15 paradoxes de ce monde, par eduardo galeano
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1. La moitié des brésiliens est pauvre ou très pauvres, mais le pays de Lula est le second marché mondial des stylos Montblanc et le neuvième acheteur de autos Ferrari, et les boutiques Armani de Sao Paulo vendent plus que celles de New York.
2. Pinochet, le bourreau de Allende, rendait hommage à sa victime chaque fois qu’il parlait du “miracle chilien”. Il n’a jamais confessé, ni les gouvernements démocratiques qui vinrent après lui, quand le “miracle” s’est converti en “modèle” ce que serait aujourd’hui le Chili sans le cuivre, la pièce maîtresse de de l’économie, que Allende nationalisa et qui n’a jamais été privatisé depuis.
3. Nos indiens sont nés en Amérique, pas en Inde, tout comme le pavot. Le maïs est né en Amérique, pas en Turquie. Mais la langue anglaise appelle turkey le pavot et la langue italienne appelle granturco le maïs.
4. La Banque Mondiale a couvert d’éloges la privatisation de la santé publique en Zambie : “C’est un modèle pour l’Afrique. Maintenant il n’y a plus de files d’attente dans les hôpitaux”. Le journal The Zambian Post a complété l’idée : “Maintenant il n’y a plus de files d’attente dans les hôpitaux parce que les gens meurrent chez eux”.
5. Il y a quatre ans, le journaliste Richard Swift est allé dans les champs de l’ouest du Ghana, où se produit le cacao bon marché pour la Suisse. Dans son sac, le journaliste avaient des barres de chocoloat. Les cultivateurs de cacao n’avaient jamais goûté le chocolat. Cela les a enchanté.
6. Les pays riches, qui subventionnent leur agriculture à un rythme de 1 milliard de dollars par jour, interdissent les subventions agricoles aux pays pauvres.
7. Récolte record sur les bords du Mississippi : le coton nord-américain innonde le marché mondial et fait chuter les cours. Récolte record sur les bords du Niger : le coton africain est tellement peu rentable que cela ne vaut pas la peine de le ramasser. Les vaches du nord gagnent deux fois plus que les paysans du sud. Le montant des subventions pour chaque vache en Europe et aux Etats-Unis est deux fois supérieur à la somme d’argent que gagne, pour une année entière de travail, chaque fermier des pays pauvres. Les producteurs du sud sont désunis sur le marché mondial. Les acheteurs du nord impossent des prix de monopole. Depuis qu’en 1989 est morte l’Organisation Internationale du Café et avec elle le système de quotas de production, le prix du café est au ras du sol. Dans les derniers temps, cela n’a jamais été pire : en Amérique Centrale, celui qui sème du café récolte de la faim. Mais ce que l’on paye pour le boire, que je le sache, n’a même pas été baissé un petit peu.
8. Charlemagne, créateur de la première grande bibliothèque d’Europe, était analphabète.
9. Joshua Slocum, le premier homme qui a fait le tour du monde à la voile en solitaire, ne savait pas nager.
10. Il y a dans le monde autant d’affamés que de gros. Les affamés mangent des ordures dans les poubelles, les gros mangent des ordures dans les McDonald’s. Le progrès enfle. Rarotonga est la plus prospère des îles Cook, dans le Pacifique Sud, avec de sombres indices de croissance économique. Mais plus sombre encore est la croissance de l’obésité parmi les jeunes hommes. Il y a 40 ans, 11 % d’entre eux étaient gros. Maintenant ils le sont tous.
Depuis que la Chine s’est ouverte à cette chose appelée “économie de marché”, le menu traditionnel de riz et légumes a été rapidement remplacé par les hamburguers. Le gouvernement chinois n’a eu d’autre remède que de déclarer la guerre contre l’obésité, convertie en épidémie nationale. La campagne de propagande diffuse l’exemple du jeune Liang Shun, qui a maigri de 115 kilos l’année dernière.
11. La phrase la plus fameuse attribuée à Don Quijote (“Ladran, Sancho, la marque que nous montons”) n’apparait pas dans la nouvelle de Cervantes ; et Humphrey Bogart ne dit pas la phrase la plus célèbre attribuée au film Casablanca (“Play it again, Sam”).
Contre ce que l’on croit, Ali Baba n’était pas le chef des 40 voleurs mais son ennemi ; et Frankenstein n’était pas le monstre mais son involontaire inventeur.
12. A première vue, cela semble incompréhensible, et à la seconde aussi : où le progrès progresse le plus, les gens travaillent plus d’heures. La maladie pour excès de travail conduit à la mort. En japonais cela s’appelle Haroshi. Maintenant les japonais sont en train d’incorporer un autre mot au dictionnaire de la civilisation technologique : karojsatsu est le nom des suicides pour hyperactivité, chaque fois plus fréquents. En mai 1998, la France a réduit la semaine de travail de 39 à 35 heures. Cette loi n’a pas été efficace contre le chômage mais elle a donné un exemple de rare sagesse dans ce monde qui a perdu une vis, ou plusieurs, ou toutes : A quoi servent les machines si elles ne réduisent pas le temps humain de travail ? Mais les socialistes ont perdu les élections y la France est retournée à l’anormale normalité de notre temps. Maintenant est en train de s’évaporer la loi qui avait été dictée par le sens commun. La technologie produit des pastèques carrées, des poulets sans plumes et de la main d’oeuvre sans chair ni os. Dans quelques hôpitaux des États-Unis, les robots accomplissent des tâches d’infirmerie. Selon le journal The Washington Post, les robots travaillent 24 heures par jour, mais ne peuvent pas prendre de décisions parce qu’ils manquent de sens commun, un portrait involontaire de l’ouvrier exemplaire du monde qui vient.
13. Selon les évangiles, le Christ est né quand Hérode était roi. Comme Hérode est mort quatre ans avant l’ère chrétienne, le Christ est donc né au moins quatre ans avant le Christ. La nuit de Noël est célébrée dans beaucoup de pays avec du matériel guerrier. Nuit de paix, nuit d’amour : les pétards rendent fous les chiens et laissent sourds les femmes et les hommes de bonne volonté. La croix svastic, que les nazis ont identifiée avec la guerre et la mort, avait été un symbole de la vie en Mésopotamie, en Inde et en Amérique.
14. Quand George W. Bush a proposé d’abattre les arbres pour en finir avec les incendies de forêts, il n’a pas été compris. Le président semblait un peu plus incohérent que de coûtume. Mais en fait il était seulement conséquent avec ses idées. Ce sont ses saints remèdes : pour en finir avec les douleurs de crâne, il faut décapiter le souffrant, pour sauver le peuple d’Irak, nous allons le bombarder jusqu’à en faire de la purée.
15. Le monde est un grand paradoxe qui tourne dans l’univers. A cette cadence, d’ici peu, les propriétaires de la planète interdiront la faim et la soif pour que le pain et l’eau ne manquent pas.
Traduction : Fab (santelmo@no-log.org)
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