Rojava : « interview du commandant cihan kendal des ypg »
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Catégorie : Global
Thèmes : AntifascismeContrôle socialGuerreLibérations nationalesResistances
« […] Mais, alors que nous parlons de consolider une révolution, il devient clair que la politique classique des partis qui travaillent simplement dans les parlements ne fonctionne pas. Ils peuvent certes être une partie du mouvement et même une partie significative du mouvement ; quand tu essaies de construire un système alternatif, tu peux essayer de travailler dans le système existant, mais ce n’est pas suffisant ; le plus important c’est quand les gens s’organisent pour diriger la société eux-mêmes, aillent au-delà de l’État. Abdullah Ocalan a une formule pour cela – « État plus démocratie ». »
L’État plus la démocratie ? Le Rojava n’est-il pas contre l’État ?
« Oui et non. Oui, nous avons jeté Assad hors du Rojava, mais nous sommes suffisamment réalistes pour savoir que dans les circonstances politiques, économiques et militaires actuelles, nous ne sommes pas capables de tout arrêter, et nous avons un certain degré de relation avec le gouvernement syrien [d’Assad], justement parce que nous ne voulons pas créer un autre État. Nous disons que s’ils respectent les droits démocratiques des gens de cette région, qui veulent s’organiser eux-mêmes, alors pouvons aussi être une partie de l’État syrien, la partie de l’État syrien qui changera toutes les autres parties. En fait c’est notre but, d’aller d’une région autonome à une Syrie démocratique.
Quand nous parlons de la révolution, cela ne se passe pas comme nous pouvons imaginer que ce sont passées les révolutions il y a cent ou trente ans. La révolution a ses moments violents, quand nous devons mettre à bas l’État, puis nous défendre avec des armes, mais, dans le même temps, cela ressemble plus à une évolution ; la révolution accélère cette période d’évolution ; ce n’est ni l’idée anarchiste d’abolir l’entièreté de l’État immédiatement, ni l’idée communiste de prendre le contrôle de l’entièreté de l’État immédiatement. Avec le temps nous allons organiser des alternatives pour chaque partie de l’État contrôlée par le peuple, et quand elles fonctionneront, ces parties de l’État se dissoudront. »
[…]
Le Rojava est-il « une dictature du PKK » ?
« […] Ocalan est notre philosophe et notre leader idéologique, mais il n’y a pas de PKK ici, pas de bureau ou de forces. Il y a le PKK et nous sommes les YPG. Et puis, il y a les revendications d’extrême gauche qui ont un effet aussi négatif que les rumeurs et les critiques, comme dire que nous n’avons pas de forces de police – bien sûr que nous en avons, comment pourrions nous défendre la sécurité et l’ordre nécessaire dans une société sans forces de police ? Mais alors qu’il y a notre première force de police, les Asayish, il y a aussi le HPC, la Force de Défense de la Société – ce sont des civils, votre mère, ma sœur [et ta sœur !?] – qui reçoivent un entraînement à la résolution des conflits pour les problèmes qui éclatent dans leur communauté, des querelles entre familles ou entre clans, des problèmes domestiques, mais ils ne travaillent pas dans le style Law & Order, avec des sentences et toutes ces choses. […] »
[…]
Quelles sont vos relations avec les États-Unis ?
« Si vous prenez connaissance des déclarations officielles de nos différentes institutions, le principal parti, le PYD, le Tev-Dem, le mouvement des femmes, alors vous pourrez voir que tout le monde au Rojava comprend parfaitement quels sont les intérêts américains en Syrie. Nous savons tous ce que les USA veulent et ce qu’ils ne veulent pas, et leur responsabilité dans l’existence de groupes comme Daesh et Al Nostra. Ils ont fait plus que détruire l’Irak et tout le reste, ils ont un rôle direct dans leur création, puis ils ont perdu le contrôle, et maintenant ils doivent réparer le problème qu’ils ont créé. Donc évidemment, ils veulent notre aide. Notre relation avec eux est, de nouveau, ouverte et officielle, ce n’est pas un secret – c’est tactique, pas stratégique. Ils veulent nous utiliser et nous essayons de tirer le plus possible de cette situation. Nous y sommes obligés, nous avons de nombreux ennemis et nous devons nous défendre. C’est une nécessité pratique et politique de trouver notre place dans la balance du pouvoir des « gros joueurs » qui nous entoure, parce que tous le monde à des intérêts en Syrie, donc nous essayons de défendre les intérêts du peuple. Et ce n’est pas possible quand vous dites simplement « Non, non, non ! » et commencez à combattre tous vos ennemis en même temps.
[…] les États-Unis doivent donc être vu en train de nous aider. En fait, nous les forçons, pour bâtir une position stratégique forte, à coopérer avec nous. Ils nous donnent la possibilité de rendre notre révolution plus puissante et c’est quelque chose dont nous avons besoin. La révolution, ce n’est pas quelque chose que vous pouvez défendre simplement en en parlant, vous devez donner quelque chose aux gens, vous devez les protéger, vous devez les nourrir, vous devez leur donner des infrastructures, et si vous vous isolez complètement de tous les autres, vous ne pouvez pas faire ça.
Les États-Unis voudraient nous voir comme un allié principal, mais ils savent que ce n’est pas possible ; militairement nous coopérons pour le moment, mais idéologiquement nous sommes des ennemis. Les États-Unis sont l’avant-garde du système capitaliste, et nous sommes l’avant-garde de l’alternative. Peut-être pas aujourd’hui, peut-être pas demain, mais un jour dans le futur cette situation finira par atteindre une phase critique. »
« […] Mais, alors que nous parlons de consolider une révolution, il devient clair que la politique classique des partis qui travaillent simplement dans les parlements ne fonctionne pas. Ils peuvent certes être une partie du mouvement et même une partie significative du mouvement ; quand tu essaies de construire un système alternatif, tu peux essayer de travailler dans le système existant, mais ce n’est pas suffisant ; le plus important c’est quand les gens s’organisent pour diriger la société eux-mêmes, aillent au-delà de l’État. Abdullah Ocalan a une formule pour cela – « État plus démocratie ». »
Cet interview est l’exemple même et typique de la vacuité programmatique de la dite « Révolution au Rojava » et tout particulièrement des forces, structures et organisations sociale-démocrates qui encadrent les luttes de notre classe dans la région et leur donnent une direction réformiste.
Au vu de la citation ci-dessus, il est clair que la rupture avec le parlementarisme est à tout le moins secondaire, voire même quasi inexistante puisqu’elle se limite à souligner le manque de fonctionnement de « la politique classique » sans la remettre en question dans ses principes mêmes, dans ses fondements. Non, pour « notre » Commandant, il s’agit seulement de mettre les « partis qui travaillent simplement dans les parlements » au service de la « révolution ».
Finalement, cela ne dépasse pas la vieille polémique qui éclata au sein de la social-démocratie allemande et internationale au début du 20ème siècle lorsque Rosa Luxembourg déclarait que la réforme n’était pas incompatible avec la révolution.
Mais du point de vue des communistes (ainsi que des révolutionnaires qui se proclament « anarchistes » ou « socialistes »), les deux projets sont antagoniques, ils s’annihilent mutuellement, c’est-à-dire que la réforme vise à vider la révolution (ou du moins les tentatives révolutionnaires, le processus révolutionnaire) de sa substance subversive pour mieux la faire rentrer dans le rang de la paix sociale. De son côté, la révolution n’a rien à faire avec et n’a que faire des forces de la réforme ; que du contraire, elle doit les affronter directement, les empêcher de nuire à notre mouvement de subversion totale, et les détruire à tout jamais. Il en va ainsi du triomphe historique et mondial de la révolution sociale…
Enfin, l’idée ici exprimée d’aller « au-delà de l’État » (vulgairement résumé sous la formule « État plus démocratie ») manifeste indubitablement une incompréhension totale, à tout le moins, de la nature intrinsèquement capitaliste de l’État et de sa démocratie : aujourd’hui, l’État ne peut être que l’État des capitalistes et les capitalistes s’organisent inévitablement en État pour asseoir leur dictature sociale. De plus, la démocratie signifie étymologiquement le pouvoir du peuple, et ce concept de peuple n’est jamais rien d’autre que la négation idéologique et en actes de l’antagonisme de classe, de la lutte historique entre les dépositaires de la propriété privée et donc du capital d’un côté de la barricade sociale, et la classe des dépossédés de l’autre côté. La démocratie n’est historiquement jamais rien d’autre que la dictature du capital et de la classe possédante, quel que soit l’aspect formel sous lequel elle se décline : « parlementarisme », « régime autoritaire », « junte militaire », « paradis socialiste », « confédéralisme démocratique », « municipalisme », etc.