«La porno est entrée dans les mœurs»>
“Le Monde” (1)

Ce texte ne peut être que difficile, voire impossible à lire. Je le comprends. J’aimerais simplement suggérer aux personnes qui ne pourront/voudront pas en supporter la lecture, qu’elles pensent peut-être un instant que des millions d’autres femmes – moins sensibles qu’elles? – vivent dans leur chair tous les jours ce qui est écrit ici.

Ce texte a été rédigé à partir de notes prises pendant deux jours et demi – sans accès à aucun site payant, en tapant sur les rubriques: «sexe» et «pornographie» – sur les premiers sites pornographiques qui me sont tombés sous les yeux. Il s’agit donc d’une goutte d’eau – aléatoire – sur les milliers de sites pornos, accessibles, pour pas un sou, à n’importe qui est connecté.

Chaque ligne de ce texte est – de manière édulcorée – soit la retranscription, soit la description de ce que j’ai vu et lu sur ces sites: lorsqu’il s’agissait d’écrits, ils étaient toujours accompagnés de photos, extraites ou non de films ou de vidéos, représentant des femmes concrètes et des hommes concrets.

Il importe aussi de savoir que sur ces sites, les vidéos peuvent être proposées «par tonnes», les photos, «par milliers»; les «filles», «par centaines» ou: «tous les jours renouvelées» (2).

Au terme de ce travail, j’éprouve le besoin de clarifier pourquoi je l’ai écrit et ce que son écriture m’a apporté.

Ce texte trouve son origine et s’explique par plusieurs colères:

* La première fut provoquée par la lecture de l’article du Monde sus-cité, le 4 novembre 2004.

* La seconde le fut par la découverte de la loi du 18 mars 2003 «pour la Sécurité intérieure», qui modifie le droit pénal français et pose qu’il est désormais plus grave de violenter, violer, agresser une personne du fait de son ‘orientation sexuelle’ que du fait de son ‘sexe’ (3).

* La troisième, dans la suite de la précédente, trouve son expression dans le vote de la loi du 30 décembre 2004 «portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité», qui, dans son titre III, intitulé: «Renforcement de la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe»:
– fait du discours de violence et de haine un sous-produit de «discriminations»

– traite à équivalence «le sexe» et «l’orientation sexuelle»

– ne concerne que la «provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes» et non pas l’expression même de cette violence et de cette haine

– ne fait aucun lien entre la «provocation à la haine ou à la violence» et la mise en oeuvre de cette haine et de cette violence.

* Ces colères ont encore été renforcées par la lecture de deux articles du «dossier Prostitution» constitué par Afrik.com: «Les nouvelles formes de pornographie africaine» (4) et «Lolita: Son calvaire commence à Benin City» (5).

Que m’a apporté l’écriture de ce texte?

Grâce à elle, j’ai mieux compris deux choses:
– Que ce que je décrivais ici s’inscrivait et dans une pensée – car c’en est bien une – du monde et concomitamment le construisait.

– Que l’abandon – revendiqué comme un titre de gloire et une preuve de progressisme, notamment par une fraction importante de la ‘gauche’, – de toute référence aux «principes», aux «valeurs», à la «morale»,à l’ «éthique» était aussi un impératif imposé par la défense des intérêts du système proxénète et de la pornographie.

Que les Etats, les proxénètes, les institutions internationales, la presse se taisent sur la gravité de la pornographie, ne la critiquent que concernant ses supposés «excès», ne la dénoncent que si elle concerne les enfants, ne l’analysent qu’en termes de «vice», de «perversion», d’«obscénité», de «déviation», d’«indécence», de «moeurs» et, dorénavant, la légitiment, sans état d’âme, est compréhensible: ils défendent leurs intérêts. Mais je ne comprends toujours pas comment et pourquoi tant d’hommes et des femmes se targuent de défendre, de vanter le bien- fondé de cette abjection.

Quoi qu’il en soit, le monde aujourd’hui, le monde de demain est aussi celui qui est, ici, vanté, vécu, mis en oeuvre: le monde de «la porno».

Tant qu’il sera légitime, tant qu’il sera légal, aucune lutte contre les propos et les actes violents n’aura de sens. M.-V. L.

Lire le texte dont il est question dans cette introduction:

«La porno est entrée dans les mœurs».

Également: Une chair triste à pleurer, par Méryl Pinque

Voir le site de Marie-Victoire Louis.

Notes

1. Cette phrase est le titre d’un article du “Monde” du 4 novembre 2004. Il est inséré dans la page Médias consacrée aux vingt ans de Canal Plus. Présenté sans guillemets ni sous titre, il confère à cette affirmation – reprise d’une citation de Brigitte Lahaie, «ex-star du porno, animatrice sur RMC-Info » reproduite dans le texte lui même – un statut de tranquille évidence.

2. Je me suis exclusivement centrée ici sur les relations entre hommes et femmes. Je n’ai donc traité dans ce texte ni de la pornographie homosexuelle, ni de celle concernant les enfants – sachant que la frontière entre la porno dite adulte et celle qui concerne les enfants est quasi impossible à établir – ni du racisme constitutif de la porno.

3. Cf. Marilyn Baldeck, Catherine Le Magueresse, Marie-Victoire Louis, «Le projet de loi du gouvernement Raffarin ‘relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste et homophobe’ est indéfendable» sur les sites de l’AVFT, des Pénelopes, de Sisyphe, de Marie-Victoire Louis.

4. Texte de Arnold Sènou.

5. Propos recueillis par Amely-James Koh Bela, auteure de «La prostitution africaine en Occident».