L’armée française au service du totalitarisme républicain
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Themes: GuerreRacisme
La doctrine de la « guerre révolutionnaire » voit le jour durant la guerre d’Indochine grâce au zèle du colonel Charles Lacheroy. Cette doctrine estime que la « guerre moderne » doit avoir comme épicentre la lutte contre le communisme et le « maintien de l’Empire ». Fervent catholique et défenseur invétéré de la « mission civilisatrice française », Lacheroy se veut un adepte de ce qu’il appelle la guerre psychologique. Il est affecté en juillet 1941 en Tunisie auprès du maréchal Jean De Lattre de Tassigny et en juin 1942 à Dakar auprès de l’état-major du général Raoul Salan. Il débarque en février 1951 à Saigon et reçoit le commandement de trois bataillons du 22ème régiment d’infanterie coloniale, deux escadrons de l’armée blindée ainsi que des unités supplétives telles les « unités mobiles de défense de la chrétienté » et autres « supplétifs de plantations » et « gardes des voies ferrées ».
Le colonel est dérouté par le Viêt-Minh dont les insaisissables combattants semblent être partout et nulle part à la fois. Le corps expéditionnaire français, supérieur en nombre et en armement se heurte à un ennemi adroit pour s’implanter au sein des populations. Lorsque lui est posée la question de la légitimité de son action, il répond par le devoir de « défendre l’empire à tout prix, contre les agents du communisme mondial qui avait déjà commencé la Troisième Guerre mondiale »1. Les Français prennent alors conscience en Indochine que leurs pires ennemis ne sont pas des armées nationales mais plutôt les populations qu’ils oppriment. La guérilla est l’arme favorite des combattantes et des combattants révolutionnaires. Le Viêt-Minh l’utilise allègrement, imitant en cela les résistants français à l’occupation allemande en détruisant les ponts, les routes, le matériel militaire, téléphonique et télégraphique, les dépôts et trains de munitions.
Il s’agit pour les indépendantistes de pratiquer vis-à-vis de l’ennemi des stratégies de harcèlement. A l’instar des communistes chinois, les chefs du Viêt-Minh jouent la « stratégie de l’espace » qui consiste à s’étendre pour disperser l’effort de l’adversaire. Bras droit de Hô Chi Minh, le général Giap décrit la tactique qui a permis aux combattants vietnamiens de mettre à genoux l’une des armées les plus puissantes au monde : « Éviter l’ennemi quand il est fort, l’attaquer quand il est faible ; se disperser ou se regrouper, livrer des combats d’usure et d’anéantissement suivant les cas; attaquer l’ennemi partout, afin que, partout, il se trouve submergé par une mer d’hommes armés hostiles, afin de miner son moral et d’user ses forces. […] Comme l’accumulation des coups de vent fait la tempête, l’accumulation des succès remportés lors de petits combats use graduellement les forces vives ennemies tout en alimentant graduellement notre potentiel ».
L’Indochine, avec ses montagnes couvertes de forêts tropicales et de jungles de bambou, ses rizières, ses vastes régions marécageuses, comme la plaine des Joncs, au sud de Saigon, offre un cadre idéal pour ce genre de lutte. Difficile d’accès, car dépourvue de routes, abritant dépôts, ateliers, et hôpitaux clandestins, et parfois souterrains, la quasi-totalité du territoire peut servir de refuge pour les guérilleros et de base de départ pour leurs opérations. La France découvre en Indochine quelque chose qui lui paraissait jusqu’ici inhabituel : la résistance anti-colonialiste. Son état-major tremble devant « les hordes de l’ennemi » approvisionnées par des « nuées de porteurs à dos venus de dépôts d’armes cachés dans des grottes » qui se lancent telles des « tentacules dans les arrières des Français », entraînant un « étranglement progressif et efficace. […] Sans uniforme, maigrement équipés de quelques grenades et d’un vieux fusil, comme autant d’insectes cherchant à sucer le sang d’un animal, ils ne lâchent pas leur emprise sur les organes vitaux de l’ennemi ». Mines et chausse-trapes hantent le corps expéditionnaire français durant l’intégralité du conflit2.
La crainte permanente de la « cinquième colonne » demeure l’un des piliers de la doctrine militaire française. La guerre froide devient alors un contexte extrêmement favorable à la désignation du « complot subversif ». D’anciens membres du mouvement terroriste La Cagoule, soutenus par des patrons comme ceux de L’Oréal, Michelin ou Lesueur animent par exemple cette thèse. Le mouvement intégriste de La Cité Catholique est également impliqué. L’obsession de l’état-major militaire français : stopper « la poussée du camp rouge » comme l’explique le colonel Jean Boucher de Crèvecœur à l’École Supérieure de Guerre (ESG)3. En Indochine, l’armée se déchaîne : supplices de la baignoire, de l’électricité, vols, tortures et enlèvements sont ainsi légion4.
L’anticommunisme le plus virulent est le moteur de ces crimes. Le général Jacques Hogard le réaffirme dès 1957 et prône l’interdiction pure et simple du Parti Communiste. L’armée qui se considère à cet instant comme le dernier rempart contre la révolution applique en Algérie les mêmes méthodes qu’en Indochine. Ces méthodes découlent directement de la conquête de ces territoires, qui, pour l’Algérie, s’est déroulée dès le mois de juillet 1830. Le lieutenant-colonel de Montagnac les vante dans une lettre rédigée en 1843 : « Voilà comment il faut faire la guerre aux Arabes. Tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger des bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs, en un mot anéantir tout ce qui ne rampe pas à nos pieds comme des chiens ». La terre brûlée et la razzia sont pratiquées avec entrain.
Un rapport de la commission nommée par le roi le 7 juillet 1833 s’en inquiète : « Nous avons envoyé au supplice, sur un simple soupçon et sans procès, des gens dont la culpabilité est toujours restée plus que douteuse. Nous avons massacré des gens porteurs de sauf-conduits, égorgé sur un soupçon des populations entières qui se sont ensuite trouvées innocentes ; nous avons mis en jugement des hommes réputés saints dans le pays, des hommes vénérés parce qu’ils avaient assez de courage pour venir s’exposer à nos fureurs, afin d’intercéder en faveur de leurs malheureux compatriotes. Il s’est trouvé des juges pour les condamner et des hommes civilisés pour les faire exécuter. […] En un mot, nous avons débordé en barbarie les barbares que nous venions civiliser, et nous nous plaignons de n’avoir pas réussi auprès d’eux ».
Lorsque l’insurrection algérienne éclate le 1er novembre 1954, le grand colonat agricole contrôle le territoire. En 1947, une assemblée algérienne est supposée voir le jour, sachant que les indigènes « musulmans » sont privés du droit de vote depuis le début de la conquête. Deux collèges électoraux sont alors institués, l’un pour les 900 000 « Français » et l’autre pour les huit millions de « musulmans » et comptent chacun soixante élus. Une élection truquée plus tard, l’Organisation Secrète (OS) est mise sur pied par des nationalistes algériens tels les anciens combattants Ahmed Ben Bella et Mohammed Boudiaf afin de préparer une insurrection armée. Ses chefs arrêtés subissent sévices et mauvais traitements dans les commissariats et gendarmeries et la population s’enfonce elle dans la « clochardisation ». À titre d’exemple, moins de 13% des enfants « musulmans » ont accès à l’école publique au début des années 19505.
L’armée française dénonce aussi continuellement la « clémence » des lois et des procédures judiciaires et met au point des stratégies destinées à faire preuve de la plus grande fermeté. La commission numéro 2 de la 70ème promotion de l’ESG ne s’y trompe pas : le « crime révolutionnaire » est d’après elle « un crime exceptionnel perpétré au cours de circonstances exceptionnelles qui sont celles d’une partie de la phase tactique africaine de la guerre révolutionnaire bolchevique. À des crimes exceptionnels doivent répondre une législation et une juridiction d’exception. Nous évoquons là l’instauration de cours martiales ayant à connaître des seuls crimes révolutionnaires et appliquant une procédure expéditive peut-être sans appel. […] Il est souhaitable que la répartition des pouvoirs et les procédures s’adaptent aux circonstances anormales de la guerre révolutionnaire ». Une commission « Légalité-guerre subversive » présidée par le général De Brebisson dresse elle une liste de mesures que d’après elle les militaires doivent pouvoir faire appliquer sans contrôle de quelque nature qu’il soit parmi lesquelles : l’assignation à résidence, le pouvoir de perquisition de jour comme de nuit, le droit de suspension des fonctionnaires et des élus, l’interdiction des réunions publiques ou privées et l’usage libre de leurs armes par les forces de l’ordre6.
Le 7 janvier 1957, les pleins pouvoirs sont remis par le « ministre résident » Robert Lacoste au général Jacques Massu pour tout le département d’Alger. Ce dernier dispose de fait de la totalité des effectifs de la police urbaine et judiciaire, de la Direction de Surveillance du Territoire (DST), du Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE) et de son bras armé le 11ème choc, soit 3200 parachutistes. Il a en même temps la main sur la compagnie du 9ème zouaves implantée dans la Casbah, de 350 cavaliers du 5ème chasseurs d’Afrique, de 400 hommes du 25ème dragons, de 650 hommes des deux détachements d’intervention et de reconnaissance, de 1100 policiers, 55 gendarmes, 920 CRS et 1500 hommes des unités territoriales. Ces pouvoirs monstrueux servent au chef de la 10ème Division Parachutiste (DP) à « instituer des zones où le séjour est réglementé ou interdit ; d’assigner à résidence, surveillée ou non, toute personne dont l’activité se révèle dangereuse pour la sécurité ou l’ordre public ; de réglementer les réunions publiques, salles de spectacles, débits de boissons ; de prescrire la déclaration, ordonner la remise et procéder à la recherche et l’enlèvement des armes, munitions et explosifs ; d’ordonner et autoriser des perquisitions à domicile de jour et de nuit ; de fixer les prestations à imposer, à titre de réparation des dommages causés aux biens publics ou privés, à ceux qui auront apporté une aide quelconque à la rébellion ».
L’armée est ainsi habilitée à exercer l’ensemble des pouvoirs de police normalement dévolus à l’autorité civile à ceci près qu’elle peut le faire hors de tout cadre judiciaire. Le général Salan, futur chef de l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS) souffle de son côté à Massu une idée lumineuse : « l’enlèvement provisoire et par surprise, par action héliportée, de quelques habitants pris au hasard ou repérés comme suspects en vue d’un interrogatoire sur l’organisation rebelle implantée dans le douar ». Interrogatoires qui devront être « poussés à fond », « immédiatement exploités » et « aussi serrés que possible ». Le premier souci du nouveau shérif est de « faire éclater la fourmilière terroriste » en s’attaquant à son principal repaire, la Casbah, qui compte 74 000 habitants dont 62 000 « musulmans ». Dès le 8 janvier, Massu décide d’isoler le quartier du reste de la ville, avec des barbelés, patrouilles et voitures radio à tous les carrefours, tandis que sont mis en place cinq lieux de passage obligatoires avec fouilles systématiques pour toutes entrées et sorties7.
En 2001, le général Paul Aussaresses raconte dans un livre ses exploits lorsqu’il était parachutiste au temps de la « Bataille d’Alger ». Il affirme notamment avoir pendu l’un des chefs du Front de Libération Nationale (FLN) Larbi Ben M’Hidi dans une ferme appartenant à Robert Martel, pied-noir intégriste de la Mitidja, et déguisé son assassinat en suicide. Durant tout le temps où les paras de Massu « pacifient » la capitale algérienne, 24 000 personnes sont arrêtées et 3000 disparaissent. Aussaresses explique avoir exécuté de nombreux prisonniers qui refusaient de parler sous la torture ou qui étaient « trop mal en point ». Il dit aussi en avoir fait disparaître dans les tranchées de la défense aérienne. Secrétaire général de la préfecture d’Alger, Paul Teitgen dénonce lui les « crevettes Bigeard », ces prisonniers dont on mettait les pieds dans une bassine de ciment et qu’on larguait par hélicoptère dans la mer, à l’initiative du général Marcel Bigeard. La dissimulation massive de cadavres a pour but de terroriser et soumettre les populations. Les disparitions constituent un élément du système mis en place par les paras pour mater définitivement toute velléité de subversion8.
Avec le soutien de l’Église catholique, Massu encourage ses hommes à l’usage de la torture qu’il nomme sobrement « méthodes de coercition ». Il leur recommande également de faire participer un rallié à l’interrogatoire ou de placer deux ou trois prévenus dans un même local pourvu d’un micro. La torture est systématiquement camouflée sous les termes d’interrogatoires « musclés » ou « serrés » visant à « obtenir des renseignements ». A l’École Supérieure de Guerre (ESG), on fustige le 18 juin 1957 « l’incommensurable bêtise d’un progressiste » qui osait protester contre l’interrogatoire énergique d’un individu accusé de terrorisme ! La terreur d’État est légitimée de façon pleine et entière à des fins de « conversion » des personnes arrêtées. L’ESG prône pour cela l’inoculation de la « peur d’un châtiment fort et définitif » afin de réduire à néant les mouvements subversifs9.
Les années 50 sont le théâtre d’une militarisation constante de la société au nom de la « guerre totale » contre « les agents de la subversion internationale ». Cette dynamique permet à l’armée de revendiquer l’exercice direct du pouvoir selon une idéologie réactionnaire et tout simplement fasciste. La dictature érigée en « arme de guerre » trouve sa légitimité dans l’état d’urgence permanent mis en œuvre pour venir coûte que coûte à bout du communisme. Le général Lionel-Max Chassin évoque de manière tonitruante la « mission éducatrice de l’armée au sein de la nation » pour « sauver l’Occident » et insiste sur la nécessité de « former des propagandistes patriotes convaincus ». Il se défend bien sûr de vouloir instaurer le fascisme expliquant que celui-ci n’est qu’en fait une « contrefaçon du communisme » et affirme ne vouloir développer qu’une « idéologie d’inspiration libérale ».
La 69ème promotion de l’ESG sort de son chapeau une solution de génie, celle d’un « système politique à réflexes militaires », l’armée apparaissant pour elle « en l’absence d’un parti unique galvanisant les énergies », comme « le meilleur instrument entre les mains du pouvoir […] pour mener la guerre insurrectionnelle et pour donner une âme et une ossature à la nation ». Le général Hogard obsédé par la « guerre révolutionnaire » refuse tout compromis avec la « révolution totalitaire » et estime incontournable la « désignation d’un Chef et d’un seul » qui serait en capacité de mobiliser tous les moyens à sa disposition pour conserver « le soutien populaire au gouvernement légal ». Il juge enfin fondamentale « l’omniprésence des forces de l’ordre » pour tuer dans l’œuf les mouvements révolutionnaires œuvrant pour le progrès social et humain10.
L’idéologie nationale-catholique constitue un outil précieux pour l’armée française. Les officiers du 5ème bureau, pionnier de « l’action psychologique » en Algérie, comme le colonel Jean Gardes, le colonel Château-Jobert, le colonel Goussault ou le commandant Cogniet participent aux réunions des Missions étrangères de Paris rue du Bac. La Cité Catholique, organisation intégriste légitime dans sa revue Verbe la guerre contre le « mouvement révolutionnaire mondial » dans l’objectif de « remplir notre devoir de Français et de chrétiens ». Elle légitime bien sûr dans le même temps l’usage de la torture en la qualifiant de « peine médicinale » au profit d’un « pouvoir militaire seul apte à restaurer l’autorité perdue de l’État ».
Toujours dans Verbe, au milieu d’articles approuvant la substitution de la hiérarchie militaire à « un appareil judiciaire insuffisant ou inadapté », les « fonctions pacificatrices » sont mises en avant par l’invocation de Saint-Thomas. On y défend alors la « véritable charité » qui consisterait « éviter le mal plutôt que d’avoir à le punir ». Ainsi, « un coupable peut être condamné à une peine, c’est-à-dire à une souffrance, et cela non seulement à titre de juste châtiment – peine vindicative – mais encore pour l’utilité commune et immédiate – peine médicinale – qui est de procurer des renseignements indispensables à la protection du bien commun, lorsqu’il n’est pratiquement pas possible de déjouer autrement les projets qui menacent ce bien commun : cas très fréquent en période de guerre révolutionnaire ». L’appareil doctrinal de l’Inquisition est comme on le voit pleinement mobilisé par les « moines-soldats » de la Cité Catholique en faisant de la souffrance infligée et ressentie par le suspect l’instrument de sa rédemption et donc de sa culpabilité11.
En 1957, deux « spécialistes français de la guerre révolutionnaire » débarquent à Buenos Aires et en février 1960, un accord est signé entre le ministère des Armées dirigé par Pierre Messmer et l’armée argentine. Un impératif est formulé par l’ancien légionnaire : celui de « conquérir l’esprit et l’âme des hommes et des femmes du pays où on se trouve ». Il confirme par ailleurs que dès avant la Seconde Guerre mondiale, des missions militaires françaises existaient au Brésil, en Colombie et au Vénézuela. La première conférence a lieu à l’École supérieure de guerre de Buenos Aires sous la houlette du lieutenant-colonel Henri Grand d’Esnon, durant laquelle il évoque « l’ennemi intérieur » qu’il faudrait identifier et « extraire du sein de la population ». Sa solution : donner à un et un seul individu la totalité des pouvoirs civils et militaires12.
Le 19 mai 1961, le général Salan fait diffuser un manifeste par les « soldats du Christ-Roi » qui ont rejoint massivement les rangs de l’OAS : « Moi, général d’armée Raoul Salan, ancien commandant en chef civil et militaire en Algérie, je prends le commandement du grand mouvement de rénovation nationale. J’ai décidé de réunir tous les patriotes dans un front de combat, sous la devise « Algérie française ou mourir ! ». […] Chaque mouvement, chaque individu qui refuserait mon autorité ferait le jeu de notre ennemi et cautionnerait indirectement la politique d’abandon. Soyons prêts à vaincre ou à mourir et, avec l’aide de la Providence, nous ferons triompher nos justes et légitimes aspirations. Vive l’Algérie française ! ». L’OAS recrute parmi les militaires en cavale et déserteurs ainsi que les pieds-noirs convaincus du caractère indispensable de l’action armée. Son programme est des plus novateurs : « Dans l’état où se trouve la France, il faut une véritable opération chirurgicale qui extirpe définitivement les causes de sa décadence. Cette opération, seuls les nationalistes français peuvent la mener à bien. Il n’existe plus désormais que deux solutions : le nationalisme ou le communisme ».
Les mesures qu’elle préconise sont par exemple : « la dissolution des partis politiques, la suppression des assemblées parlementaires et l’expulsion des Nord-Africains immigrés en Métropole ». Elle se dote aussi d’un organigramme calqué sur celui du FLN, marque des officiers chargés de le traquer durant toutes les années précédant la signature des accords d’Evian. Comme l’armée l’a fait durant toute la guerre d’Algérie, l’OAS quadrille Alger par quartiers et îlots. Elle s’étend aussi en Métropole avec une branche militaire, l’OAS-Métro et installe une délégation extérieure à Madrid sous l’autorité du colonel Antoine Argoud et de l’incontournable Lacheroy. Salan met l’accent sur « l’utilisation des masses » et « la destruction totale et complète de l’adversaire ».
Jean-Jacques Susini, en charge de la branche « Action psychologique et propagande » pense lui que la condition essentielle du développement de son organisation est de « conquérir la foule, et de transformer une masse amorphe et parcellaire en organisation révolutionnaire ». L’OAS a cela de paradoxal qu’elle utilise les méthodes de l’armée française et du FLN pour combattre l’armée française et le FLN. Pierre Messmer constate pour sa part que les directives diffusées par Salan correspondent en tout point à l’enseignement dispensé à l’ESG. Lors de leur procès en 1962, des membres de l’OAS clament haut et fort qu’ils ont utilisé des moyens subversifs pour lutter contre l’action subversive13.
L’étude de la doctrine française en matière de « guerre contre-révolutionnaire » nous permet de cerner sa totale toxicité. Véritable fascisme à l’état pur, elle a servi en Indochine, en Algérie et continue aujourd’hui d’œuvrer en Syrie, en Irak ou au Mali. S’appuyant idéologiquement sur la religion chrétienne, son but est d’asservir ou d’exterminer les populations qu’elle prétend gouverner, au moyen de la torture, de l’emprisonnement ou du meurtre. Elle montre ainsi le vrai visage à la fois de l’armée française et des institutions de la République.
1 « L’épopée indochinoise du colonel Lacheroy », Escadrons de la mort, l’école française, Marie-Monique Robin, éditions La Découverte (2008), page 10.
2 « Guérilla contre guérilla », Ibid, page 21.
3 « La hantise de la « cinquième colonne » », Ibid, page 35.
4 « Les méthodes de la « sale guerre », Ibid, page 54.
5 « Colonisation et racisme ordinaire », Ibid, page 62.
6 « Vers une législation d’exception », Ibid, page 81.
7 « Une législation taillée sur mesure », Ibid, page 93.
8 « Escadrons de la mort et disparitions », Ibid, page 105.
9 « L’institutionnalisation de la torture », Ibid, page 127.
10 « L’élaboration d’un modèle dictatorial », Ibid, page 140.
11 « La Cité catholique justifie l’usage de la torture en Algérie », Ibid, page 160.
12 « Les assesseurs militaires français s’installent à Buenos Aires », Ibid, page 173.
13 « L’OAS : un modèle contre-révolutionnaire », Ibid, page 185.
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