Notes pour une théorie du manarchist
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Category: Global
Themes: Racisme
Traduit et adapté à partir du texte disponible en version anglaise sur le site Strike!, les ajouts pour la présente édition sont signalés par un *.
Avertissement : ce texte aborde la misogynie, les agressions sexuelles, le viol.
Le Manarchist est le meilleur des activistes.
Il le sait au plus profond de son cœur. Le Manarchist propose les actions les plus radicales, en lien avec les théories les plus pertinentes. Lui seul est éclairé. Tout le monde devrait lire Bourdieu*, mais seul le Manarchist le comprend correctement.
Le Manarchist aime les femmes, il n’a donc pas besoin de les écouter. Sa posture vient d’une position de légitimité, de masculinité cis, de blanchitude. Sa voix est plus forte, ses mots sont plus vrais. Sa future société anarchiste, issue de livres écrits par d’autres hommes blancs, est inévitable. C’est une vision supérieure. Il en sait plus sur n’importe quel sujet que toi, car il a des diplômes.
Pour le Manarchist, nous ne formons qu’une seule race, la race humaine. Il a la phobie des « politiques de l’identité ». Il rêve que les personnes racisées, les femmes ou les queers cessent de diviser l’extrême gauche. Celles et ceux qu’il nomme des « identitaires aigri·es » ou « extrémistes » gâchent son plaisir de militer. Le Manarchist comprend les oppressions des autres bien mieux qu’elleux-mêmes. D’ailleurs, un de ses amis est noir : c’est sûr, le racisme disparaîtra après la révolution. Évidemment, les luttes les plus mises en avant, majoritairement centrées sur les hommes blancs ayant un emploi et leurs conditions d’existence, n’ont rien à voir avec une lutte identitaire : c’est simplement la seule vraie lutte qui soit.
Parfois, le Manarchist est grossier. Il veut se faire remarquer. C’est un peu un enfant. Il voudrait que tu considères un peu plus ses besoins. Il ne peut pas t’apporter de soutien émotionnel tout de suite, il bosse sur une action. Il suppose que tu as besoin de son aide uniquement pour des trucs concrets. Heureusement, il a apporté sa guitare acoustique à la soirée. Il aimerait que tu te rases les aisselles, au moins pour les occasions spéciales. Il travaille sur son sexisme ordinaire : il fait attention à ne plus dire « salope » ou « putain ». Tu dois l’excuser, il ne va pas trop bien en ce moment.
« Bourges » est l’insulte préférée du Manarchist, mais lui-même n’a évidemment jamais été un bourge.
Le Manarchist aime péter des trucs. Il aime l’ultraviolence queer, et il est un peu queer aussi parce qu’il pratique le poly-amour (il couche avec plein de femmes) et aime le BDSM (il est toujours le dominant). Le Manarchist sait que le mariage est une institution capitaliste, alors il expérimente l’anarchie relationnelle. Il rejette les contraintes patriarcales telles que l’honnêteté, la responsabilité affective et les tâches ménagères. Ses copines sont jalouses, mais ce n’est pas de sa faute. Elles sont parano, mais ce n’est pas de sa faute, elles se souviennent mal des choses, de ce qu’elles lui ont dit, ou de ce qu’il a dit, etc. Pour d’obscures raisons, elles ne veulent pas coucher ensemble pendant qu’il regarde, ce qui, pour lui, démontre bien le mensonge de la libération des femmes.
Le Manarchist est un féministe engagé, et il est très heureux de rappeler régulièrement qu’il fait le ménage, qu’il propose de s’occuper des enfants ou qu’il fait du thé pour les autres. Cependant, le plus souvent quand il s’agit d’effectuer des tâches peu reconnues, le Manarchist est occupé par des choses très importantes.
Le Manarchist préfère être au centre de l’action.
Il était à Millbank1.
Il était au dernier G20.
Il était à Occupy Wall Street,*
au mouvement des Indigné⋅es,*
à Nuit Debout,*
et aux côtés des Gilets Jaunes.*
Il a fait l’EHESS.
Il était à Notre-Dame-des-Landes et à Bure.*
Il écrit dans Indymedia ou dans les sites Mutu.*
Il est dans tous les collectifs, sur toutes les listes mails, dans toutes les réunions et AG.*
Il continue sa carrière de manager des luttes, là où il a décidé qu’il fallait être.*
Il pratique le sabotage de la chasse à courre[[.]].
En fait, il a toujours été là.
Et toi, t’y étais ?
Le Manarchist adore l’admiration masculine.
Il est toujours d’accord avec les femmes avec lesquelles il veut coucher, jusqu’à ce qu’elles acceptent.
Le Manarchist sait que l’activisme a été inventé par des hommes blancs. Les idées ont été inventées par des gars comme lui, et l’histoire en est une succession. Anarchisme, socialisme, communisme… ces étiquettes décrivent une tradition du génie masculin. Dans le passé, certaines femmes (Emma Goldman, Rosa Luxemburg, Rosa Parks, etc.) ont eu de bonnes idées. Pour lui aujourd’hui, les « bonnes idées » des femmes sont plus proches du fascisme : les espaces safes sont pour les faibles et les fragiles ; la mixité choisie sans mecs cis, c’est du sexisme à l’envers ; et l’idée de rendre les agresseurs responsables de leurs actes, c’est de la chasse aux sorcières. Le Manarchist ne voit aucune ironie à clamer que les hommes sont aujourd’hui victimes d’une chasse aux sorcières. Ces derniers temps, c’est vraiment dur pour un homme ne serait-ce que de parler sans être interrompu ou réduit au silence.
Bien qu’il les ait souvent à peine lus, le Manarchist aime critiquer les travaux de femmes, de personnes racisées ou de personnes trans. Il a des choses importantes à dire sur la façon dont ces travaux pourraient être améliorés. Il peut vous expliquer pourquoi votre campagne de mobilisation est mauvaise, philosophiquement parlant. De toute façon, la révolution arrive, et ce sera une gigantesque émeute.
Le vrai visage du Manarchist est la violence contre les femmes, contre les personnes qui ne sont pas des hommes blancs. Il aime sortir avec des filles qui ont « des problèmes » ou qui sont beaucoup plus jeunes, afin de pouvoir « s’occuper d’elles et les contrôler ». Il veut « coucher avec toi pendant que tu dors ». Il ne voit pas ça comme un viol. Il pense que « le harcèlement de rue n’a rien à voir avec le viol ». Parce qu’il ne croit pas aux pratiques d’exclusion des agresseurs, il traîne avec des violeurs. Son pote a peut-être frappé sa copine une ou deux fois, mais c’est quand même un bon activiste et puis il regrette, maintenant.
Sa copine ?*
Personne ne sait vraiment ce qu’elle est devenue…*
Personne ne sait plus comment elle s’appelait, d’ailleurs.*
Le Manarchist est féministe quand il veut baiser. Il utilisera le langage de la libération sexuelle pour te contraindre à avoir des rapports sexuels. Il se dira féministe tout en te violant. Il dénoncera de façon virulente les défenseurs de la culture du viol tant que ce sont des femmes et/ou des personnes racisées, ou encore des personnes qui ne font pas partie de ses potes. Il parlera de l’importance de la communauté et de prendre soin des gens en réunion le matin, et il te frappera le soir. Il te dira de ne pas être si stupide. Ne le balance pas aux autres, ça n’est pas sympa.
N’accuse pas le Manarchist d’agression sexuelle.
Ne l’accuse pas d’être un acteur de la culture du viol.
Et la présomption d’innocence alors ?
Les femmes qui dénoncent une agression (au sein du milieu militant) ne font que diviser la lutte.*
Celles qui vont porter plainte après un viol sont des traîtresses à la cause.
Celles qui ne le font pas sont des menteuses.*
L’anarchisme du Manarchist est un projet de société hiérarchisée conçu par des hommes qui ne sont pas encore au pouvoir. Le Manarchist est le patriarcat blanc reconverti en black bloc. Il n’est pas un cas isolé.
Il est dans tous les espaces d’extrême gauche, tout comme ses amis manarchists.
Le Manarchist est un mec normal qui consacre sa vie à construire un monde meilleur. Si tu t’opposes à lui, tu es contre-révolutionnaire.
La plupart d’entre nous, notamment les femmes, avons des histoires à raconter à propos du Manarchist. Pourtant, il est difficile de raconter ces histoires.
Le Manarchist s’en fout, il s’en sort toujours.
C’est toi qui partiras.*
Il est populaire.
Il pratique la solidarité active avec les autres mecs.
Il est le meilleur activiste.
Il est le meilleur à dire qu’il est le meilleur.
Il est insoupçonnable.*
Ce qui fait la particularité du Manarchist, c’est qu’il ne reconnaît pas qu’il en est un.
Il n’écoutera pas.
Maintenant, il va te mecspliquer 3 pourquoi tu as tort.
Écrit par Ray Filar.
Basé sur des conversations avec / sur des histoires de : Mijke Drift, Kirsty La Rain, Riley Coles, Jasper Jay, Olivia Walker, Linda Stupart, Annette Behrens, Toni Mac, Jacob V Joyce, Sophie Lawton, Deborah Grayson, Marta Owczarek, Selin Yildizoglu, Hannah McStar, Lily Ash Sakula, Abigail Williams.
1 – Occupation du QG de campagne du parti conservateur à Westminster le 10 novembre 2010, lors de manifestations étudiantes d’ampleur au Royaume-Uni.
2 – En Angleterre, le sabotage de la chasse au renard fait partie des pratiques des luttes antispécistes et anarchistes
3 – C’est quand un homme explique à une femme d’un ton condescendant, sur un sujet qui la concerne elle, qu’elle a tort de penser ce qu’elle pense ou de dire ce qu’elle dit. Cela se remarque souvent quand une féministe relève quelque chose de sexiste et qu’un homme lui explique qu’elle a tort de voir les choses ainsi, parfois en expliquant à la principale concernée ce qu’est réellement le sexisme. Voir ici pour quelques exemples navrants…
Bah c’était cool ce ptit texte. Franchement, ça reflète bien mon vécu, sauf ça : “Il a la phobie des « politiques de l’identité ».”
Alors là, clairement, j’ai pas rencontré les mêmes. Les manarchistes que j’ai croisé, moi, ils kiffaient grave les “politiques de l’identité”, à tel point qu’ils s’énervaient quand tu leur faisais remarquer que c’était chelou de se dire anar et de soutenir des gens sur la base de leur identité.
En vrai, les manarchistes que j’ai croisé, ils kiffaient grave les “politiques de l’identité”, parce que ça leur permettaient de se faire passer pour des alliés LGBT cool, que ça leur donnait accès aux meufs féministes queer, et tout ça sans remettre en question le patriarcat.
Ils l’avaient bien compris, les manarchistes que j’ai croisés, que ça leur coutaient rien de soutenir les quelques personnes qui se trouvaient une identité en comparaison de ce que ça leur permettait de gagner (des chattes à fourrer).
Allé, bises et courage
Et on appelle comment les alliées meufs des manarchistes, qui marchent toujours dans leurs magouilles et font qu’ils sont convaincus que c’est juste parce que ce sont des emmerdeuses que des meufs critiquent leur attitude sexiste, parce que y en a tellement qui sont contentes qu’on les domine ? Parce que oui, sans meufs qui jouent les idiotes utiles parce qu’elles ont besoin d’attention, quitte à être juste utilisées comme des objets, le “manarchiste” finirait par changer d’attitude … mais non, y a un cheptel illimitée de meufs prêtes à se soumettre pour un peu d’attention, qui sont bien contentes qu’on soigne leurs bobos émotionnels et qu’on s’occupe d’elles comme des petites filles, même si ça veut dire être infantilisées et soumises, et entretenir dans la tête des mecs que les meufs sont dépendantes et faibles.
Voilà, donc, ben le manarchiste il n’existe que parce qu’en face il a du répondant, qu’il sait qu’un rapport de pouvoir ne peut marcher qu’à deux au moins, et qu’il suffit juste de trouver des idiotes utiles. Et qu’au final, ben ces meufs qui leur donnent raison elles ont quelque part aussi leur responsabilité dans l’existence de manarchistes !
Ce texte vient des States mais si on regarde plus localement, les appelos ou les maos libertaires déconstruits soutiennent les “politiques de l’identité”.
T’aura beau arriver avec ta grosse voix et ton air sûr de toi en AG, tu pèseras pas bien lourd face à ce réseau d’universitaires bac +12 qui savent fermer leur gueule quand il faut et feindre l’humilité, pour avoir l’air déconstruits. De toute façon, tout se décide, ailleurs, en coulisses. Et le taux de déconstruction se mesure au nombre de diplômes obtenus et aux bouquins publiés surtout si c’est dans des maisons d’édition comme La fabrique, par exemple. Cet intellectuel organique est souvent suivi par une nuée de fans, diplômés aussi, ou en voie de l’être. Si y a moyen de se faire zinguer par l’intello de ter-ter pour publier à leur tour, çà les arrangerait bien et les “politiques de l’identité” permettent l’ouverture de nombreux débouchés universitaires et économiques. L’intellectuel de ter-ter n’a pas besoin d’élever la voix en public, n’a pas besoin de partir au charbon, il s’est déjà fait un nom dans le milieu! Ils ont appris à l’école l’art d’euphémiser les insultes et dissimuler la domination universitaire.
C’est comme en entreprise, les chefs les plus dangereux et vicelards que j’ai rencontré sont souvent ceux qui ont l’air cool et n’ont pas l’air autoritaires pour mieux te la faire à l’envers.
“Le Manarchist s’en fout, il s’en sort toujours.
C’est toi qui partiras.*
Il est populaire.
Il pratique la solidarité active avec les autres mecs.
Il est le meilleur activiste.
Il est le meilleur à dire qu’il est le meilleur.
Il est insoupçonnable.*”
Vous voulez des noms ? J’en ai au moins 10.
Mouais !
“Il m’arrive souvent de reprendre ce que dit…”
Et l’inverse est aussi vrai.
Mais apparemment, le fait que ce soit un procédé qui bousille l’imposture de la propriété intellectuelle en dérange…
Vive la propriété et ses illusions ? Sans-dé-con-ner ?
Voilà les lourdingues de services qui débarquent…
Le sujet de ce texte c’est pas votre mono-maniaquerie d’anti “politiques de l’identité” à deux balles.
C’est aussi les mecs dans le genre qui ralent parce qu’avec leur “grosse voix en AG” et leur remarques homophobes de “te la faire à l’envers” ça passe pas.
Et qui après vont te “mecspliquer pourquoi tu as tort.” de t’intéresser à ces “politiques de l’identité”.
T’as compris? Tu fais aussi parti de mecs qui sont décrits dans ce texte, et ouais c’est la vie.
T’avance ou tu fais du sur-place c’est ton problème, mais viens pas nous lourder avec.
J’trouve ce texte trop bien ! Merci
Gros big up à kitty qui arrive à faire porter le poids de la faute du patriarcat aux… Meufs. C est une blague ou bien ?