Sur fond d’air du temps vicié
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Global
L’idéologie communiste produite par le Parti faisait de l’avenir un fétiche. En tant que tel il s’agissait d’un moment séparé de la durée temporelle du processus historique. De plus, la formation instituée au sein des partis communistes consistait à faire comprendre qu’il ne saurait être question que laclasse ouvrière puisse avoir une pratique autonome.
Ce genre de «communisme» conjurait ainsi toute initiative incontrôlée. En ce sens, «la pratique du communisme» devait être précédée par une marche longue et douloureuse, pour le plus grand profit idéologique de la seule l’autorité du Parti qui en détenait le terme. Tous les insoumis, et d’abord ceux d’Espagne (juillet 1936 à Barcelone), savaient très tôt qu’il fallait rompre avec cette emprise sur le prolétariat. Ils n’ont pas attendu Georges Guingouin pour le savoir et le refuser.
Et il se pourrait bien que la pratique renouvelée du communisme à l’époque de la disparition de toute identité ouvrière soit la seule condition au renversement de ce monde. Il n’y a rien à attendre d’une socialisation du marché capitaliste mondial. Non plus que d’une révolution politique qui veut seulement modifier le système institutionnel.
Cette pratique est en effet l’action généralisée de négation du capital; action qui a son rythme propre: elle se manifeste progressivement puis brusquement.
La prise en compte de la nécessité du moment immédiat (l’immédiateté du communisme), de l’ici-et-maintenant dans la pratique du communisme, doit tout pareillement savoir attendre. Cette action portée par des communistes qui ont encore à se manifester est avant tout un processus qui intègre le passé et le présent et où une négation active (parce que consciente et volontaire) ouvre une brèche. Ce n’est qu’à partir d’elle qu’un avenir autre que celui d’un futur programmé se dessine. À lafaveur de la crise actuelle, il y a dans le présent quelques présuppositions réelles à la future société sans classes qu’il s’agirait de rechercher en se hâtant lentement, et ce à rebours de toute espérance utopique où il s’agirait de «construire une espérance capable de rassembler et de mobiliser». Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas besoin d’une nouvelle subjectivité passionnée apte à l’imagination, mais que cela n’a rien à voir avec un quelconque idéal kantien du devoir-être. Il s’agit de menerl’action à partir de ce qui est là et avec les moyens dont on dispose. C’est peut-être ainsi que nous aurons des chances de passer à autre chose, en rompant avec une représentation de la révolution comme n’étant qu’une transition obligatoire et devant être conduite par un gouvernement populaire (ou de transition), donc par l’État.
- L’universel et le commun
Il sera toujours possible d’avancer que, désormais, étant donné le cours présent de cette société, une critique unitaire, une référence au communisme et au prolétariat, sont devenues caduques parce que ne pouvant plus correspondre en tant que telles au moment présent de cette même société.
Pourtant cette conception contestable ne s’identifie pas forcément à la fausse critique qui œuvre partout où règne la décomposition des milieux qui prétendent lutter contre la domination.
La fausse critique est à la recherche de la dernière avancée dominatrice qui est supposée accumuler en elle le plus d’oppression et vis-à-vis de laquelle toutes les autres sont remisées (les diverses oppressions étant conçues comme relevant de systèmes séparés qu’il s’agirait de combiner au mieux de certains intérêts particularistes: universitaires, politiques ou religieux).
C’est ainsi que les multiples luttes minoritaires se doivent de converger à partir de leurs
séparations, afin de produire une accumulation inverse censée œuvrer à l’émancipation postmoderne. Cette approche de la contestation hache à l’infini le tort universel fait au genre humain dans la société du capital. Mais il ne s’agit même plus d’un tort particulier (ou singulier) mais d’un tort proche du zéro : un tort divisible à l’infini, s’approchant de zéro, sans jamais l’atteindre pourtant. Que peut-il alors y avoir encore de commun entre les individus réduits à des monades dans ce cas ?
- Nominalisme
À partir du moment où la toute dernière lutte minoritaire connue a repéré son oppression –carat de pureté jamais égalé–elle s’attaque à une construction sociale. Et c’est toujours le langage qui, en dernière instance est considéré comme son centre normatif, centre autour duquel tournent toutes les autres oppressions devenues relatives. Il y a bel et bien «la tentation –nominaliste–de la dissolution du réel dans les apories et les arguties du langage».
Déconstruire l’agencement normatif que recèle ce centre est l’activité principale de cette nouvelle idéologie militante. Il ne s’agit en fin de compte que d’une question de noms et de performativité des actes de langage.
Ce qui est construit pourrait se déconstruire à l’envi.
Comme ce genre de petite opération est plus difficile lorsqu’il s’agit des déterminismes propres aux rapports sociaux de classe, on préférera les oublier. Cette idéologie militante nous dit toujours «mais cela n’existe pas, en faisant un clin d’œil, dont la science officielle use volontiers, dès qu’en sont mentionnées des entités gênantes telles que classes, idéologie et plus récemment même, société »
- Indécence des sectes
On ne compte plus dorénavant les petites sectes diffuses et transversales aux institutions qui se veulent à la pointe du combat politique à gauche, fortes qu’elles seraient de leurs petites trouvailles langagières censées déranger la construction instituée de telle ou telle supposée identité.
L’usage d’«une catégorie performative qui fait croire en faisant voir, donne consistance politique à ses énoncés et impose une marque immédiate d’unité et d’homogénéité».
En voulant retourner de manière obsessionnelle et plaintive le stigmate de la victime oppressée qu’elles pensent représenter, ces sectes génèrent un vrai code mortifère de comportement permettant d’exclure. Attention à l’indécence !
- Décrépitude de la critique
Mais, en produisant la critique de ce phénomène militant, avisons-nous du risque de nous abîmer dans de petites guerres picrocholines, tellement la tentation pourrait être grande d’enfourcher à notre tour une identité contraire face à ces « formes de lutte identitaires et affinitaires démultipliées ». Une identité universaliste, par exemple (ce qui n’aurait aucun sens). Et il n’est pas sûr que, pour comprendre ce délire militant, il faille seulement se référer aux «Cultural studies» où le rapport à la culture (médias, cinéma, presse) est envisagée «comme mécanisme central de l’analyse sociale». Ou même à l’importation d’outre-Atlantique de la «French Theory» (Foucault, Derrida, Barthes, Baudrillard voire Deleuze, retravaillés par des universitaires de là-bas). La critique du tiers-mondisme serait tout autant un guide pertinent parce qu’elle pointe l’attrait sidérantque produit l’exotisme de lointaines luttes (avec ses icônes remarquables). L’idéologie tiers-mondiste oblitère à la fois le pouvoir étatique autoritaire et le devenir de la lutte des classes.
Mais il faut surtout dire que ce milieu de la contestation des dominations a perdu le sens historique de la situation présente et a oublié le fondement social de toute critique.
La décrépitude de la critique pourrait tout aussi bien s’expliquer par la perte du raisonnement logique que l’on acquiert dans la pratique d’un dialogue et à partir duquel l’on sait se situer face au passé, avec la claire conscience que le présent est historique et que le devenir est antérieur au passé.
- Intégration
Cette tendance branchée (nominaliste et constructiviste) use de la tactique consistant à employer un langage démocratiste pour se faire reconnaître. Mais c’est une tactique sans perspective stratégique : elle ne cherche en aucun cas à constituer un levier pour une transformation des structures sociales, mais à tirer un pauvre bénéfice politique immédiat et à reproduire son idéologie propre.
- Renversement de perspective
Le commun de l’avenir ne peut résider dans ces formes de rapports sociaux gouvernés par la logique du capital. Les «commons» pré-capitalistes font pourtant les choux gras contemporains des sociaux-démocrates : ils pensent pouvoir restaurer un «welfare state» rehaussé par une régulation de la finance mondiale. C’est d’une autre perspective dont nous avons besoin.
L’absence prolongée d’une force sociale contraire à ce monde ne doit malgré tout pas éclipser cette idée selon laquelle l’organisation du monde que nous subissons n’est pas la nôtre, qu’en conséquence, ce monde reste à supprimer positivement. L’insubordination, la révolte et la résistance y contribuent le plus.
Comments
Les commentaires sont modérés a priori.Leave a Comment