[repression judiciaire nantes] compte-rendu des comparutions immédiates du 18/02/2019
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Local
Thèmes : Gilets jaunesRépression
Lieux : Nantes
Dans la première affaire, les flics « victimes » sont non identifés. La personne accepte la comparution immédiate.
Le juge est offensif.
« Depuis combien de temps vous n’avez pas travaillé ?
– Décembre 2018
– Pourquoi ? Vous n’avez pas trouvé de travail ?
– J’ai voulu me dégager de toute contrainte pour exercer le métier de pompier volontaire
– Pompier volontaire ce n’est pas un métier Monsieur !
– Je compte aussi devenir pompier professionnel »
[…]
La personne a été arrêtée vers 19h par la BAC. Pour le juge se faire arrêter à cette heure là est déjà suspect.
« Vous êtes arrivé vers 14h30/15h. Comment se passait la manifestation ?
– Il y avait déjà des gaz partout. Vers 16h j’ai reçu des menaces de la BAC. »
Le juge le coupe :
« Vous étiez déjà venu manifester à Nantes ?
– Oui
– Alors vous savez que les manifestations à Nantes ça dégénère systématiquement. Pourquoi vous restez ?
– Je suis arrivé sur le cours de 50 otages, il y avait la BAC qui visait les têtes au LBD, qui faisait des doigts d’honneur et qui nous insultait.
– J’imagine que de l’autre côté aussi ça ne devait pas être tendre ! Donc vous savez que les manifestations à Nantes dégènèrent. Pourquoi ce jour là ça vous énèrve ? Qu’est ce que vous faites ?
– J’ai ramassé des pavés et je les jeté
– Où ?
– En direction des policiers
– Pourquoi ?
– Pour les faire reculer »
Le juge reprend le PV des flics. Ils racontent que les keufs qui regardent les images des caméras de la ville depuis le centre de supervision urbain voient quelqu’un desceller des pavés à Commerce. Ils prennent son signalement et le diffusent. Des bacqueux et des flics en uniforme (CDI, DAR, BRI ?) repère quelqu’un qui pourraient correspondre au signalement, le coursent, d’autres le prennent à revers et parviennent à l’interpeller.
Contrairement à d’autre fois le juge ne nie pas les violences des flics, mais en minimise la gravité :
« En ce qui vous concerne, vous n’avez pas été touché par un tir de LBD ?
– Non, j’ai pris des lacrymos
– oui mais ça les lacrymos… ça se disperse
– non, j’ai pris des cartouches de lacrymo en tir tendu dans le mollet. J’ai reçu des palets aussi
– oui bon, ça c’est dans les jambes
– oui
– Vous n’en avez pas parlé, ce n’est pas dans le PV il me semble… »
Il demande ensuite à l’accusé de d’expliquer sur son projet professionnel. Non pas qu’il s’y intéresse, mais parce qu’il a un petit tacle en tête :
« Que vous vouliez être pompier professionnel ou volontaire, ce sont des professions qui sont régulièrement soumises à des violences. Vous en pensez quoi ? Vous ne trouvez pas ça contradictoire ? »
Le fait qu’il n’y ait pas de partie civile identifiée nous épargne une énième plaidoirie d’Annie Huppé, avocate habituelle des flics à Nantes.
La proc trouve que les faits sont simple et que les difficultés qui vont être soulevées par la défense ne devraient pas être prises en compte. Elle fait elle-même la liste des incohérences dans le dossier :
• La description du sweat n’est pas forcément la même dans les deux PV : pour la proc, quand on est derrière les caméras de vidéo-surveillance, entre un sweat avec une bande blanche et un avec une bande jaune, c’est pas forcément possible de déterminer
• Les « victimes » ne sont pas identifiées : toujours selon la proc, comme les « victimes » étaient au milieu de 20 policiers c’est normal qu’on ne sache pas qui est touché/visé. Pour elle, ça ne doit pas empêcher le tribunal de condamner
• Il n’y a pas de « victime » identifiées et pas violences physique : pour la proc encore, il n’y a pas besoin que les victimes soient identifiées pour condamner, ni besoin qu’il y ait un dégât physique : « on condamne tous les jours des geste de violences qui n’ont pas eu le résultat escompté. Ce n’est pas le résultat qui compte, c’est le geste. »
Elle en rajoute encore un peu, dès fois qu’il passerait par la tête du tribunal de relaxer l’accuser : « il est resté en manifestation après les gaz ! Il a avoué, c’est à mettre à son crédit même si c’est incompréhensible qu’il exerce des violences sur des PDAP alors qu’il veut être pompier !
Elle demande : 2 mois de sursis TIG : 105h de TIG avec 2 mois de sursis qui tombent s’ils ne sont pas faits + interdiction de manif pendant 1 an
L’avocat annonce directement qu’il demande la relaxe. Effectivement, il plaide le fait que les flics ne sont pas identifiés et qu’il n’y a pas de violences puisque pas de dégâts, pas de résultat. il fournit le rendu d’un jugement du tribunal de Nantes où des personnes avaient été relaxées parce que les parties civiles n’étaient pas identifiées. Il rappelle ensuite que les seuls éléments matériels du dossier sont la vidéo où la personne accusée est vu descellant des pavés, qu’elle a certe avoué en avoir jeté, dans la direction des flics avec l’intention de les éloigner, pas de les blesser. Il rappelle aussi que la qualification « tentative de violences » n’existe pas.
RENDU : 2 mois de sursis TIG : 105h de TIG avec 2 mois de sursis qui tombent s’ils ne sont pas faits + 1 an d’interdiction de manif.
La seconde personne passe aussi pour des accusations de violences sur des personnes dépositaires de l’autorité publique sans ITT. Ces flics sont anonymes.
La personne est accusée d’avoir jeté un projectile sur des flics vers le carré Feydeau. Elle explique qu’elle n’était pas à la manif, mais au terrain de foot à coté du Mcdo quand les flics ont gazé et chargé. Elle a alors jeté sa bouteille d’eau sans regarder où et sans viser personne.
L’avocat des flics (ce n’est pas Annie Huppé aujourd’hui), donne au tribunal un arrêté où une personne a été condamnée pour des violences qui n’avaient pas eu de résultat. Il demande des dommages et intérêts et la prise en charge de ses honoraires.
La proc explique que « quand on va dans le centre ville le samedi après-midi, c’est malheureux à dire, mais on s’expose à recevoir des gaz lacrymogènes. La réaction normale dans ces cas là c’est de s’éloigner ! ». Elle ajoute que le résultat des ces comportements (on suppose le fait de ne pas partir et de jeter des projectiles, à moins qu’elle ne parle des flics qui attaquent systématiquement les cortèges) ont « des conséquences très dommageables, pas pour la police pour le coup, mais pour les citoyens qui ont le droit de manifester paisiblement ».
Elle demande 3 mois ferme sous bracelet électronique avec un mandat de dépôt en attendant le matériel + interdiction de manif pendant 1 an.
L’avocat est le même que pour l’affaire précédente. Il demande aussi la relaxe. Il commence sa plaidoirie en critiquant le rendu précédent et reprend les mêmes arguments sur la qualification des « violences » :
« Malgré la jurisprudence que vous avez pris il y a quelques minutes et malgré les pièces que je vous ai données et qui n’ont, semble-t-il pas retenu votre attention, ce n’est pas une fantaisie de ma part c’est une doctrine : pour caractériser les violences il faut un résultat ! Je produit l’arrêt que j’ai déjà produit tout à l’heure, mon collègue en produit un autre. Ils sont contradictoires. Celui que je vous donne pose clairement une doctrine, je le redis : il faut un résultat.
Le procureur dit que ce n’est pas important de savoir si c’est une pierre ou une bouteille qui a été jetée, que ce n’est pas le débat. Eh bien si ! Si ce sont des pierres qui ont été lancées en direction des forces de l’ordre, ce qu’ont vu les policiers, ce n’est pas lui. Si c’est une bouteille, elle a été jetée on ne sait pas où puisque les policiers ne l’ont pas vue. ». Ce second argument semble un peu bancal…
Rendu : 200€ d’amende, interdiction de manifester pendant 1 an et rejet des demandes des parties civiles au motif qu’elles sont anonymes.
Depuis le début du mouvement, 1 550 personnes ont été jugées en comparution immédiate en france. 354 personnes ont été incarcérées.
Article relatant et analysant des compas de février à Paris :
https://lenvolee.net/gilets-jaunes-quand-les-juges-obeissent-au-parquet/