
Ici, suite à l’agression du 1er mai 2021, lire les témoignages d’André (intérimaire), Nolwen (aide-soignante), Charlotte (prof), Barbara (travailleuse en Ehpad), membres des collectifs ALS
Quelle sont le rôle et la stratégie des collectifs ALS ?
La plupart du temps, il s’agit de sécuriser les manifestantes et manifestants qui marchent avec la CGT, en coordonnant le déplacement collectif des cortèges, en garantissant la fluidité de leur progression et en prévenant les risques liés à la circulation. Depuis les années Valls et l’intensification de la répression, ils doivent également s’interposer régulièrement pour empêcher l’attaque des cortèges syndicaux par la police. Les ALS sont également présents pour soutenir les luttes locales et faciliter les initiatives plus « spectaculaires ».
La stratégie actuelle, impulsée notamment grâce à l’apport des féministes de la CGT, repose sur la désescalade, la féminisation, le pluralisme et l’élargissement à l’ensemble des organisations qui composent la confédération. Un effort est porté pour faire reculer le machisme et les postures virilistes, tout en encourageant les militantes à prendre des responsabilités de coordination. Les dérapages violents et les fonctionnements en « électron libre » ne sont pas tolérés, et il est entendu que leurs auteurs doivent être évincés ; il suffit en effet d’un dérapage individuel pour ternir l’image d’un collectif.
Bien sûr, l’action de rue n’est pas une science exacte, et des militantes et militants sous pression tout le long d’une manif peuvent encore commettre un geste « regrettable », mais les consignes sont politiquement claires et clean.
Y a-t-il collaboration avec la police ?
Il ne doit jamais y avoir de collaboration entre les collectifs ALS et la police : l’existence même des collectifs ALS se justifie par la volonté des syndicalistes de demeurer indépendant·es de l’État, et de se donner les moyens d’assurer leur autoprotection.
Il est arrivé que la préfecture diffuse elle-même des rumeurs d’« étroite collaboration » entre la police et les syndicats afin de semer la zizanie. Pourtant, depuis 2016-2017 en Île-de-France, les violences policières à l’égard des manifs syndicales et la pression policière constante sur les collectifs ALS devraient suffire à annihiler les discours prémâchés sur « la CGT collabo de la police ».
C’est d’ailleurs pour se venger du refus des syndicats de venir à la préfecture discuter du parcours que le préfet a changé, durant la manif du 1er mai 2021, le schéma d’évacuation de la place de la Nation, sans avertir les syndicats dont les camionnettes se sont trouvés piégées comme on le sait, entre une muraille de robocops et les agresseurs antisyndicalistes.
Globalement, est-ce que cette nouvelle stratégie porte ses fruits ?
Malgré le contre-exemple que constitue l’agression des cortèges de la CGT le 5 décembre 2020 et le 1er mai 2021, la stratégie des collectifs ALS a globalement apaisé les tensions apparues en 2016 entre les syndicalistes et le « cortège de tête ». Cette stratégie implique le respect de la diversité des tactiques, un principe popularisé par le mouvement libertaire lors du cycle altermondialiste des années 2000 : la diversité des tactiques doit permettre la coexistence de tactiques de rue radicalement différentes, violentes et non violentes, en séparant les lieux selon le degré de confrontation voulu, tout en restant solidaires malgré ces divergences tactiques [2].
Les collectifs ALS doivent-ils « protéger » le cortège de tête ?
Le cortège syndical assume son autoprotection. Le cortège de tête doit assumer la sienne. Les collectifs ALS n’ont ni le mandat, ni la légitimité, ni la capacité d’assurer la protection de manifestant·es qui ont fait le choix de fonctionner en autonomie, sans se coordonner avec le cortège syndical.
D’ordinaire, lorsque le cortège de tête est disloqué par la police, ses participantes et participants viennent néanmoins s’abriter dans le cortège syndical. Dans ce cas, le respect de la diversité des tactiques suppose :
de ne pas tenter de rompre le cordon formé par les collectifs ALS, mais de le contourner par les côtés ;
de ne pas imposer l’action émeutière une fois qu’on s’est réfugié dans un espace qui n’a pas choisi ce mode d’action. L’autonomie, ça s’assume.
Quelle expérience a été tirée des événements de novembre 2020 à mai 2021 ?
Lors de la manif parisienne du 21 novembre 2020 contre la loi de Sécurité globale, l’ALS avait fait avancer le cortège syndical malgré un incendie allumé au milieu de la voie. Au prix d’une confrontation avec la police, celui-ci était arrivé sans trop d’encombres place de la Bastille.
Le 5 décembre suivant, la même tactique a en revanche eu des conséquences néfastes, car les manifestantes et manifestants n’ont pas réussi à suivre l’ALS. Coupé en deux à cause d’un incendie au milieu de la rue, séparé de l’ALS, le cortège syndical a subi l’agression à la fois d’un groupe non identifié et de la police.
Le 1er mai 2021, la leçon était retenue : alors qu’un incendie barrait de nouveau la voie, l’ALS a marqué l’arrêt et n’a repris la marche qu’une fois le feu éteint. Certains ont voulu y voir un « manque de solidarité » avec le cortège de tête, disloqué par les charges policières. Ce n’était nullement le cas. Mais comme expliqué pus haut, le mandat des collectifs ALS, c’est la sécurité du cortège syndical en maintenant sa cohésion. Il ne se projette pas au-delà.
Et maintenant ?
Ce texte ne fera sans doute pas vaciller ceux qui attaquent la CGT, dans Le Point, Valeurs actuelles, sur le web ou dans la rue. Mais pour les autres, pour toutes celles et ceux qui militent pour l’unité de notre camp social par delà ses fractures idéologiques et culturelles, et par-delà la diversité de nos choix tactiques, nous espérons qu’il aura apporté quelques éclairages utiles ainsi qu’une contribution pour nourrir un débat sérieux et conséquent sur la pratique de l’autodéfense ouvrière.
Des communistes libertaires syndiqué·es à la CGT
Ho mais ca suffit la les bonzes de la CGT/UCL!!! Cassez vous d’ici les cogestionnaires du Travail et de la misère!
C’est une bonne démarche d’avoir publié ce texte ici (et j’imagine aussi sur d’autres sites). Et aussi, ça fait un certain temps que je pense la même chose à propos de tactiques de protection du cortège de tête : il faut pouvoir raisonner voire exclure les personnes qui portent du tort aux tactiques du cortège de tête. Trop d’amateurisme, trop d’incidents isolés, trop d’initiatives individuelles ont mené à des conséquences terribles pour le reste du cortège de tête, voire du cortège tout entier.
Parce que disons-le nous : ce n’est pas parce qu’une personne vient dans le cortège de tête ou dans le bloc en noir qu’elle adopte les mêmes stratégies ou qu’elle partage la même vision politique du monde. Sous les cagoules se cachent des matérialistes convaincus, mais aussi souvent des personnes qui ont perdu pied avec l’analyse rationnelle du monde social qui les entourent. Et ces derniers peuvent plus souvent agir avec émotion et folie destructrice, et non plus avec raison et discernement.
Le cortège de tête doit dépasser le simple cadre de la collection d’individus atomisés et pouvoir se sentir comme une masse cohérente. Et ça, ça se pense collectivement, hors d’une avant-garde éclairée.
Les textes d analyse du fonctionnement interne de la police de proximité peuvent avoir leur intérêt. Mais effectivement quand c est écrit dans une perspective de normalisation de celle ci c est plus étonnant de lire cela sur un site anti-autoritaire que sur celui du parti socialiste ou de la france insoumise par exemple.
on pourai rire de cette littérature du dammage control balourde, si on était pas dans une periode préfasciste, d’ailleurs a se propos ce n’est plus une attaque d’un comando de l’extreme droite organisée faudrai savoir, vos mensonges staliniens n’arrivent meme plus à tenir la distance, pathétique …
@10h37
tout ton commentaire est hors-sujet puisqu’il ne s’agit pas d’un texte de l’UCL sur les tactiques du cortège de tête mais d’un article de propagande et de réhabilitation des services d’ordre (une pratique autoritaire et dangereuse qu’on pensait voir progressivement disparaître, surtout depuis la formation d’un cortège de tête depuis 2016) à propos de cortèges situés derrière
ces groupes, les SO-ALS, ont pour vocation à tenir des cordons, autour de cortèges bien carrés qui marchent au pas, et qui se coordonnent via les instructions qu’ils reçoivent d’autres types, eux-mêmes en contacts avec des flics de la préf et ou des flics du SO unitaire quand il y en a
en vous repliant sur vos positions pro-SO, pro-cordons, et vos manifs de papa à l’ancienne avec vos camions, vous êtes en train de contrer la dynamique du mouvement social depuis 2016 et ses étincelles émeutières (travail, retraite, cheminots, GJ) plutôt que l’accompagner
En effet, à part la première phrase, tout mon commentaire est hors sujet, je te l’accorde.
En tout cas, de la part d’organisations verticales comme les syndicats, avec une légère possibilité de manœuvre autonome (par exemple chez Solidaires), c’est tout à fait leur genre de moyens d’action, et cohérent avec leur façon de se mobiliser. Cette pratique n’est pas un mal en soi de ce point de vue, tant qu’elle ne marche pas sur les autres façons de s’organiser (ce qu’illustre ce texte). Si les autonomes ne veulent pas de cette tactique, alors qu’iels s’organisent en conséquence, en ne jetant pas le bébé avec l’eau du bain (les différentes fonctions que remplissent un SO toutes ensemble ainsi que leur organisation verticale). Toutes les forces du mouvement social, si elles savent dialoguer ensemble et vont dans la même direction, peuvent être complémentaires pour arracher des victoires dans les luttes sociales.
Mais je maintiens ma position, qui doit s’éclaircir à la faveur d’échanges IRL. Le cortège de tête, s’il devient un agrégat d’individu.e.s qui idéalisent leurs pratiques en étant naïfs sur la capacité de groupes antagonistes à profiter de cette masse parfois confuse sur ses objectifs et ses positions politiques, peut devenir une force attrape-tout et donc immobile. Ou pire, être manipulé par des forces politiques qui savent très bien comment se comportent les foules, les militant.e.s, les manifestant.e.s. Et ce, à leur profit, et potentiellement aux objectifs contraires à l’émancipation sociale et à nos aspirations à la justice et à l’égalité. Et je prêche ça en ayant fait partie de beaucoup de cortèges de tête, dans différentes villes, depuis 2016.
Bref, c’est pas le propos, je me tais :) .
Le fameux syndicalisme de combat de la CGT qui accoure quand Macron la convoque pour prendre la température en vue d’une nouvelle réforme des retraites. Et après ça s’étonne de prendre des tartes le 1er mai.
https://twitter.com/Robinoude2/status/1412478715410407429
https://www.francetvinfo.fr/politique/jean-castex/gouvernement-de-jean-castex/reforme-des-retraites-emmanuel-macron-a-recu-les-partenaires-sociaux-sans-devoiler-ses-intentions_4691919.html
PS : vous allez vous faire tellement rouster à la prochaine vague…
si les manifestations se déroulent dans le triangle du vide Bastille-République-Nation, la loi passera et vous aurez le droit à des charges dans une nasse géante en bonus
https://twitter.com/AnonymeCitoyen/status/1411762521288105986
PS : les ALS collaboreront pour que tout se passe comme prévu sans le moindre écart