Le DAL (association Droit Au Logement) a publié un communiqué le 4 octobre pour dénoncer le projet de loi ASAP. S’il est toujours utile de contester les volontés anti-squat qui émanent du pouvoir législatif, le problème avec ce communiqué du DAL est qu’en plus d’être très alarmiste, il est imprécis et joue sur une fibre sensationnaliste, au risque de donner de fausses informations.

Quand Cnews, BFM-TV, TF1, M6, Le Figaro et l’ensemble de la presse poubelle font dans le même type de sensationnalisme, pour construire un discours anti-squat, déversant des tonnes de fausses infos, renforçant les préjugés classistes et racistes, et justifiant des projets de loi toujours plus favorables aux riches, on a envie de vomir. Mais est-ce une raison pour tomber dans des discours alarmistes et confus ?

Le DAL évoque « le triplement des peines à l’encontre des occupants sans titre » voté le vendredi 2 octobre à l’Assemblée Nationale. En réalité, le projet de loi, qui doit encore passer en commission mixte paritaire pour être définitivement adopté, triple les peines prévues dans l’article L-226-4 du code pénal, et celles-ci visent la violation de domicile. La « violation de domicile » n’a juridiquement pas grand-chose à voir avec l’occupation de bâtiments vides. Parler ici de triplement des peines visant les « occupants sans titre », c’est tomber dans le piège du discours ordurier de la presse et des partis politiques, un discours qui cherche à assimiler les violations de domicile aux occupations de bâtiments vides.

Ce qui pose problème pour les personnes qui squattent, c’est l’instrumentalisation de cet article de loi L-226-4, potentiellement pour les pénaliser, mais surtout, concrètement, pour les expulser en dehors de toute procédure judiciaire. Il arrive en effet trop souvent que des squats soient expulsés à la va-vite et que leurs occupant.e.s soient placé.e.s en garde-à-vue au motif qu’iels auraient commis une « violation de domicile ». Dans ce genre de cas, les personnes arrêtées sortent en général de garde à-à-vue sans aucune poursuite judiciaire (puisqu’il n’y a pas eu de réelle « violation de domicile »), mais ne peuvent réintégrer leur squat pourtant expulsé « illégalement » ; dans certains cas, quand les personnes expulsées sont poursuivies, ces affaires se soldent par un non-lieu (et le squat reste tout aussi vide suite à son expulsion « illégale »)[1].

Précisons tout de même que ce projet de loi ASAP, porté notamment par le député LREM Guillaume Kasbarian, sert la soupe à la droite, qui essaie régulièrement d’élargir la loi pour violation de domicile à toutes les formes d’occupation de propriété, en remplaçant le terme de « domicile » par celui de « propriété », ce qui reviendrait alors vraiment à pénaliser le squat.

Pour ce qui est de la possible aggravation de l’article 38 de la loi n°2007-290 sur le droit au logement opposable avec l’ajout « qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale”, c’est effectivement, comme le dit le communiqué du DAL, aller dans le sens « d’une interprétation préfectorale excessive et opportune ». La définition juridique du domicile comprend déjà les résidences secondaires, puisque selon la Cour de cassation il s’agit du “lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux » [2]. Toutefois, l’écrire noir sur blanc vise bien sûr à faire en sorte que cette loi soit plus régulièrement appliquée aux résidences secondaires, et par exemple aux logements de fonction (qui sont parfois vides durant de longs mois…).

Il est clair que ce projet de loi vise à étendre l’utilisation par les préfet.e.s de l’article 38 de la loi sur le droit au logement opposable. La loi ASAP prévoit en effet de les obliger à répondre dans les 48h. Jusqu’à présent, lorsqu’un propriétaire leur demandait d’expulser leur domicile occupé, la préfecture pouvait ne pas répondre. Désormais, si elle ne le fait pas, ou refuse d’expulser, la personne qui en a fait la demande pourra saisir le tribunal administratif, qui pourra invalider le refus de la préfecture.

Mais si le battage médiatique et l’esprit de cette loi risquent d’ouvrir la voie à des expulsions de squats plus expéditives, le contenu de l’article concerne toujours les domiciles, c’est-à-dire autre chose que les logements vides.

Selon nous, le scandale en cours ne réside pas tant dans l’aggravation possible de ces articles de loi, qui ne changeront probablement pas grand-chose aux pratiques policières, judiciaires et étatiques quant aux expulsions de squats. Le scandale, c’est la puissance du système inégalitaire basé sur la propriété privée, qui profite toujours aux plus riches, aux promoteurs immobiliers comme aux bailleurs « sociaux », aux multi-propriétaires privés comme aux tenants des institutions étatiques.

Les lois et leur application sont toujours mises en place pour favoriser la classe possédante, celle qui est au pouvoir et qui fait tout pour y rester. Et si l’évolution des lois dépend en partie de l’état de la société, des rapports de force en cours, tant que le capitalisme et l’État auront la main-mise sur nos vies, nous serons voué.e.s à lutter, à nous opposer à ce système législatif. La vie des squats, comme les lieux d’auto-organisation en général, dépend des rapports de force que nous réussissons à mettre en place. Nous, c’est un ensemble hétérogène qui a besoin de squatter pour survivre, pour se loger, pour vivre, pour lutter, un mélange détonnant entre celles et ceux qui ne peuvent pas payer de loyer et celles et ceux qui ne veulent pas, sachant que souvent c’est les deux à la fois: qui, avec un compte en banque peu fourni, a réellement envie d’enrichir des propriétaires qui ne font qu’encaisser nos loyers chaque mois ?

En 2018, il y avait au moins 200 000 personnes sans domicile fixe en France. Sur le même territoire, en 2016, il y avait selon l’INSEE près de 3 millions de logements vacants. L’équivalent de quinze logements libres par SDF ! C’est pas assez ? Un peu de patience, selon les mêmes données statistiques de l’INSEE, il y a chaque année toujours plus de logements vacants [3]…

Que ce soit clair, quelles que soient les lois en place, on préférera toujours dormir sous un toit en toute illégalité plutôt que dormir légalement dans la rue.

Des squatteur.euse.s, des ex-squatteur.euse.s et des locataires solidaires
Paname, octobre 2020

Notes:
[1] Les exemples sont malheureusement trop nombreux, en voici quelques-uns:
expulsion du Ty Disuj, le 9 janvier 2002 à Guingamp
expulsion du 10 rue des Bergers, le 10 octobre 2005 à Grenoble
expulsion d’un squat à Villeurbanne, le 1er octobre 2007
expulsion de la M3zon, le 13 novembre 2007 au Royans, dans la Drôme
– expulsion de Bouletta-Facette, le 3 novembre 2008 à Grenoble / 1 & 2
relaxe pour les sept squatteur⋅euse⋅s de la rue Moyrand, en novembre 2008 à Grenoble
expulsion du squat Les Bains, le 16 mars 2009 à Caen
expulsion du 99 rue d’Alembert, le 17 janvier 2012 à Grenoble
expulsion du 24 rue Lecoulteux, le 1er février 2013 à Dijon
message des occupants du 94 rue de Châtillon, à Rennes, en mai 2015, à propos de « l’affaire Maryvonne »
expulsion d’un immeuble abandonné dans le centre-ville de Calais le dimanche 27 mars 2016
expulsion d’un squat rue de la Victoire, à Neuville-les-Dieppe, début avril 2016
expulsion du squat Super 5, le 11 mai 2017 à Brest
retour sur le déchaînement médiatique autour d’un squat à Nantes, été 2017
expulsion du 41 avenue de Stalingrad, le 28 août 2018 à Dijon
trois procès sans suites pour « violation de domicile » à Toulouse pendant l’hiver 2018-2019
expulsion d’une maison squattée à Grenoble le 20 janvier 2020.
[2] Décision du 22 janvier 1997 prise par la Cour de cassation.
[3] En 2014, même le très conservateur et libéral Figaro s’étonnait qu’en France comme dans le reste de l’Europe, on trouve « près de trois fois plus de logements vacants que de sans-abri » (trois fois plus, quinze fois plus, on pourra chipoter sur les chiffres, il n’empêche que ça fait un paquet de logements vides qui ne demandent qu’à être squattés) !