Vincent bolloré met la main sur le deuxième éditeur français
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Catégorie : Global
Thèmes : Médias
Le monde de l’édition des livres a connu quelques bouleversements ces dernières années. Après que Madrigall [1] eut acheté Flammarion à l’Italien Rizzoli en 2012, c’est le groupe Médias participation qui a acquis en 2016 le groupe La Martinière-Le Seuil. Et c’est maintenant Vincent Bolloré, l’homme des poursuites-bâillons, qui vient d’ajouter à la mosaïque de sociétés qu’il possède, une nouvelle pièce : le deuxième éditeur français, Éditis, qui regroupe 45 maisons d’édition [2] repris pour 900 millions d’euros au groupe espagnol Planeta, le 15 novembre 2018.
Par une sorte de bégaiement de l’Histoire, cette transaction a été réalisée par Vivendi, possession de Bolloré, vingt ans après le rachat d’Éditis par le même Vivendi, alors aux mains de Jean-Marie Messier. À l’époque, cela ne lui avait pas porté bonheur, puisqu’il avait dû revendre Éditis en catastrophe, quatre ans plus tard, à son concurrent historique, Hachette-Lagardère. Mais Hachette se trouvant de ce fait en situation de quasi-monopole dans plusieurs segments de l’édition française, la Commission européenne l’avait alors contraint à revendre 60% d’Éditis. C’est ainsi que l’éditeur avait été racheté en 2004, à la surprise générale, par le baron Seillière (patron du Medef) via son fonds d’investissement Wendel. Lequel le revendait, quatre ans plus tard en 2008, à Planeta, un mastodonte de l’édition espagnole, avec une forte plus-value et malgré ses engagements formels de garder Éditis beaucoup plus longtemps. Le même groupe espagnol vient à son tour de le revendre à Vivendi… la boucle est bouclée.
Après toutes ces péripéties, c’est un Éditis amaigri qui tombe dans l’escarcelle de Bolloré, lesté des 40% qui sont allés à Hachette et, qui plus est, déficitaire en 2017. Le chiffre d’affaires d’Éditis représente aujourd’hui le tiers de celui de Hachette qui domine ainsi largement le secteur de l’édition en France.
Chez les salariés du groupe Éditis, édifiés par la gestion calamiteuse de Bolloré à Canal+, autre possession de Vivendi, l’ambiance n’est pas à l’euphorie. Leur quatrième patron en vingt ans risque de n’être pas plus tendre à leur égard que le baron Seillière, un autre fou de rentabilité. Entre 2004 et 2008, ce dernier avait imposé des mesures drastiques : réductions d’effectifs et gel des salaires, etc. Début septembre 2018, Nicole Vulser évoque dans un article du Monde l’ambiance dans le groupe : « La façon dont Canal+ a été malmené par Vivendi agit comme un repoussoir. Vincent Bolloré, alors à la tête du conseil de surveillance de Vivendi et de Canal+, a exigé d’affadir les sketches des Guignols, au point que, faute d’audience, l’émission satirique a été supprimée. Aussi l’arrivée de ce patron et de son fils fait-elle grincer des dents. Mais craignant d’être satellisés sur une liste noire, la plupart des auteurs et des éditeurs parlent sous anonymat. »
Ce rachat est un nouvel exemple d’une tendance qui s’affirme depuis bientôt deux décennies dans l’ensemble des maisons d’édition : leur prise en main par des hommes d’affaires qui n’ont aucune culture de l’édition et se soucient comme d’une guigne de la qualité des ouvrages qu’ils publient. Les Lagardère, Seillière, Messier, Wertheimer (Le Seuil jusqu’en 2017), Kessler, Bolloré, ne cherchent dans l’édition de livres qu’à produire de la rentabilité à court terme. Avec une telle stratégie, il devient de plus en plus difficile, pour les maisons qui appartiennent à ces grands groupes, de pouvoir publier, si elles le souhaitent encore, des ouvrages qui demandent du temps pour être reconnus du public, ou encore des ouvrages de jeunes auteurs qui n’ont pas, par définition, de rente de situation.
Pour des groupes comme Hachette-Lagardère ou Éditis-Bolloré, déjà fortement présents dans d’autres médias, la recherche de rentabilité passe notamment par celle de « synergies » entre les diverses sociétés qui composent leur conglomérat. André Schiffrin dans son ouvrage paru en 2005, Le contrôle de la parole [3], parlait à ce sujet et à propos de Hachette, de « promotion croisée des produits grands médias proposés par le Groupe, à travers ses grands relais de communication : ainsi du dernier livre publié par Grasset dont la promotion publicitaire ou éditoriale pourra être faite sur Europe 1, dans les colonnes de Paris-Match, du Journal du dimanche, de La Provence et des groupes comme AOL, Time Warner, Viacom ou d’autres […] ».
Dans le même esprit, Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi, préfère s’appuyer sur le cas « Paddington » [4]. « Les droits, rachetés par Vivendi à la famille qui en était propriétaire, ont permis de développer deux films, dont la bande-son était signée Universal Music (propriété de Vivendi ndlr). Et aux 25 millions de peluches vendues jusqu’ici s’est ajouté un programme de licences très varié : du jeu vidéo « Paddington Run » de Gameloft (2 millions de téléchargements), à l’édition via un accord global avec Harper Collins en passant par les parcs à thèmes (« Paddington on Ice », à Europa Park en Allemagne) mais aussi Marks & Spencer au Royaume-Uni (vêtements pour enfants, nourriture, jouets). En résumé, nous voulons tout simplement répéter que ce qu’a fait un certain Walt Disney en 1954 avec une souris nommée Mickey » [5]. Pour ce qui est des « synergies », il est vrai que Vincent Bolloré ne manque pas d’expérience, comme en témoigne la promotion de son Autolib’ dans son DirectMatin.
Le baron Seillière, alors patron d’Éditis, prétendait que ça « l’amusait » de publier des livres de José Bové ou de Michael Moore. Début janvier 2019, Vincent Bolloré a gagné un de ses procès-bâillons pour diffamation contre Mediapart, après en avoir perdu un précédent en mars 2018. Le 7 mars prochain doit paraître aux éditions de La Découverte, désormais propriété de Bolloré, le dernier ouvrage d’Edwy Plenel qui porte sur les gilets jaunes, La victoire des vaincus. Une bonne occasion de voir si « le petit prince du cash flow », alias Vincent Bolloré, s’amuse autant que le baron.
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