Mise au point sur les classes sociales
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Mise au point sur les classes sociales
L’analyse historique dite marxiste, consistant à montrer l’émergence d’une classe bourgeoise – possédant les moyens de production – et d’une classe ouvrière – dépossédée de ses moyens d’existence et ne disposant que sa force de travail à vendre pour survivre – a été importante pour comprendre l’évolution du monde à partir de la première révolution industrielle. Elle a permis de mettre en lumière des rapports sociaux dits capitalistes, dans lesquels les ouvrier·e·s dépossédé·e·s (ou prolétaires) sont non seulement exploité·e·s – dans le sens que la « plus-value » créée par leur travail (conjugué au capital, c’est-à-dire principalement aux machines, et aux « ressources naturelles » comme l’énergie) est accaparée par les propriétaires des moyens de production (les capitalistes) – mais aussi aliéné·e·s, dans le sens que les moyens et les finalités de leur existence leur échappent.
Mais les choses ne sont pas aussi simples. Un paradoxe peut être relevé : ces deux classes sont à la fois antagoniques – elles ne cessent de s’affronter dans une « lutte des classes » pour gagner les richesses issues de la production, voire pour la maîtrise de la production elle-même – à la fois elles partagent un intérêt commun à travers la dépendance à l’économie industrielle, pour que le monde s’industrialise et que cette économie croisse. D’où une vision « prolétarienne » du progrès, qui explique que la majorité des marxistes et des syndicats des secteurs industriels ont été favorables au « développement des forces productives » et au « déchaînement des forces de la nature » mis en œuvre par les scientifiques et les ingénieurs, et que les régimes socialistes ont œuvré à l’industrialisation des campagnes et à l’expropriation des paysan·ne·s considéré·e·s comme des propriétaires privés et des réfractaires au progrès social.
D’autre part, même après la chute de l’économie féodale, les rapports capitalistes ne sont ni la seule forme d’exploitation fondamentale, ni la seule déterminante sur l’évolution historique : les rapports de genre sont tout aussi centraux à travers l’assimilation du travail reproductif gratuit (cf S. Federici, Caliban et la sorcière). De plus, le capitalisme n’a jamais pu fonctionner sans qu’une large partie de l’humanité soit déshumanisée par le racisme et dénuée de salaire et de contrat de travail dans le cadre de divers rapports esclavagistes et coloniaux. Si on ajoute le « travail » ou les « ressources » extorqués sans renouvellement à ce qui est considéré comme la « nature », on voit que le capitalisme fonctionne sur la base d’une combinaison de travail salarié, de travail gratuit et de pillage.
Et le fait d’être dominé·e dans un certain rapport social n’empêche pas un·e individu·e (ou un groupe) d’être dominant·e dans un autre. Les dominations sont souvent liées les unes aux autres et se renforcent. Or la vision marxiste a eu tendance à devenir une vision exclusive, ne considérant que la domination de classe et l’exploitation capitaliste, négligeant les autres rapports de domination et d’exploitation, notamment à l’intérieur d’une classe sociale qui évidemment n’est jamais homogène dans la réalité. Cette tendance est même allée jusqu’à considérer qu’il n’y avait que deux classes sociales incluant toute l’humanité, au profit d’une construction identitaire prolétarienne réductrice.
Où mettre dès lors les paysan·ne·s ou les communautés indigènes en tant que parties prenantes dans les changements historiques ? Celles-ci peuvent avoir participé à l’émergence des rapports capitalistes, comme les paysans aisés d’Europe qui ont bénéficié des enclosures, ou agir comme force de résistance et de subversion comme les zapatistes au Chiapas d’aujourd’hui. Les enclosures sont le mouvement de privatisation des terres communes qui exproprie les paysans pauvres depuis trois siècles. Sur les terres communes, un individu ne peut pas valoriser personnellement un investissement, par exemple améliorer ses terres avec des engrais verts lorsque les paysans pauvres y font pâturer leur bétail. Pour nourrir davantage de gens, il faut soit une organisation communautaire solidaire, soit la privatisation des terres. Si l’Europe a opté pour la seconde option pour nourrir la révolution industrielle (en prolétaires et en nourriture), ce n’est pas seulement à cause de la montée en puissance des marchands, c’est aussi en s’appuyant sur les inégalités au sein des sociétés paysannes.
Aussi, la situation s’est complexifiée par rapport au XIXème siècle, avec l’émergence de larges secteurs des populations des pays industrialisés qui sont à la fois exploiteur·euse·s et exploité·e·s : salarié·e·s qui possèdent leur maison et exploitent une femme de ménage, fonctionnaires dont la caisse de pension investit sur les marchés financiers, petits patrons sous-traitants pour des gros acteurs du marché, agriculteur·trice·s endetté·e·s exploitant du personnel tout en étant exploité·e·s par les banques et la grande distribution… Ce qui a pu être considéré comme « classe moyenne » avec ses petits capitaux tend à servir de relais à l’exploitation, souvent au détriment des immigré·e·s les plus récent·e·s.
Ça n’empêche que cette société, avec sa stratification complexe, reste une société de classes dont la plupart des marchandises sont produites dans des usines qui appartiennent à des capitalistes qui n’y travaillent pas, et où travaillent des prolétaires qui ne possèdent rien. Le credo anarchiste « pour une société sans classes et sans État » n’a pas perdu son objet.
Ça n’empêche pas non plus que la moitié des humains travaillent toujours dans les champs, manuellement pour la plupart, à l’écart du capitalisme mais succombant à ses assauts par millions chaque année. Le processus d’accaparement de terres, d’enclosures et de prolétarisation est toujours en cours.
Les classes sociales restent pour certain·e·s d’entre nous un outil d’analyse et de lutte. Quand une lutte est menée par des dominé·e·s, armé·e·s ou pas d’une « conscience de classe », contre l’oppression qu’illes subissent, ça fait sens d’un point de vue anarchiste, sans qu’on doive idéaliser tout ce qui s’y joue ni perdre de vue la perspective globale de l’abolition de toute domination. Cette perspective doit être portée, envers et contre tous les écueils de l’achat de la paix sociale, de la collaboration de classe, de la division, de la médiation et de la récupération.
Marrant, ou tragique, de retrouver cette « analyse de classes (sociales) » chez les philosophes atomistes grecques ou asiatiques plus de vingt siècles avant le duo Marx/Engels
Ce texte nous donne une série d’affirmations qu’il se garde bien d’étayer, dans la mesure où de toute façon il ne le pourrait pas ; il semble en tout cas à en lire certains passages que ses auteurs ne comprennent rien à ce que sont les classes sociales, ni à ce qu’est l’exploitation :
« ces deux classes… partagent un intérêt commun à travers la dépendance à l’économie industrielle, pour que le monde s’industrialise et que cette économie croisse. »
On retrouve ici une très classique vision stalinienne qui fait du progrès industriel et économique une volonté commune des bourgeois et des prolétaires. Jamais les marxistes n’ont écrit une idiotie pareille, d’abord parce que cela indique que les prolétaires aimeraient se faire exploiter (vive Stakhanov !) et d’autre part parce que dans le mouvement marxiste, chez Marx notamment, la question n’est pas que l’économie croisse, mais que le PROLÉTARIAT se développe, en tant que fossoyeur du Capital ! Idée qui a été déformée évidemment par les Staliniens pour justifier l’exploitation féroce des prolétaires dans les Pays de l’Est…
« les régimes socialistes ont œuvré à l’industrialisation des campagnes et à l’expropriation des paysan·ne·s considéré·e·s comme des propriétaires privés et des réfractaires au progrès social. »
Dès que les auteurs de ce texte nous auront expliqué ce qu’ils appellent « pays socialistes », ce qui sort directement de la prose de Staline, on pourra essayer de comprendre ce qu’ils disent. Les « Pays de l’Est » ont toujours été aussi capitalistes que les autres, et on comprend bien mieux ainsi pourquoi ils ont cherché à développer leur économie à marche forcée ! Il n’y a jamais rien eu de « socialiste » là-dedans, à charge pour ceux qui l’affirment de le démontrer !
« les rapports capitalistes ne sont ni la seule forme d’exploitation fondamentale, ni la seule déterminante sur l’évolution historique : les rapports de genre sont tout aussi centraux à travers l’assimilation du travail reproductif gratuit »
On retrouve ici une vieille antienne de la clique féministe « marxiste » mais bien stalinienne représentée par Delphy & co, qui considère que le travail de la femme au foyer est une forme d’exploitation par le mari. Autrement dit, comme l’affirme par ailleurs ce texte, les prolétaires pourraient s’exploiter entre eux ! Outre que l’exploitation est parfaitement quantifiable sous la forme d’un taux de profit et qu’on attend la quantification de l’« exploitation domestique », on mettra en avant à nos soi-disant(es) féministes marxistes que l’exploitation ne peut s’exercer que dans la sphère de la PRODUCTION, et qu’il est impossible qu’elle existe dans celle de la REPRODUCTION. Les rapports de production capitalistes ne sont pas la seule forme d’exploitation fondamentale ? Démontrez donc qu’il existe une autre forme de plus-value que celle extorquée par la bourgeoisie, messieurs !
Ajoutons à cela que l’histoire de la classe ouvrière nous apprend que les femmes ont été mises au boulot comme les hommes et les enfants et dans les mêmes conditions ! Le modèle ici utilisé de « mari qui travaille et de femme au foyer » est en fait très récent…
La liste faite par le texte des soi-disant populations qui seraient à la fois exploiteuses et exploitées est quant à elle risible : depuis quand les ouvriers exploitent-ils une femme de ménage ? En la faisant travailler sur leurs propres machines ? En utilisant le salariat pour en tirer une plus-value plus importante ? Quelle salade ! Depuis quand les « fonctionnaires » sont-ils responsables de la gestion de leurs caisses de retraite ? Où ça ? Et qu’en tirent-ils exactement ? Où et comment les ouvriers des pays développés tirent-ils une plus-value de « l’exploitation » des immigrés ? C’est un tissu de mensonges dont la seule finalité est de DIVISER LES PROLÉTAIRES en leur faisant croire qu’ils auraient des intérêts divergents.
La cerise sur le gâteux, c’est l’idée que le marxisme aurait déterminé qu’il n’existerait que deux classes sociales, et qu’on peinerait à y ranger les « communautés indigènes ». Rosa Luxemburg dans son Introduction à l’économie politique faisait déjà remarquer que le rythme d’intégration des « communautés paysannes primitives » était très différent selon le développement du capitalisme local. Tout comme c’est très récemment que la Chine a intégré une partie de sa population paysanne dans les rapports capitalistes, ce qui est une partie de l’explication de son développement récent, il y a des endroits où le Capital n’a pas eu la force d’intégrer une partie de la paysannerie traditionnelle. Est-ce que ça fait de ces « communautés » autre chose qu’une survivance archaïque socialement ? En quoi les Zapatistes sont-ils une force de subversion ? Ils ont l’intention de détruire les rapports de production capitalistes ? Depuis quand ? Et quel modèle de société peuvent-ils proposer ? Questions sans réponses pour l’instant…
La plus value de l’exploitation domestique est quand même pas très difficile à démontrer. C’est du temps de repos ou pour l’épanouissement personnel (en allant à une réunion politique ou en buvant la bière devant le foot).
On peut aussi rajouter une certaine dépendance économique, de la personne qui a la charge de l’éducation des enfants et ne peut s’épanouir complètement dans sa vie culturelle ou professionnelle.
…
Évidemment un certain marxculinisme aura peut être quelques difficultés à y voir une analogie. Et puis ce lien obligatoire »prolétaire – machine » d’où ça sort ?
S’ il n’y a que des inconvénients pour les enfants, pourquoi en faire ?
moi je pense que ça sert à rien d’en faire trop, vu déjà la surpopulation planétaire mais bref…
Par contre il n’est pas écrit que c’est que des inconvénients, mais que si une seule personne supporte la plus grosse partie de la charge, dans une société capitaliste. ça la rend dépendante de l’autre ou d’autre chose (état, travail, …).
Question lutte de classes et vérité révolutionnaire vous avez aucune chance contre le CCI.
« La plus value de l’exploitation domestique est quand même pas très difficile à démontrer. »
Encore une fois, il faudrait poser la question correctement : la plus-value, c’est QUANTIFIABLE. Si ça ne l’est pas, c’est qu’il n’y a pas exploitation, c’est une question de définition. L’exploitation est une question économique, pas morale !
Et ajoutons pour terminer que j’aimerais savoir ce que Rade y Calle appelle exactement « épanouissement professionnel », parce que dans le travail aliéné, c’est juste synonyme de « bon travailleur bien rentable ».
Ben, le repos c’est quantifiable, puisque ça fait parti du salaire.
Et oui l’épanouissement professionnel fait parti du capitalisme, mais l’exploitation domestique transcende les systèmes politique et économique. C’est pour cela que je pense qu’on peut le voir comme un conflit de classe.
« Où et comment les ouvriers des pays développés tirent-ils une plus-value de « l’exploitation » des immigrés ? C’est un tissu de mensonges dont la seule finalité est de DIVISER LES PROLÉTAIRES en leur faisant croire qu’ils auraient des intérêts divergents. »
Extrait du texte :
« salarié·e·s qui possèdent leur maison et exploitent une femme de ménage »
Bonsoir.
« DIVISER LES PROLÉTAIRES en leur faisant croire qu’ils auraient des intérêts divergents. »
Parce que les prolétaires hommes et femmes sont à égalité dans le salariat peut-être ?
Tenir au travail
https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2013-1.htm
Les ressorts invisibles des inégalités femme-homme sur le marché du travail
https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2011-2-page-24.htm
« Elles consacrent également, chaque jour, 3h13 aux tâches ménagères contre 1h12 pour les hommes »
https://www.novethic.fr/actualite/social/conditions-de-travail/isr-rse/la-charge-mentale-des-femmes-un-risque-de-burn-out-au-travail-144457.html
« l’exploitation des femmes par les hommes n’existe pas ! »
La condition de la femme au XXIe siècle
https://nantes.indymedia.org/articles/25961
« Le « féminisme » : une idéologie au service de la bourgeoisie »
VOILA LES KAKA$$ DU CCI !!
http://fr.internationalism.org/book/export/html/2360
Même si on est pas d’accord peut-être est il urgent de pouvoir énoncer différents points de vue pour enrichir la réflexion collective sans tenter d’écraser l’autre sous un scientisme connoté de mépris pour le prolétaire qui n’a pas eu la chance de la grâce…. Vu ce qui se passe aux Usa, la vieille classe ouvrière garantie et masculine de la rust belt qui a donné le pouvoir à Trump et aux bigots, contre les migrants, femmes et lgbtqi, on voit que des clivages échappant au rapport salarial déterminent une division des exploités et exploitées. Racisme et patriarcat existaient avant le capital, préparant la servitude volontaire, Centrale pour le maintien de la domination d’une classe dhyperriches.
«Parce que les prolétaires hommes et femmes sont à égalité dans le salariat peut-être ?»
C’est un argument ? Au sujet de quoi ? Quand on ne comprend pas que l’exploitation est COMMUNE À TOUS LES PROLÉTAIRES, effectivement on peut se retrouver comme le font régulièrement les Staliniens à expliquer qu’il y a des strates divergentes au sein du prolétariat. C’est d’ailleurs la base du syndicalisme, l’outil principal de l’Etat contre la classe ouvrière.
Que change exactement le fait que les femmes sont souvent moins bien payées que les hommes ? Et que les migrants sont moins payés que les autochtones – quand ils le sont ? Et que les handicapés sont moins payés que les valides ? On peut toujours trouver moins payé que soi. Les femmes et les hommes ne sont pas toujours payés la même chose à travail égal, mais du point de vue du salariat, ils sont absolument égaux ! Quelle idée débile !
Et au passage, quand on est un prolétaire, si on est mieux payé qu’un autre, c’est qu’on produit plus de plus-value et que par conséquent on est plus exploité, c’est une question économique, CQFD !
Quant à démontrer que les hommes exploiteraient leurs femmes, j’attends toujours une démonstration, mais visiblement 19:15 n’en a pas la capacité, nous renvoyer à des textes qui n’ont rien à dire est effectivement plus simple.