La vie comme elle se reconfine
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Global
Thèmes : Coronavirus
Drôle de moment d’histoire, vraiment, que celui que nous vivons. Tout concourt de facto à le rendre unique : la durée de la crise sanitaire, mais surtout la constance dans la médiocrité dont font preuve ceux – et, lui d’abord, le petit chef du parti du néant – qui sont théoriquement en charge de la « gérer », comme on dit à propos de tout chez les startupeurs. Et même si rien, en vrai, ne peut nous étonner de la part des macronards, il n’est pas banal que, huit mois après la première java de Korona, on assiste, du côté de la clique gouvernante, à la même improvisation que dans les premiers temps. Le bordel est tel qu’on est en droit de se demander si les mesures ne sont pas tirées au chapeau. Am-stram-gram ; merde, on reconfine ! Déjà le couvre-feu avait eu de quoi nous chatouiller la logique, mais bon, on pouvait encore boire vite fait bien fait, entre amis, un coup crépusculaire aux terrasses plus ou moins chauffées du quartier. Au final, notre taux d’alcoolémie, pensions-nous, ne s’en porterait finalement que mieux – c’était sûrement ça l’urgence sanitaire –, ce qui ne nous empêchait pas de nous interroger : quelle intelligence supérieure de la très imaginative Macronie avait bien pu avoir l’idée absurde de faire fermer boutique à 21 heures alors que les rames de métro étaient archibondées de travailleurs sans vélo aux premières heures de l’aube ? Seule explication plausible, donc : le tirage au chapeau. On voit la scène : « Vas-y, Casta, c’est à toi de tirer (sic). » Un toussotement précovidien avant de plonger sa paluche dans le bitos. Et de lire le papelard : tous au lit à 21 heures ! « Ah ! non… pas ça ! » « Si, si, Casta, on ne dira pas que c’est toi… » Et Emmanuel 1er de Cordée d’annoncer, le lendemain, sous les regards approbateurs de Lapix et Bouleau, la nouvelle au petit peuple. Avec, à la commissure des lèvres, ce petit sourire de petit chef qui fait sa marque. Mais là, ce n’était pas de l’arrogance, camarades Gilets jaunes, mais l’idée, effectivement jouissive, d’imaginer l’ex-premier flic de France se dépêchant de s’approvisionner en vodka chez le Paki du coin avant que Darmanin (de jardin) et son pote Lallement (comme il respire) ne lâchent leurs sbires dans les nuiteuses rues de la ville morte.
[On me dira qu’il n’y a pas que quoi rire… Ah, bon ? Qu’est-ce qu’on fait alors ? On se drape dans le silence ; on se suicide en groupe et, par civisme, masqués ; on se replie dans la Drôme où chacun connaît son collapso expert en survivalisme de gauche. Vous imaginez Desproges chroniquer une telle panade. Moi, oui, et je suis sûr qu’on s’en paierait une tranche, et certain que ça nous ferait du bien. Alors que… les humoristes d’aujourd’hui de la radio d’État, non, merci, je passe.] Considérons que c’était une incise. Je la crochète et je continue.
Donner l’impression de faire quelque chose… C’est ça la Macronie en temps de Covid. Un vaisseau au long cours dérivant de n’importe quoi en n’importe quoi. Vous vous souvenez de Buzyn la Pleureuse, auto-exfiltrée en temps de « guerre » ? Vous vous souvenez de Dame Sibeth nous expliquant que le masque ne servait à rien et avouer sans honte qu’elle ne savait pas le mettre ? Huit mois plus tard, elle n’a toujours pas appris, d’ailleurs. Vous vous souvenez du sérieux Edouard Dalmatien, tête froide de la Macronie plurielle, en rajouter sur l’inutilité du masque avec cet air hautain qui fait son charme désuet de premier de la classe ? Il est aujourd’hui maire masqué du Havre, le Philippe, président de sa communauté urbaine et désormais membre du conseil d’administration d’Atos, société privée de « services numériques », fonction rémunérée à hauteur d’au moins 40 000 euros par an pour assister à une dizaine de réunions dites « stratégiques », le tout en sus de ses 8 400 euros mensuels d’indemnités publiques. Recyclé, en somme.
L’équipe s’est vue écrémée, mais la logique est la même. « On fait quoi, Manu ? » « On continue à faire l’histoire, c’est-à-dire à la défaire. » Et Véran, ce toubib à bonne tête de bon chien aux ordres de la nécessité néo-libérale, de continuer, en effet, es-qualité de ministre de la Santé, à démanteler l’hôpital public qu’il flingue depuis des lustres sous diverses casaques. Et Blanquer-Parcoursup, sinistre tête à claques, aujourd’hui relooké en croisé républicain, droit dans ses bottes de petit caporal, de continuer, encore et toujours, à dévaster l’Éducation dite nationale pour mieux la vendre, le temps venu, aux plus offrants. Et Darmanin (de jardin) de rentrer, côté cour, pétant le feu malgré les casseroles qu’il trimballe, pour continuer de caresser la bête – sa police – dans le sens du poil : « Allez-y, Messieurs, vous êtes couverts : le pays doit se tenir sage ». Et Castex le Rocailleux, dont tout le monde se demande ce qui lui a pris de monter dans cette galère macronarde qui coule en remuant, d’assurer le service après-vente d’un naufrage majuscule en expliquant à la représentation nationale que « ce virus ne pren[ant] pas de vacances », il fallait bien s’y adapter en improvisant. OK, on ne tire pas sur une ambulance.
Facts, only facts… C’est la rapide mais prévisible saturation des services hospitaliers de réanimation sur la totalité du territoire qui a eu raison, en quelques jours, des cris d’orfraie du ci-devant Roux de Bézieux, président du MEDEF et influent conseiller de la Macronie, sur le risque de collapse économique général que ne manquerait pas de provoquer un reconfinement général. Le pouvoir ne pouvait pas donner l’impression de laisser faire la main invisible de Korona. Ce sont les politiques d’austérité prônées par les Roux de Bézieux du MEDEF qui, relayées par les gouvernements de droite et de « gauche » depuis au moins trente ans, ont tiers-mondisé l’hôpital public, la Macronie les ayant aggravées jusqu’à sa paupérisation absolue. C’est la dégradation continue des conditions de travail et de salaires du personnel hospitalier, vécue intimement dans ce qu’elle impliquait d’inhumanité et de perte de sens lors de la première phase du Covid, qui a provoqué une sécession massive de soignants ravagés, écœurés, meurtris d’avoir vu à quoi ces politiques de désinvestissement systématique les réduisaient désormais : travailler jusqu’à l’épuisement pour des salaires indignes, sans protection, et se voir de surcroît réduits à trier les malades en fonction des lits et des respirateurs disponibles avant de compter les morts qu’on n’a pas pu sauver. C’est cette fuite en avant technocratique vers le moins-soignant devenu norme admise de l’hôpital public qui, post comme ante-première phase, préside, dans le cynisme le plus achevé, à la réorganisation permanente d’une pénurie programmée jusqu’au scandale : 70 000 lits supprimés depuis 2005, dont 13 000 ces six dernières années. Une paille !
Reconfinés, donc, nous sommes depuis le 29 octobre à minuit. Sur tout le territoire et pour un délai d’un mois, prolongeable. Mais avec la notable différence que, contrairement à la première phase, la deuxième – on n’ose pas écrire la seconde – nous place dans la situation étrange d’être confinés dans un camp de travail. Là, Roux de Bézieux a fait valoir son courroux. « Eh ! Manu, déconne pas, les deuxièmes lignes tu les mets au taf, on rigole pas avec ça. » Et ça donne ce que ça donne : pas de chômage partiel pour les bêtes de somme, les petites mains, les pue-la-sueur des usines, grandes surfaces, chantiers, exploitations agricoles et tutti quanti (la liste est très longue). « Métro-boulot-dodo, et qu’ça saute », dit le MEDEF. Traduit par Jup’, ça donne : « Je vous invite donc, à la mesure de chacun, à participer de cet effort en travaillant. » C’est le nœud du problème, celui qui serre le paquet cadeau : pourquoi on ne ferme ni les crèches, ni les écoles, ni les collèges, ni les lycées [1] ? Ben, pour que les parents puissent bosser, pardi ! Je sais, je sais, il y en a qui préfèrent. Mais ils préfèrent quoi au juste ? Bosser plutôt que de perdre leur taf, pas bosser pour participer à l’effort national au profit du capital, Dugland. Il suffit de prendre un bus de banlieue à l’aube d’un triste jour d’automne pour le comprendre. « Qui reconfine ment », comme dit déjà la sagesse populaire, qui a le regard affûté et voit anguille sous roche, surtout dans les eaux troubles.
On n’est pas habilité, c’est sûr, à juger de la pertinence, ou non, des informations « scientifiques » contradictoires dont on nous abreuve en matière épidémique, mais, par nature et par expérience, on se méfie de la parole d’État. Quand, d’un confinement à l’autre, elle change, c’est pour que rien ne change sur le fond. Et le fond, celui qui toujours remonte, c’est l’intérêt du capital. Une livraison parue le 22 octobre dans The Lancet, qui a priori est reconnu comme référence pour ceux qui disent savoir, indiquait, dans une étude très largement comparée (191 pays),que la fermeture des écoles constituait, in fine, en cas de poussée épidémique, avec celles des entreprises et l’interdiction des événements publics bien sûr, l’une des mesures les plus adaptées à la ramener à un étiage tolérable. Vrai, pas vrai, on ne sait pas, mais ce qu’on sait, en revanche, c’est qu’on ne sera jamais dupe, en la matière, de la parole du pouvoir macronien et du soudain souci qu’il semble manifester pour les enfants décrocheurs des classes subalternes, les mêmes qu’il tient en réalité pour quantité négligeable, comme l’a prouvé plus que de raison l’aggravation continue, sous Blanquer, du processus de néo-libéralisation de « l’Éducation nationale » [2]. Que, soudainement et sous son masque, le même sinistre puisse faire aujourd’hui une priorité du triste sort des gosses de pauvres, il faut être sacrément lobotomisé pour le croire. Qui le croit d’ailleurs ? Entre nous, qui le croit, ce Pinocchio. Qui croit Véran, Borne, Darmanin et les autres ? Qui peut encore les croire ? Qui n’a toujours pas compris que ces nuisibles Branquignols finiront dans les poubelles de l’histoire sans que personne ne cherche à recycler les déchets ? Ce dont il s’agit, ce que nous vivons, ce n’est pas, pour les pauvres, un reconfinement, mais une obligation d’aller bosser [3]. Par force ou par nécessité, en aucun cas par choix ou par adhésion à l’union sacrée que nous vend, une fois encore, Emmanuel Ier de Cordée. Il le sait, d’ailleurs, il le sait que rien ne marche dans sa République d’opérette, que tout foire, que son coup sur le « séparatisme » a fait long feu, que rien de ce qu’il entreprend ne redore son blason, que sa base s’effrite, que sa start-up France part en sucette et que ce n’est pas fini.
Oui, il le sait, le petit homme, en ce moment critique où le nombre de morts du Covid a passé la barre des 36 000 et où tout laisse désormais à penser que le virus dévastateur a détruit le dernier lien qui pouvait encore opérer entre lui et les gens : cette idée, absurde au demeurant, que l’État qu’il incarne et dont il a organisé la ruine – des services publics, en général, et d’abord du système de santé – pouvait encore assurer un certain niveau de protection collective. La faille est désormais immense entre ses prétentions et le réel d’un monde absurde, injuste et mortifère, dont il est, dans la dure France, la parfaite incarnation.
Il nous reste à tenir bon une fois encore, les amis.
Les mauvais jours finiront.
- Notes :
[1] À la louche, 13 millions d’élèves et de personnels s’entassent quotidiennement dans des établissements scolaires où les normes de protection sont notoirement insuffisantes.
[2] La logique de « guerre du tous contre tous » que sous-tendait la mise en place de « Parcoursup » fut analysée ici par Francis Ferrer dans un texte – « Parcoursup ou la guerre de l’algorithme » – qui eut, entre autres avantages, celui de décoder cette contre-réforme phare de la Macronie bien avant les autres.
[3] Ce qu’a assez vite compris la CGT d’ailleurs, comme en atteste sa déclaration du 29 octobre : « Il est scandaleux d’affirmer que la situation sanitaire est plus grave qu’au printemps et, en même temps, prévoir une protection plus faible, en décidant de maintenir une activité économique plus importante, quoi qu’il en coûte en vies humaines. […] Le coronavirus circule activement mais le président décide que les enfants comme les salariés viennent augmenter le nombre de citoyens en deuxième ligne exposés à un risque plus élevé d’être contaminés. » La corrélation est faite.
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