Elections en uruguay : chronique personnelle
Catégorie : Global
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Depuis plusieurs mois (après deux séjours) je vis à Buenos Aires. Le 26 octobre 2004, je décide de me rendre en Uruguay, pour une question migratoire, le délai de séjour sans visa de trois mois arrive à son terme, il me faut passer une frontière. Le 31 octobre ont lieu les élections présidentielles en Uruguay, où la gauche, emmenée par le cardiologue Tabare Vasquez, va sûrement l’emporter pour la première fois de son histoire. C’est un évènement important mais je me disais « c’est un centre-gauche, il ne servent qu’à empêcher les luttes populaires, à canaliser les révoltes, ca vaut pas la peine d’assister à ca », je n’allais pas tarder à me rendre compte que j’avais tort. Mais le 26, est un jour important en Argentine, depuis le 26 juin 2002 et la répression du Pont Pueyrredon qui enleva la vie à Dario (Santillan) et Maxi (Kosteki), tous le 26 de chaque mois il y a un blocage du pont pour exiger que les « responsables matériels et idéologiques soient condamnés », impunité, impunité… Et ce mois ci, il y allait y avoir de la tension car un secteur des piqueteros a négocié avec le gouvernement et les commercants de la zone pour laisser une voie libre, ce qui a entrainé la réprobation du secteur « combatif ». Mais bon, revenons à l’Uruguay et traversons le Rio de La Plata pour nous y rendre.
La gauche uruguayienne a formé une coalition, « Encuentro Progresista-Frente Amplio-Nueva Mayoria », comunément appelé el Frente (FA). Elle devrait l’emporter dimanche et mettre un terme au règne du Parti libéral (Parti Colorado) au pouvoir depuis plus d’un siècle. La situation économique et sociale n’est pas étrangère à cette victoire : 40% de pauvres (60% des enfants), dette publique supérieure au PIB, corruption… (maux communs aux pays d’Amérique Latine).
En arrivant à Montevideo, je ne connaissais pas grand chose de la situation historique et politique de l’Uruguay, j’avais entendu parler des Tupamaros (guerilla urbaines des années 60-70), de la dictature militaire et de ses assassinats, des émeutes et pillages de décembre 2001 quand les uruguayiens avaient suivi l’exemple des argentins, de l’autre côté du Rio de La Plata (certains disent que les uruguayiens imitent toujours les argentins, bien sûr ce sont des argentins qui le disent et pour prendre la défense des uruguayiens on peut dire que ceux ci n’ont pas créé cette « merde » politique et institutionnelle qui est le Péronisme…). J’avais également lu que les uruguayiens étaient très politisés, comme l’a écrit Galéano, « trois millions d’idéologues politiques ». Et le moins que je puisse dire est que cette politisation saute aux yeux (période électorale oblige peut-être). Presque tous les murs de la ville appellent à voter pour tel ou tel candidat, les drapeaux fleurissent aux fenêtres, sur les voitures (avec une grande prédominence pour la gauche).
Hier, mercredi 27, le FA a organisé le meeting de clôture de sa campagne. Ce fut incroyable. Une marée humaine a déferlé sur le centre ville dans une effervescence que l’on pourrait qualifier de révolutionnaire mais qui était avant tout joyeuse et festive (mais comme disaient les situs, « la révolution sera une fête ou ne sera pas »), comme si les « frentistes » étaient sûr de leur victoire. Des sourires, des chants (« je suis du Front, le Front c’est moi », « je le vois, je le vois, Tabare président », « el pueblo unido, jamas sera vencido », « si ceci n’est pas le peuple, dis moi où il est »…) et des drapeaux, des drapeaux, l’uruguay devrait être la première industrie textile du monde… mais non. L’affluence était incroyable, les rues ont été littéralement envahies, je me suis retrouvé noyé dans cette foule et ai fait la connaissance de Miguel, la cinquantaine, maître de primaire, venu avec toute la famille. Il me dit que c’est un « jour historique », que tout le monde attend la victoire du Frente depuis 1971 (date de sa création), que l’espoir est énorme. Je lui pose des questions sur le Frente, il me répond qu’à l’intérieur il y a une gauche et un centre, que lui est plutôt de la gauche (gauche de la gauche), que le Mouvement de Participation Populaire (MPP), issu des ex-Tupamaros représente un tiers des frentistes, suivi par le PS (20%) et le PC (10%). Je lui demande comment il voit l’avenir, comment ces différents courants vont s’entendre dans le gouvernement, que vont-ils faire au sujet de la dette externe… Il me répond : « Nous avons moins de luttes internes que la droite, il y a une gauche et un centre mais les deux respecteront le programme. Nous devons maintenir l’unité et la discipline, surtout si nous voulons gagner les élections qui suivront celle-ci. De plus, cela fait plus de trente ans que nous attendons cela, nous n’allons pas tout gâcher, nous allons nous battre. Pour la dette, il nous faut absolument une réduction de celle ci et pour cela nous devons nous unir avec les autres pays d’Amérique Latine pour l’imposer, en plus cette dette a commencé avec les militaires (comme en Argentine). » Il me cite l’exemple de Montevideo, gagnée par le Frente il y a dix ans et conservée depuis : « ce que nous avons fait avec Montevideo, nous allons le faire avec le pays. » Une femme se faufile derrière nous en criant « où est mon sandwich ? » Je demande à Miguel si ici il existe un clientélisme politique comme en Argentine (héritage de Peron) où les gens vont aux meetings en échange de nourriture, argent ou autre chose. Il me répond que la droite au pouvoir agit de cette manière mais qu' »ici, clientélisme zéro ! « , en montrant la foule. Il y avait tellement de monde que nous étions relativement éloignés de la scène du meeting, nous ne pouvions donc pas voir Tabare (et même si nous avions pu le voir, avec ces drapeaux…)et difficilement l’entendre malgré les hauts-parleurs. Ernesto (non je l’invente pas), un casque de walk-man sur les oreilles, écoutant le discours à la radio, se met à répéter chaque mot du discours de Tabare, se transformant lui-même en futur président. Cette scène était surréaliste, les gens se pressait autour de lui, lui criant de continuer quand il s’arrêtait, et Ernesto se prenant au jeu, prenant des intonations de Fidel Castro.
Venu le moment de la déconcentration, un raz de marée bleu, blanc, rouge (couleurs du FA) submerge l’avenue du 18 juillet. La circulation est bien sûr intérrompue, des milliers et des milliers de personnes défilent accompagnées de voitures « frentistes », sur une file les gens à pied, sur l’autre les voitures, la discipline de Miguel ? Concert de klaxons, cris, chants, mais qu’est ce que ca va être dimanche soir ? L’ambiance me fait penser à celle qui prévalait en mai 81 à Paris ou en 1959 à La Havane, d’ailleurs les couleurs des drapeaux sont les mêmes. Espérons que cet énorme espoir ne suive pas ces deux exemples et que l’Uruguay trouve la troisième voie du changement social, qui implique avant tout la participation effective de toute la population aux prises de décisions et une économie décapitalisée.
Plongé dans ces considérations politiques, je décide de me rendre au siège du MPP, passe devant celui des Tupamaros (mais ils existent encore ?) et assoiffé, tombe dans un bar rempli de « frentistes » (mais comment sus-tu que cela en était ? Eh par les drapeaux pardi !), surtout des jeunes (ca me fait encore penser à Galeano qui disait, évoquant le vieillissement de la population « on rencontre dans les rues plus de fauteuils roulants que de landaus »). L’ambiance est électrique, conviviale. A la télévison, apparaissent les images du rassemblement et de la manifestation, on parle de 500 000 personnes, de la moitié des habitants de Montevideo… Puis sont diffusés les résultats du dernier sondage : FA 53%, Parti National (droite conservatrice) 30%, Parti Colorado (libéraux) 10%, explosion de joie, applaudissements, chants… Le reste de la soirée ne vous regarde pas.
Ah, au fait, je me suis acheté un drapeau !
Fab (santelmo@no-log.org)
Montevideo, 28 octobre 2004
Pour plus d’informations sur l’Uruguay (et l’Amérique Latine), vous pouvez vous rendre sur l’excellent site de RISBAL : http//:risbal.collectifs.net
et Eduardo Galeano, « A la veille des élections. Une contradiction appelée Uruguay » : http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=27698
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