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  • La lutte de la pédagogie

Le 28 octobre 2017, le ministre des Pensions annonce : « J’introduis un projet de loi sur la pension à points avant la fin de l’année. » Très vite, les trois organisations syndicales du pays réagissent et le 19 décembre, une première manifestation en front commun est organisée à Bruxelles. Plus de 40 000 personnes battent le pavé de la capitale. Le jour même de cette première action d’envergure, le ministre effectue son premier rétropédalage : il annonce que, finalement, son texte sera introduit pour juin. Reculade encore en avril, lorsqu’il déclare : « Il ne faut pas absolument voter les textes avant la fin de la législature. Il y a d’abord un effort pédagogique à faire. » Sous-entendu : les gens auraient tort de se mobiliser contre une réforme qu’ils ne comprennent pas.

Mais les travailleurs avaient bien compris que le système de retraite à points transformait les retraites en tombola. C’est d’ailleurs un message que n’ont cessé de rappeler les syndicats et le PTB (Parti du Travail de Belgique). Une tombola que résumait de cette manière le député et porte-parole du PTB Raoul Hedebouw, en décembre 2017 déjà : « On vous donnera des points et plus des euros. Ces points seront calculés à la fin de votre carrière. Mais ils seront variables en fonction du budget de l’État, du coût de la vie et de l’espérance de vie. Donc, si l’espérance de vie augmente, notre pension va diminuer. S’il y a de nouveau une crise comme en 2008, c’est à nouveau les pensionnés qui vont payer, automatiquement. C’est une pension tombola. »1

(Téléchargez notre brochure sur la pension à points)

Une tombola organisée par la Commission européenne. Car la retraite à points est bien une « demande » venant de l’Union européenne. Partout où ce système est imposé, les montants des retraites ont diminué, l’âge pivot a reculé. Comme en Allemagne, où les retraites ont baissé de 10 % par rapport aux salaires. Et où 2,7 millions des plus de 65 ans vivent sous le seuil de pauvreté. Ou comme en Suède, où les travailleurs doivent bosser jusqu’à 68,5 ans pour toucher le montant qu’ils avaient avant la réforme, à 65 ans.

Ce système à points favorise l’assurance privée : vu que les retraites sont plus basses et que les travailleurs ne savent que très peu de temps avant leur retraite le montant de celle-ci, ils sont plus enclins à prendre une assurance individuelle afin de pallier aux mauvaises surprises.

Avec la fin du système par répartition, au revoir la solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle. Au revoir les revendications collectives. Bonjour la privatisation des retraites.

Grâce au travail de sensibilisation des syndicats et du PTB, les manœuvres du gouvernement afin d’enfumer les travailleurs échouent.

  • Mobilisation de la rue

Convaincus de la dangerosité des plans du gouvernement, ils sont plus de 70 000 dans les rues bruxelloises le 16 mai 2018, lors d’une manifestation centrée sur le refus de la pension à points. Quelques jours après, un prédécesseur de Daniel Bacquelaine, le député fédéral Vincent Van Quickenborne, confirme à la télévision ce que les travailleurs savent déjà : le gouvernement n’osera pas imposer la casse du système par répartition en mettant en place le système à points durant cette législature. « Mon impression est qu’elle ne viendra plus. Et le ministre l’a confirmé il y a deux semaines. D’où cela vient-il ? C’est une réforme drastique du système. Il y a hélas de l’insécurité et des incertitudes. (…) Et, pour le dire honnêtement, nous sommes trop proches des élections (les communales, équivalent des municipales, ont eu lieu en octobre 2018 et les scrutins des autres niveaux de pouvoir en mai 2019, NdlR) pour prendre encore une décision sur ce point. »

Mais, plus que les calculs politico-politiciens, c’est bien la mobilisation de la rue qui a fait reculer le gouvernement libéral.

  • Les leçons de la victoire

Les organisations qui ont réussi à bloquer la réforme ont tiré des leçons. D’abord, le sujet des retraites est l’un de ceux où la colère est la plus grande chez les travailleurs. Ensuite, la pression populaire s’est exprimée via un mouvement large qui a réuni des travailleurs de tout le pays, en front commun syndical, interprofessionnel, mais aussi des associations citoyennes, et avec le soutien de la population. Preuve de ce soutien, un sondage paru en juin 2018 montrait que la majorité de la population voulait prendre sa retraite plus tôt, et pour un montant plus élevé. Trois quarts des travailleurs belges disaient avoir peur de ne pas avoir une retraite décente.2

Autre leçon : un objectif clair. Les 70 000 personnes qui ont manifesté en mai 2018 l’ont fait en se montrant fermes quant à leur refus du système à points. Pas d’aménagements possibles, c’était non, et « juste » non. Ce sont cette unité et cette clarté par rapport à l’objectif qui ont mené les travailleurs à la victoire. Et qui donnent maintenant des idées pour aller plus loin…

  • En route pour de meilleures pensions

Car une telle victoire laisse des traces. Du côté des perdant.e.s – les partis au gouvernement fédéral ont subi une sévère défaite – mais surtout des gagnants. Les organisations syndicales et le PTB sont passés à l’offensive : pour une pension minimum de 1500 euros net par mois. La campagne du parti de gauche est d’ailleurs en plein boum. Les 100 000 signatures de citoyens que le PTB a recueillies afin de déposer une proposition de loi d’initiative citoyenne (la première dans l’histoire du pays) pour arracher cette pension minimum sont sur le point d’être déposées… Un succès qui s’explique en partie par le signal envoyé en 2017-2018 : les travailleurs peuvent gagner face au gouvernement.

  1. « Matin Première », RTBF, 21 décembre 2017 https://www.youtube.com/watch?v=a0V6zy6iWj0 2. « Trois Belges sur quatre craignent de ne pas avoir une pension décente », Le Soir, 12 juin