Assa traoré : « cette détention provisoire, c’est une vengeance insupportable du parquet de pontoise »
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Global
Thèmes : RacismeRépression
Lieux : Beaumont-sur-oise
Des choix qui les conduiront quelques heures plus tard dans le quartier Boyenval où vivent amis et famille d’Adama Traoré. Là, pour reprendre les termes de la journaliste Widad Ketfi, c’est une véritable « expédition punitive » qui se déroule sous les yeux médusés des habitants. « J’ai pas compris quand je les ai vus arriver. Je me suis tout de suite mise entre eux et les jeunes pour éviter que ça dégénère mais ils voulaient en découdre. Ils sont sauté sur mon frère et d’autres… » précise Assa Traoré. Tabassé, Samba Traoré a immédiatement porté plainte pour violences de la part d’un agent dépositaire de l’autorité publique. Un autre des jeunes frappés par les gendarmes a lui été interpellé pour…outrage et rébellion. La routine.
C’est dans ce contexte que sont intervenues les arrestations de Youssouf et Bagui Traoré, aujourd’hui placés en détention provisoire. Pour la famille Traoré, c’est la suite logique de la politique de criminalisation et d’intimidation menée contre chacun de ses membres depuis quelques semaines déjà. « Ils veulent nous bousiller un par un. Ils veulent nous séparer, détruire notre famille pour casser notre mental » résume ainsi Assa Traoré.
De son côté, Me Bouzrou, l’avocat de la famille, dénonce « une sévérité anormale de la part du parquet de Pontoise dans le traitement de cette affaire » ; une sévérité particulièrement notable pour le plus jeune des frères dont c’est la première incarcération. L’avocate qui le représentait lors de la comparution immédiate s’est d’ailleurs dite « triste » pour ce jeune père de famille placé en détention sur la base de faits contestés.
En réalité, d’autres recours existaient mais le parquet a choisi la détention prétextant notamment vouloir éviter « des pressions sur les témoins » et de nouvelles « violences urbaines ». Car, comme un chacun sait, ajouter de l’arbitraire à des mois d’injustice et d’humiliation conduit forcément à un apaisement…Non. Et les voitures brûlées à Beaumont, dans la nuit du 23 au 24 novembre, en sont la preuve.
Cette décision soulève d’autant plus de colère et d’interrogations que l’objectivité et la neutralité des parties accusatrices ne peut qu’être remise en cause. D’une part, les seuls éléments dont disposait la justice sont les témoignages de policiers municipaux et de gendarmes…travaillant de près ou de loin (pas si loin) avec les agents poursuivis pour la mort d’Adama Traoré. D’autre part, il convient de rappeler que cette affaire est jugée par un tribunal dont le parquet a été fortement critiqué puis sanctionné pour sa gestion de l’affaire Adama Traoré. Il a d’ailleurs été dessaisi au profit du tribunal de Paris. Ainsi, pour Assa Traoré, le placement en détention provisoire de ses deux frères est « une vengeance insupportable du parquet de Pontoise ».
La famille sait qu’elle paie aussi un engagement et une mobilisation sans faille depuis la mort d’Adama Traoré dans la cour d’une gendarmerie du Val d’Oise. Elle sait que l’on souhaite la faire taire et qu’il s’agit, comme toujours dans ce genre d’affaires, d’inverser la culpabilité. De la criminalisation du défunt à celle des membres de la famille en quête de vérité, tout est fait pour transformer les victimes en coupables et les coupables en victimes. Ces tentatives de retournement de situation passent notamment par des représailles policières et judiciaires. C’est ce qu’expliquait Amnesty International dans son rapport « Des policiers au-dessus des lois » publié en 2009 :
« Amnesty International constate l’accentuation manifeste d’un phénomène inquiétant : les personnes qui protestent ou tentent d’intervenir lorsqu’elles sont témoins de mauvais traitements infligés par des responsables de l’application des lois sont elles-mêmes accusées d’outrage (insulte envers une personne dépositaire de l’autorité publique) ou de rébellion (résistance avec violence envers un représentant de l’autorité). Dans d’autres cas, des personnes qui se sont plaintes d’avoir subi des mauvais traitements sont accusées de diffamation par les agents concernés. »
Elles sont, en effet, plusieurs ces familles de victimes à avoir dû faire face aux mêmes accusations. En 2014, c’est Amal Bentounsi, dont le frère a été tué d’une balle dans le dos en 2012, qui était jugée suite à une plainte en « diffamation publique envers une administration » de…Manuel Valls. En cause ? Des propos diffusés dans un clip du Collectif Urgence Notre Police Assassine : « Vous voulez commettre des violences et crimes, en toute impunité sans jamais être inquiété ? (…) La police recrute et la justice vous protège. » Au-delà de l’argument évident de la liberté d’expression, une partie du procès s’est évertuée à tenter de prouver les faits avancés par Amal Bentounsi. L’affaire Adama Traoré nous y ramène. À nouveau.
Qu’avons-nous là si ce n’est l’expression la plus brutale de l’impunité policière certes, mais aussi, plus généralement, d’un racisme d’État ? L’histoire d’Adama Traoré est celle d’un jeune banlieusard noir, mort asphyxié sur le sol d’une gendarmerie francilienne. C’est celle d’un mensonge d’État, à travers les occultations du procureur Yves Jannier. C’est celle des connivences entre les forces de l’ordre, la justice et certains médias, comme en témoignent les premiers articles qui se contentaient de relayer la version officielle. C’est celle d’un mépris politique, les principaux responsables de ce pays n’ayant même pas daigné s’intéresser à cette affaire…si ce n’est pour apporter leur soutien inconditionnel aux gendarmes. C’est l’histoire d’une justice de classe, de race, de pouvoir, qui préfère placer deux jeunes hommes endeuillés en détention plutôt que d’interroger les responsabilités de l’État. C’est l’histoire, enfin, d’une famille, de quartiers, de militants, de luttes, qu’on essaye de briser, de déshumaniser, pour mieux asseoir sa domination. Cette histoire, c’est la nôtre. Comme hier. Comme demain.
Avant qu’il ne soit envoyé au mandat de dépôt, Bagui a tenu à faire passer un message à sa sœur. À la question « pourquoi vous vous acharnez sur nous ? », un gendarme lui aurait répondu « parce que ta sœur fait trop de bruit, qu’elle arrête de parler. » Il a donc demandé à Assa Traoré de redoubler d’efforts : « t’inquiète pas et continue à dénoncer, quoiqu’il arrive. » Plus soudée que jamais, la famille m’a redit sa détermination à mener ce combat jusqu’au bout. Elle compte sur le soutien de toutes celles et ceux qui, en France et à l’étranger, ne supportent par ces représailles policières, judiciaires et politiques. Ils ne lâcheront rien. Soyons à leurs côtés.
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