On vient d’écouter l’interview d’une autre personne qui s’était faite arrêtée sur la ZAD et qui avait fait de la prison ferme. Actuellement il n’y a « plus que » une personne enfermée dans le cadre de la deuxième vague de destruction d’avril, mais d’autres procès sont à venir. Toi tu as fait plusieurs mois fermes. Qu’est-ce que cette interview t’inspire ?

Ça me permet de savoir ce que d’autres ont vécu et c’est super important. Et puis ça me faisait bien marrer, à un moment il disait des trucs que j’ai complètement vécus. Genre son rapport au patriarcat confronté à d’autres détenus, tu crois y être.

Quand tu étais à l’intérieur tu savais pour combien de temps tu en avais ?

Non. Ce qui s’est passé c’est que je suis resté 24h en garde à vue (qui, si elle dure plus de 24h est illégale et peut constituer un vice de procédure utile pour la défense) et puis en comparution immédiate j’ai demandé un délais pour préparer ma défense. Délais qui m’a été accordé… jusqu’au lendemain. C’était une mascarade.

J’ai été mis en préventive, ensuite j’ai fait appel, appel qui a eu lieu plusieurs mois plus tard et après lequel j’ai été relaxé. Le parquet s’est pourvu en cassation. Si je gagne, et c’est ça qui est important, cela pourra faire jurisprudence pour tous les procès des copaines à venir.

C’était quoi les chefs d’inculpation ?

Des flics portaient plainte contre moi pour m’avoir soi-disant reconnu leur avoir balancé des cailloux, sauf que c’est juste pas possible… Ils ont chopé des personnes et il fallait les faire payer cher pour faire peur à toutes les autres.

Aujourd’hui ils sont verts et j’aimerais vraiment voir leur gueule.

Tu as pu être en contact avec d’autres zadistes enferméEs ?

Non, on était maintenuEs isoléEs les unEs des autres. Il y avait une blague qui disait qu’ils étaient conscients que si on était deux zadistes ensemble, il y aurait une zad dans la prison.

Est-ce que tu sais si la legal team, a réussi à maintenir son boulot pour toutes les personnes jugées et-ou enfermées ?

Pour chaque personne je n’en sais rien, par contre tout le travail qui a été fait par le comité de soutien c’était super balaise. J’ai reçu des lettres de chez vous, un soutien de toute part, c’était vraiment un truc de fous. Et je l’ai dit plusieurs fois : s’il n’y avait pas eu tout cela, je n’aurais pas réussi à faire la peine. Ça l’aurait pas fait…

Sachant qu’il y avait toutes les copaines, ça m’a permis d’être serein.

J’ai reçu des lettres de personnes qui ne me connaissaient pas, qui savaient seulement que j’étais enfermé et qu’on m’avait chopé pour avoir été solidaire comme elles. On m’a aussi beaucoup dit « désolé je t’ai pas écris, je savais pas quoi t’écrire » mais moi je répondais « t’as pensé à moi, t’as pensé à nous, et c’est déjà énorme ».

Tu nous disais qu’en plus des personnes qui soutiennent la ZAD, tu avais reçu un soutien auquel on ne pense pas forcément avec nos préjugés de l’extérieur, qui est celui d’autres détenus.

En fait, pour beaucoup de prisonniers c’était hallucinant ce qui nous arrivait. Je pense qu’ils ne voient pas souvent des gens arrivés pour des choses dont ils ont très peu entendu parler. Pour énormément de prisonniers on reste des gens bizarres, mais on a résisté aux flics comme jamais et il y en a beaucoup pour qui ça signifie quelque-chose.

Par exemple, dans la promenade où j’étais il y avait un raquetteur et s’il y avait pas eu deux trois gars qui étaient allé lui dire « celui-là tu le touches pas » bin je me serais fait démonter, tout simplement. Un autre exemple c’est le fait que mon codétenu avait volé d’autres prisonniers et, en prison, t’es un peu considéré coresponsable quand t’es dans la même cellule. Je me suis retrouvé avec un groupe en train de me parler de ça et il a suffit d’un seul qui a dit « écoute, moi je sais que t’es un zadiste, t’inquiètes t’auras pas d’embrouilles ».

C’est intéressant quand on pense à toute l’énergie mise par le système répressif pour briser les personnes qu’ils chopent. Ça fait partie des micro-résistances qu’ils ne peuvent pas vraiment contrôler.

C’est clair, et qu’ils pourront jamais contrôler…

À propos du procès t’en gardes quel souvenir ?

C’était un procès politique et je pense que même monE avocatE s’attendait pas à des peines aussi graves. Ils avaient fait venir unE proc’ spécialE pour nous et pourtant le/la juge a mis une peine encore plus lourde que ce qu’il/elle réclamait. Alors que l’avocatE était très bonNE, que les accusations ne tenaient pas et que je n’avais pas de casier, il/elle n’a juste rien pu faire. Vu que j’ai été relaxé heureusement ce ne sera plus d’application.

Comme le copain le dit dans l’interview, le statut social aussi joue à fond. Même pas de manière cachée, ils l’assument sans complexe. Le fait que j’avais pas de domicile, pas de travail, que j’étais pour eux un inadapté social, c’est pas un crime légalement mais dans les faits si ça l’est. À mon avis ils mettent des peines d’autant plus lourdes qu’ils pensent que les personnes sont isolées socialement et n’auront pas de soutien. Sauf que là c’était raté, à mon procès il y avait des personnes qui m’attendaient à l’extérieur pour me dire « courage » et dans la salle il n’y avait que des copaines et quand je suis sorti du tribunal pour retourner en prison il y avait des dizaines de personnes qui criaient mon nom, ce qui a fait paniquer les matons.

Quand tu étais enfermé, c’était toujours clair dans ton esprit pourquoi tu payais ce prix-là ?

Je me suis défendu, on s’est défenduEs, et le pourquoi est resté très clair oui.

Cela rejoint une autre question : quand les personnes qui sont dehors pensent à celles qui ont payé pour tout le monde, il peut y avoir une relation ambiguë, un mélange de solidarité et de culpabilité. C’est pour ça que le travail des legal team ou des personnes qui ont un peu plus l’habitude est tellement important : pour informer celles et ceux qui voudraient faire ne serait-ce qu’un petit quelque-chose et sur comment le faire. Tu donnais l’exemple des lettres envoyées, c’est uniquement parce que quelques personnes ont le réflexe d’aller chercher les adresses et d’informer d’autres que c’est possible d’écrire que cela se fait.

Je me dis vraiment que si j’ai été enfermé mais que ça a pu renforcer l’énergie collective et bin ça les fait perdre encore un peu plus. Je me suis vraiment rendu compte en étant en prison qu’avec tout le collectif derrière en fait on est vachement fortEs.

Ça tu l’as senti quand tu étais à l’intérieur ou une fois que tu es sorti ? Par exemple, quand des rassemblements de soutien sont organisés les personnes concernées ne peuvent pas nécessairement le savoir.

Quand j’étais à l’intérieur.

J’ai reçu énormément de courrier et ça fait un plaisir fou. J’ai vraiment senti plusieurs fois ce sentiment qu’on est nombreux/euses et qu’on est fortEs.

C’est vrai qu’on peut pas savoir tout ce qu’il se passe pour nous à l’extérieur, comme les objets envoyés mais qui sont bloqués par l’administration dont parle le copain. Pour ça, les feux d’artifices devant la prison c’est vraiment juste génial. Puis quand d’autres détenus te disent « Y’avait tes copaines hier », ça fait trop du bien et là on se sent vraiment soutenuEs.

Avais-tu la possibilité de t’informer de ce qu’il passait sur la ZAD ou de n’importe quel sujet ?

Non, pas du tout. Puisque tous les courriers sont lus, comme le dit le copain dans l’interview, je n’avais que quelques informations très basiques.

(il nous fait lire un texte qu’il a écris pendant sa détention puis on continue la discussion)

Il se passe plein de chose à notre-dame qui me plaisent ou me déplaisent et j’ai envie d’écrire dessus.

C’est une question qu’on se posait : après une épreuve de ce type, est-ce qu’on a encore l’énergie de se repositionner par rapport à la lutte en question ou préfère-t-on la quitter ou au moins attendre pour remettre la tête dedans ?

Peut-être que ça peut arriver à d’autres, mais pour ma part dans ce cas-ci je me sens plus fort et j’ai encore plus envie de faire chier ce système de merde.

Ils font ça pour nous briser, c’est clair, mais c’est justement là que je me dis aujourd’hui « vous avez raté, et je vous emmerde ». À ce niveau là, un rien peut faire la différence.

Tu veux encore ajouter un truc ?

Non, par contre je veux bien partager un morceau :

Collectif Mary Read “5 000 ans d’erreurs”