Texte (copyleft !)
paru dans l’interluttant n°22
http://www.cip-idf.org/

Avec son « Projet de protocole d’accord sur l’emploi dans le spectacle », le ministre de la culture et de la communication opère, une nouvelle fois, un renversement remarquable de la formule portée depuis un an et demi par les intermittents et précaires en lutte contre le la réforme de leur assurance-chômage : « Pas de culture sans droits sociaux » devient sous sa plume « pas de droits sociaux sans une mise à plat des politiques de l’emploi dans le secteur culturel ».

Le voici qui rédige un « protocole » qui ne remet en rien en cause l’accord signé le 26 juin 2003 à l’UNEDIC. Gagné à notre vocabulaire à défaut d’intégrer nos idées, il invoque une « mutualisation » (art. 2) sans prendre position contre le système de capitalisation en vigueur depuis le 1er janvier 2004. Il en appelle à des « initiatives législatives » (sans plus de précisions) de la part du Gouvernement, alors même qu’il refuse son soutien à la proposition de projet de loi déposée le 2 mars par les parlementaires du Comité de Suivi de l’intermittence. Cette proposition signée à ce jour par les groupes parlementaires PC, Verts, PS, UDF, ainsi que par 70 élus UMP, instaure une date anniversaire fixe. Si elle était adoptée elle obligerait les partenaires sociaux gestionnaires de l’UNEDIC à renégocier un accord sur cette base – ce qui ne relève de toute évidence pas de la compétence du ministre.

Des droits sociaux sous condition

Le ministre aurait pu fort simplement avouer son impuissance à contraindre les partenaires sociaux à revenir à la table des négociations, et proposer, à son échelle, un effort financier conséquent pour favoriser l’activité – et notamment l’activité déclarée – dans le secteur culturel.

Au lieu de cela, il annonce sans sourire et sans chiffrer que « L’Etat et les collectivités territoriales s’engagent à maintenir et développer leur effort de financement en faveur de ce secteur d’activité ». En contrepartie, le ministre promet, à l’instar des préconisations du rapport Guillot, de faire le ménage grâce à des « contrôles », supposés « moraliser » l’économie du secteur.

À la toute fin de son texte, le ministre envisage tout de même, assez mollement, de « demande[r] aux partenaires sociaux interprofessionnels de confirmer, dans les négociations sur la convention générale d’assurance chômage (…) leur engagement de définir un nouveau régime d’assurance chômage des artistes et techniciens, d’en maintenir la spécificité et de l’inscrire dans la solidarité interprofessionnelle ».
Nous ne doutons pas du bon accueil, par le Medef et la CFDT, de cette politique du bâton assorti de très peu de carotte. Rien ne nous laisse en effet penser qu’ils puissent trouver dans ce pseudo-protocole des arguments susceptibles de les pousser à renégocier la convention UNEDIC dans les conditions réclamées par les intermittents.

La question des droits sociaux des salariés intermittents se trouve donc une fois de plus conditionnée à un vaste projet de restructuration du secteur productif de la culture et du spectacle. Bel oxymore : conditionner des droits collectifs, et formidable négation de ce qui fait la spécificité des salariés intermittents : la discontinuité de l’emploi.

Une culture sous contrôle

Avec ce pseudo-protocole, le ministre prétend résoudre ce qu’il considère comme le cœur du problème : l’UNEDIC aurait rempli pendant des années le rôle de subvention déguisée à l’activité artistique dans ce pays.
Nous ne le nions pas, mais doutons du fait qu’une nouvelle usine à gaz, vouée à une répartition discrétionnaire des fonds publics, agisse aussi efficacement et équitablement – aussi bien en termes de gestion de ces fonds qu’en termes de soutien à la création – qu’un organisme dispensant des droits collectifs. D’abord parce que la rémunération des fonctionnaires affectés aux contrôles promis sera autant qui n’ira pas dans la poche des artistes et des techniciens. Ensuite parce qu’aucune politique culturelle n’a jamais su détecter les formes émergentes qui se sont développées grâce à l’intermittence. Sur ce point, on peut s’effrayer des prérogatives des équipes qui seraient mises en place par le ministère : commissions ectoplasmiques d’attribution de licences d’entrepreneurs du spectacle, guichetiers distributeurs de tampons qui n’ont à coup sûr aucune compétence à rendre le moindre jugement artistique. On dit qu’un singe qui tape à la machine finit forcément un jour par écrire Notre Dame de Paris. Une politique culturelle qui se décide avec ce type de critère finira forcément par subventionner un jour Molière. Il suffit d’être patient.

Tout à son entreprise de séparation d’on ne sait quelle ivraie et d’un improbable bon grain, le ministre annonce que les subventions allouées aux structures qui emploient des intermittents seraient soumises à l’exigence d’exciper d’un volume d’emploi conséquent (répétitions déjà financées, emploi d’un salarié permanent…). On ne subventionnera plus un projet artistique, on subventionnera un volume d’emploi. En l’absence de tout financement chiffré, le contrôle bureaucratique sera, dans le projet ministériel, l’unique instrument de cette politique de « régulation », déjà appelée par les voeux du rapport Latarjet. En termes d’emploi, il entraînera avant tout l’embauche de nouveaux personnels administratifs, susceptibles de faire face aux exigences des subventionneurs et de parer aux contrôles annoncés. Tout cela impliquera donc une diminution mécanique des autres embauches dans les structures. Ce ne seront plus seulement les Assedics qui excluront, mais aussi, les compagnies, les théâtres, les structures de production qui auront survécu, en ayant recours à un geste simple : ne pas décrocher son téléphone pour étudier tel projet, ne pas embaucher ceux qui ne sont pas déjà dans l’équipe.

Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens !

On perçoit déjà les effets anticipés de ces directives. Deux exemples. Dans la politique menée par la DRAC de la region PACA, (région pilote à cet égard), un tiers des renouvellements des licences d’entrepreneurs du spectacle ont été refusées cette année.
Dans l’audiovisuel public, la « moralisation du secteur » est à l’oeuvre depuis réception des prérogatives du ministre fin 2004. Neuf mois plus tard, l’objectif affiché est atteint : le recours à l’emploi des intermittents est quasi éradiqué. Problème, sur dix intermittents réguliers depuis dix ans, trois en moyenne ont intégré France Television en CDI et sept ont perdu brutalement leur emploi – et les droits afférents. Nous sommes bien face à un plan social d’ampleur, mais sans préavis, sans négociation, sans aucune forme de compensation.

Ainsi, comme son prédécesseur Aillagon, le ministre entend avec ce pseudo-protocole s’attaquer à la multiplication ces vingt dernières années tant des intermittents que des compagnies et autres structures indépendantes, sans aucun souci de ce que cet accroissement signifie en termes de mutation de la société et du désir d’expression qu’il manifeste.
Mais là où Aillagon s’était borné à laisser l’UNEDIC détruire les droits sociaux des intermittents, son successeur va plus loin et prétend agir directement. Si ce pseudo-protocole était appliqué (et on en perçoit déjà des prémisses zélées) ce serait la fin de milliers de compagnies et de structures de production indépendantes et le début d’une nouvelle ère où la culture du prince règnerait sur quelques lieux estampillés de l’excellence au milieu d’un désert culturel sans subventions ni droits collectifs.

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