Oh pierre gattaz, on a vendangé chez toi !
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Global
Thèmes : EconomieRacismeResistances
Lieux : Luberon
A une heure au nord de Marseille, au pied des fôrets sêches du Luberon se tient une vallée au climat doux, à l’esthétique provençale préservée qui fait le bonheur des touristes et dans laquelle les millionnaires ont depuis des decénnies choisi de s’établir…
Si à priori leur présence n’est pas évidente quand on traverse la vallée, elle se fait sentir dès lors que l’on s’interresse à la vie des habitant.e.s. Fracture économique incommensurable, spéculation sur le foncier tant bâti qu’agricole, accaparrement des terres et privatisation des petites routes qui passent sur les terrains privés. Ici, la richesse ne ruisselle pas.
Quelques initiatives isolées de resistance ont bien eu lieu par le passé mais la puissance économique et les relations de pouvoir ont toujours fini par prendre le dessus, faisant peu à peu ressembler la vallée à un paradis de Jet-Setters où s’alignent domaines gigantesques, chateaux époustouflants et réceptions privées dont son exclu.e.s les gueu.ses.x.
En bon.ne.s gueu.ses.x donc, nous étions une grosse centaine ce samedi après-midi à venir reprendre ce que des générations de paysan.ne.s oublié.e.s ont bâti, lors d’un grand concours de vendange et foulage au pied des vignes de Pierre Gattaz.
Oh, Pierre Gattaz,
Espèce de gros naze,
On va vendanger chez toi !
Après une marche d’une vingtaine de minutes, accompagné.e.s par trois voitures de gendarmes dont les occupant-e-s n’avaient pas l’air de comprendre ce qu’il se passait, nous sommes arrivé.e.s devant les portes grandes ouvertes du château de Sannes, demeurre de Pierre Gattaz, dans lequel se tenait par hasard ce qui ressemblait à un mariage de classe supérieure.
Une fois notre pressoir installé, tout le monde s’est empréssé de vendanger, sous l’oeil médusé du chef de culture de Pierre Gattaz, un raisin blanc presque completement mûr qui une fois en bouche a ravi tout le monde, toutes classes d’age confondues. La gendarmerie de campagne, dépassée, a fini par s’impatienter un peu accablée par la justesse de notre action et au bout d’une demie heure nous avons du arrêter de vendanger. Une fois notre cuvée mise en bouteille, nous sommes donc reparti.e.s en chantant vers l’Etang de la Bonde ou le précieux jus a été distribué, avec force de tracts, aux passants. L’histoire ne dit pas s’il sera bu, vinifié, ou transformé en vinaigre blanc pour nettoyer les chiottes…
Oh, Pierre Gattaz,
Espèce de gros naze,
On a vendangé chez toi !
Un texte circulait alors pour expliquer les raisons de la colère, le voici ici reproduit.
« Ce domaine, c’est ma start-up du Luberon, que l’on crée à partir de zéro ou presque, en famille »
À Pierre Gattaz, ce retour à la terre, ce presque rien de 73 hectares dont 35 de vignes ne lui a coûté que 11 millions d’euros. À la tête d’une fortune de 400 millions, il a fait fortune dans l’électronique, la biométrie et la vidéosurveillance à latête de Radiall, en maintenant un lien constant avec les pouvoirs publics. En tant que président du Syndicat des industries de composants électroniques passifs, il considère que c’est à eux de nous faire accepter la généralisation de ces dispositifs, jusqu’à préconiser le bourrage de crâne dès l’école maternelle. Gattaz est élu président du MEDEF en 2007 où il a activement porté le rapprochement des hauts fonctionnaires avec le privé, la destruction du Code du travail et la réduction des impôts sur les sociétés. Ces mesures qui furent prises par François Hollande devaient l’être en échange de la création d’un million d’emplois. Ils ne le furent jamais. D’ailleurs, Radiall, ne créa elle-même aucun emploi, malgré plusieurs millions d’euros d’aide publique du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, dont l’essentiel du montant fut reversé aux actionnaires, c’est-à-dire à 87% à la famille Gattaz.
En 2016, à l’approche de la campagne présidentielle, dans une interview accordée aux Échos, Pierre Gattaz nie ne s’être jamais engagé sur ce million d’emplois, mais affirme cette fois qu’il est possible de créer 2 millions d’emplois si le gouvernement se plie à une nouvelle diminution des cotisations sociales (baisse de 90 milliards de prélèvements obligatoires), et supprime l’impôt sur la fortune et la loisur la pénibilité du travail…
Bref, dans le Lubéron, pourtant bien pourvu en riches, le ruissellement est un mythe. Prix du foncier prohibitif et écarts de richesses incalculables, non seulement l’implantation de milliardaires crée une augmentation vertigineuse du prix du foncier, mais elle augmente aussi la concurrence entre les habitants au détriment des solidarités locales. À mesure que fleurissent les panneaux voisins vigilants et que montent les scores du RN, la luberonnisation du territoire, c’est sa fuite en avant vers l’extrême droite alors qu’il est soumis à une surpression économique, foncière, immobilière et à une collusion entre riches et politiques locaux. Collusion qui a notamment permis à Pierre Gattaz de se faire bâtir une nouvelle cave, sans permis de construire et alors même que la commune avait décidé de ne plus en délivrer.
Paul Dubrule, lui, cet ancien maire UMP de fontainebleau, nommé dans les Panamas papers, cofondateur des hôtels Accor, dont Nicolas Sarkozy est un des actionnaires est à la tête de 42 hectares de vignes et de la cave La Cavale à Cucuron. Cet ancien sénateur UMP s’est expatrié en Suisse et estime avoir économisé ainsi près de 2,3 millions d’euros. Sa cave d’architecte, qui fait ressembler les caves coopératives du coin à des huttes de paille, reçoit régulièrement de grandes réceptions mondaines dans lesquelles nous ne serons jamais les bienvenu.e.s.
À Lacoste, c’est Pierre Cardin qui rachète une à une les maisons. Alors qu’il possède des théâtres, un palais à Venise, le palais des Bulles à Théoule, des châteaux situés dans les environs d’Avignon, à Lioux, Gordes, Bonnieux ou encore Goult, le propriétaire du Château du Marquis de Sade ne semble pas avoir de raison de s’arrêter de construire son paradis de milliardaire. À Lacoste, en plus d’une trentaine d’hectares de terres laissées en friche, il est propriétaire de quarante-sept, maisons inhabitées, dans lesquelles s’empoussièrent du mobilier de luxe, et ce alors que les habitant.e.s peinent à trouver des loyers abordables.
Les inégalités dans la vallée de la Durance nous ramènent à l’époque médiévale, avec d’un côté des seigneurs au niveau de vie hors du commun, transmissible de génération en génération et de l’autre, des familles, des paysans, des retraités, des jeunes qui galèrent. Des oubliés du grand capital qui vivent dans les zones d’ombres de la carte postale, parfois dans des cabanes et des caravanes dans les zones inondables de la Durance.
Mais les terres du Lubéron ne feront pas pousser des start-ups. Elles ne doivent pas non plus supporter les caprices de grands bourgeois qui après avoir fait fortune dans la finance, l’industrie, la technologie ou le luxe, prétendraient donner des leçons d’écologie à coup de parcours d’agrotouristiques et de dégustations pour la Jet-Set. Si ces gestionnaires de patrimoines, actionnaires et PDG en tout genre se mettent à produire de la farine avec des semences paysannes locales et faire du vin en biodynamie, ils ne nous trompent pas.
Les paysages tombés entre les mains de ces spéculateurs ont été façonnés par des paysann.e.s. De ces terres et ces fermes luberonnaises tant convoitées, celles et ceux-cis ne récoltent plus les fruits du travail mené depuis des générations. Quand bien même le foncier agricole n’atteint pas encore les prix qui sont pratiqués sur la Côte d’Azur, débourser 30 000 € pour un hectare de vigne est impossible pour de petits vignerons qui souhaiteraient s’installer dans la région. Ce fléau de la spéculation du foncier rend difficile pour beaucoup d’entre nous de se loger, avoir un bout de jardin.
Habiter la terre, la cultiver ne peuvent rimer avec spéculation immobilière et accaparement du foncier. Parce qu’il est désormais indéniable que se servir de la nature comme d’une ressource financière ne peut que nous conduire au désastre. Parce qu’on ne peut prétendre respecter la terre en la travaillant au bulldozer, en se faisant des jardins d’oliviers importés de Palestine, en construisant des palais luxueux pour déguster une nature sous vitrine.
Pourtant, les grandes marches pour le climat de cette année ne semblent avoir provoqué que stupeur et inaction du côté des pouvoirs politiques et économiques. Et cela ne rend que plus évidente la langue de bois avec laquelle ils prétendent nous gouverner, oscillant entre climato-scepticisme et greenwashing.
Même dans leurs retraites agricoles, ils n’ont pas de leçons d’écologie à nous donner. Faut-il encore rappeler que 50% de la population la plus pauvre est responsable de seulement 10% des émissions de CO2 dans le monde (étude d’Oxfam) ; les plus riches de leur côté rejettent 2 000 à 3 000 fois plus de carbone que les plus pauvres chaque jour. On peut ajouter que 70% des émissions de gaz à effet de serre sont le fait de seulement 100 grandes entreprises (rapport de l’ONG Carbon Disclosure Project).
Les occupations de rond-point et les révoltes des Gilets-Jaunes n’ont eu de cesse de rappeler, à ceux qui ont accumulé richesse et pouvoir, que le fossé qui nous sépare ne pourra être comblé sans une vraie justice sociale en ville comme à la campagne. Comme ils ne pourront convaincre des millions de personnes au SMIC toute leur vie de renoncer à leur retraite, à leurs droits au chômage.
L’accaparement des terres, ici comme dans le reste du monde, est l’une des principales causes de déplacements de populations. Ceux qui sont responsables des souffrances qui poussent des milliers de personnes à choisir l’exil sont aussi bien souvent impliqués dans des partis politiques qui par leur volonté de maintenir les frontières hermétiques, ont fait de la méditerranée un cimetière. Car si le racisme belliqueux de l’extrême droite est à combattre, le pragmatisme conservateur républicain des dirigeants capitalistes l’est tout autant.
Si la nature souffre tant, si les terres tombent en friche, s’il faut passer des heures dans les embouteillages pour perdre sa vie dans des jobs précaires et épuisants en mangeant des sandwichs même pas bios, si se loger y est inabordable, c’est bien parce que les palais fleurissent. Que ce monde dont l’extrême violence nous est imposée, c’est eux qui l’ont fabriqué. Nos riches et nos dirigeants, puisqu’ils travaillent ensemble, ne pourront plus bien longtemps cacher les désastres humains et écologiques dont ils sont à l’origine, leurs jets et leurs yachts derrière quelques hectares de vignes.
– À celles et ceux qui ne vont pas au restaurant en hélicoptère, et qui n’ont pas mangé de homard avec François De Rugy.
- Allons chercher notre part du gâteau, construisons un monde solidaire, égalitaire, sans riches.
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