Bambi a froid
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Catégorie : Global
Thèmes : Contrôle socialEcologieRacismeResistances
Depuis, les militantes de la FA qui se sentaient quelque sympathie pour l’antispécisme ont sagement fermé leur gueule ; puis vous ont pour la plupart quittées, dégoûtées par cette libertaire chape de plomb. Camarades : vous aussi êtes tenues, par la dite décision, à fermer votre gueule. Ou alors, luttez pour l’abroger, pour que chez vous comme ailleurs on accepte le débat. Contradictoire. Je suis, comme tant d’autres, à votre disposition pour une rencontre contradictoire sur le thème, quand vous le voudrez.
Venons-en à votre « radicale mise au point ». Son but est en effet de clore radicalement le débat, mais il faut noter que le seul argument qu’il avance est pompé sur le radicalissime Luc Ferry [1]) » dit « Philosophe du Président » Chirac [2] qui l’a lui-même pris à Kant, fidèle disciple sur ce point (comme sur d’autres) des Pères de l’Église, lesquels s’inspiraient largement d’Aristote, le très libertaire précepteur d’Alexandre le Grand et auteur de la thèse radicale selon laquelle les esclaves, surtout non grecques, l’étaient par nature parce qu’incapables de liberté.
J’ai aussi entendu ce même auguste vôtre argument dans la bouche de mon Papa, qui cause comme Le Pen mais vote De Villiers. Ceci n’est pas bien sûr un argument de fond ; cependant, face aux tentatives répétées des anti-antispécistes comme vous de nous confondre avec Hitler qui-était-végétarien [3] (faux), et/ou avec les anti-IVG qui-respectent-les-embryons-donc-les-poulets [4] (faux), il est quand même bon de noter en passant que tant du côté des fascistes que de Luc Ferry, de Jean-Paul II et de Chevènement on souscrit massivement à vos thèses anti-antispécistes, alors que zéro pour cent de ces gens-là sont d’accord avec nos thèses, qui sont, en un mot, que personne ne doit être l’esclave de personne.
Votre argument, c’est : l’« Homme » (masculin, singulier et majuscule de rigueur dans votre bouche) relève de la culture, de la liberté, alors que l’« animal » relève de la nature, de la non-liberté. Vous n’avez pas beaucoup progressé depuis Aristote.
Nous n’avons donc pas attendu votre « radicale mise au point » pour répondre à cet argument ; mais bien sûr, il ne s’agit pas pour vous de débattre avec les antispécistes et de tenir compte de ce qu’elles et ils disent, mais seulement de leur clore le bec par la répétition incessante de ces mêmes arguments que seuls deux mille ans de pilonnage platonico-chrétien ont fini par rendre crédibles. Je ne vais ici que résumer la vingtaine de pages que j’ai moi-même pondues sur le sujet suite à la sortie du livre de Luc Ferry [5]. La culture est par définition un phénomène collectif. Aucun individu animal, humain ou non, n’a de culture si d’autres ne la lui transmettent pas. Tout individu animal [6] acquiert une culture si d’autres la lui transmettent.
Malgré les larges disparités entre individus animaux quant au niveau de complexité des données qu’ils sont capables d’acquérir, transformer et transmettre, on ne trouve entre eux qu’une gradation, sans aucune discontinuité particulière, aucun fossé infranchissable, aucun saut qualitatif. La principale particularité des humaines actuelles sous ce rapport est la croissance explosive de la complexité de la culture totale produite par leur espèce. Cette particularité est strictement collective.
Au niveau individuel, qui d’entre vous a lu un millième des livres qui ont été publiés [7] ? Et vous parlez comme si vous les aviez tous écrits ! Qui de vous comprend un millième des langues que les humaines ont parlées ? Pour vous, elles sont toutes vôtres ! Qui de vous a inventé ne serait-ce qu’un seul mot de sa langue ? Qui de vous a mis au point ne serait-ce qu’une des milliers d’opérations nécessaires pour fabriquer une de nos télés ?
« N’importe quel être humain a les facultés de vivre n’importe où sur Terre » [8], dites-vous. Vous y êtes allées, vous, au Pôle nord ? Dans la Vallée de la Mort ? Non, mais c’est tout comme, puisque l’Homme y est allé ! Vous êtes fières de votre nom, de votre famille, de votre héritage. L’Homme a marché sur la lune et a fondé la F.A.! Vous avez le discours typique des héritières.
Il n’y a aucune discontinuité radicale entre les individues humaines et les autres individus animaux. Nous sommes prises dans un tourbillon collectif d’accumulation culturelle, phénomène nouveau dans l’histoire du monde, mais individuellement nous réagissons comme tout animal dans une culture, en apprenant, en inventant et en transmettant ; nous le faisons en moyenne – en moyenne seulement – un peu plus que les chimpanzés [9], et beaucoup plus que les poules [10]
Mais l’objet de l’éthique, c’est l’individu, et non la culture. La cause historique de l’éthique que nous portons est culturelle – la belle affaire ! – et l’éthique que portent les individues humaines est généralement plus complexe – et tortueuse – que celle des autres animaux [11] ; mais la cause historique de notre éthique n’est pas la finalité qu’elle nous donne. On peut bien être végétarienne parce qu’on a lu Peter Singer, mais on l’est pour faire cesser le massacre des animaux. Si j’étais né blanc en 1800 en Alabama je serais sans doute raciste [12] ; je suis donc antiraciste parce que (entre autres) je ne suis pas né en 1800 en Alabama, mais le but de mon antiracisme n’est pas de ne pas naître blanc en 1800 en Alabama !
Votre confusion est totale [13].
Je suis antiraciste par culture, mais pour les individues. Je suis antiraciste pour que les êtres sensibles qui souffrent et souffriront du racisme n’en souffrent plus. En fait, vous aussi. Ce n’est quand même pas parce que Semira Adamu était un « Homme » et que « l’Homme a marché sur la lune » que sa mort vous a émues ? Vous n’êtes quand même pas givrées à ce point ? Non, c’est ce que elle a vécu qui vous a émues. Alors pourquoi ne voulez-vous pas le dire ?
Vous tenez à continuer à croire que vous luttez pour l’Homme, et non pour les hommes et les femmes concrètes, parce que vous tenez à maintenir votre fuameux « fossé infranchissable » qui n’existe, vous le savez très bien, qu’au niveau collectif [14]. Vous voulez éviter de vous retrouver à lutter pour les humaines en tant qu’individues, en tant qu’êtres sensibles, en tant qu’animaux. Et pourquoi donc ? Pourquoi voulez-vous éviter de devenir antispécistes ?
Outre vos raisons particulières – à la FA, se dire antispéciste veut dire prendre la porte – vous avez les mêmes motivations que M. et Mme tout le monde. Votre saucisson, évidemment. Mais d’autres raisons encore, dont une transparaît nettement dans votre article. Il s’agit du mépris que vous manifestez, violemment, envers tout ce qui est « enfantin », mépris que vous partagez avec toute notre société froide, hypocrite et machiste. « Bambi il est gentil », nous faites-vous dire. « Moi radical, toi ridicule. »
Oui, nous sommes ridicules, puisque nous vous faisons rire. Mais vos rires sont odieux. Ce sont les mêmes rires qui accueillent quotidiennement les « mal baisées » et les « pédales ». Les antispécistes n’ont jamais dit « Bambi il est gentil » ; moi, en tout cas, je ne l’ai jamais dit. C’est un tort. À l’heure où les gouines et les pédés sortent du placard, il est temps que les puériles comme moi osions nous aussi nous déclarer publiquement.
Je ne dirais pas en fait que Bambi il est forcément gentil. Je ne me fais pas plus d’illusions sur les faons que sur les enfants humains. Je dirais seulement que ce qui me motive au fond c’est effectivement le désir de vivre dans un monde gentil, ou au moins d’espérer qu’un jour le monde le soit. Oui, ce que je reproche, fondamentalement, au fascisme, au capitalisme et aux « révolutionnaires » comme vous c’est de faire des choses méchantes. Qui font mal, qui font souffrir.
Que Bambi soit gentil ou pas, je sais que tuer la mère de Bambi n’est pas gentil, et que n’est pas gentil ce que vous faites à la poule sans nom serrée par cinq autres contre le grillage latéral de la cage 127L4, celle à qui vous devez un sixième de votre omelette.
Je suis devenu antispéciste à huit ans. Et je pense que les raisonnements simples que je faisais à cet âge-là et que bien des enfants font valaient mieux en réalité que toutes les centaines de pages de longues phrases et de mots compliqués que moi-même et d’autres avons pu écrire dans les Cahiers et ailleurs, où nous nous épuisons à démonter et à réfuter point par point les tortueux et creux arguments que débitent en chœur tous ces anciens enfants comme vous devenus zombies de droite comme « de gauche ».
Je sais que malgré ses invraisemblances évidentes le film Bambi fait une description plus exacte des animaux que les 17 volumes du Traité de zoologie de P.P. Grassé [15], lesquels évitent systématiquement de mentionner que ce sont des êtres qui ressentent quelque chose. Je pense enfin que le cri de chaque cochon qu’on égorge constitue un discours bien plus explicite, plus cohérent, plus sensé et plus rationnel que tout Thomas d’Aquin, Kant, Jean-Paul II et Le Monde Libertaire réunis. J’en parle en connaissance de cause, parce que j’ai aussi été spéciste. Tous vos raisonnements farfelus et mystiques, je les ai moi aussi tenus. J’ai simplement fini par reconnaître que je n’y croyais pas moi-même.
Spécisme pas glop, spécisme bobo, très très gros bobo. Voilà, l’essentiel est là. Toutes les autres réflexions et actions politiques que moi-même et d’autres qui voulons un monde gentil pouvons faire ne sont que des développements, nécessaires mais qui ne doivent jamais oublier ce qu’elles sont censées développer.
Alors les personnes s’assoient sur les bancs en bois et essaient de comprendre comment elles ont pu en arriver là. Elles se demandent aussi comment elles pourraient changer.
En fait, elles regrettent beaucoup de n’avoir pas su écouter les enfants quand ils étaient encore au village…
Pendant qu’elles réfléchissent en silence, tout doucement, des lièvres viennent brouter les trèfles frais dans les jardins, des pigeons s’installent dans les poulaillers à moitié cassés, et des souris visitent les clapiers aux portes ouvertes. Toute la nuit, tandis que chacun réfléchit, les animaux s’amusent dans les enclos abandonnés. Lorsqu’elles retournent à leurs maisons, quelle surprise de trouver dans les jardins des lièvres assoupis, des souris repues, et des pigeons endormis ! Mais personne ne les réveille… Depuis ce jour-là, les animaux et les gens du village vivent tranquillement au village. Le soir, tout le monde s’échange des nouvelles sur la place du village, partage des gâteaux et des fruits, s’amuse et chante !
L’Arche spatiale, Éd. La Criée [16]
C’est à celui-là, bien plus qu’au vôtre, que ressemblera le grand soir que je souhaite.
p.-s.
Ce texte est paru initialement dans les Cahiers antispécistes. Nous le reproduisons avec l’amicale autorisation de la revue.
notes
[1] Le Nouvel Ordre écologique : l’arbre, l’animal, l’homme, Grasset, 1992.
[2] D’après un article de Libération.
[3] Réflex n°40, octobre 1993.
[4] Cf. votre texte.
[5] « Luc Ferry ou le rétablissement de l’ordre », Cahiers antispécistes n°5, décembre 1992.
[6] J’entends « animal » non au sens biologique mais au sens éthique d’« être sensible ». Je pense que c’est un fait que tous les êtres sensibles sont capables d’apprentissage ; même les lombrics le sont. Si je me trompe sur ce point, ce n’est certainement pas de beaucoup.
[7] La base Electre recense pour la seule langue française 420000 titres disponibles. Source : http://www.electre.fr/outi/f_outi.htm
[8] Votre argument, dépourvu de toute pertinence, n’est même pas vrai. Le monde habitable tranquillement pour une baleine bleue, en trois dimensions qui plus est, est bien plus vaste que le vôtre. Aucune humaine n’est descendue à 20 km sous terre, laissant les 99% du volume de notre globe inatteignables pour au moins très longtemps. Votre affirmation ne peut être vraie que si l’on interprète « n’importe où » comme signifiant implicitement « n’importe où de vivable (pour nous) ». Il est typique de l’humanisme d’ériger ainsi les particularités de l’espèce humaine en évidences universelles, pour en faire des implicites qui disparaissent du discours.
[9] Washoe, chimpanzé femelle, a appris plusieurs centaines de mots du langage des sourds et muets (avec une syntaxe, s’il vous plaît), a inventé des combinaisons nouvelles (comme « eau » + « oiseau » pour dire « canard ») et a enseigné ce langage à son fils adoptif.
[10] Concernant les oiseaux, il est bien connu que bon nombre d’entre eux apprennent, modifient et transmettent leurs chants, au point de créer des cultures locales intraspécifiques.
[11] Si vous exigez que pour posséder une éthique il faille être capable de lire Kant, vous excluez la vaste majorité de l’humanité (dont moi-même). Si vous ne l’exigez pas, les chimpanzés sont pratiquement aussi éthiques que la plupart des humaines. En un sens technique, je pense d’ailleurs que toute action délibérée d’être sensible correspond à une éthique.
[12] Vous aussi. Comme presque toutes les humaines blanches nées en 1800 en Alabama. Vous n’êtes pas, pas plus que moi, ointes du Saint-Esprit libertaire. (Abstenons-nous ici de leur rappeler Proudhon l’antisémite et les Communardes plus racistes que Lafleur.)
[13] En fait, derrière votre thèse absurde il y a un schéma plus cohérent, mais moins avouable. L’éthique découle de l’histoire, dites-vous ; et l’éthique dominante aujourd’hui ne prend pas en compte les animaux non humains. C’est là ce que l’Histoire a déterminé. L’Histoire, c’est l’histoire de cet « être collectif » que vous avez inventé, l’« Homme ». C’est l’Homme qui est beau, c’est l’Homme qui habite sous tous les climats, qui parle plus de mille langues, qui a une culture, qui est intelligent. Prendre en compte les autres animaux serait trahir ce que l’Homme a décidé. Ce raisonnement réactionnaire, vous le tenez parce qu’il vous arrange. Ce qui est doit être, disent vos semblables réactionnaires chaque fois que ça les arrange depuis plus de deux mille ans. Puisqu’il y a des césars, c’est qu’il doit y avoir des césars. Amen.
[14] Et ne durera sans doute pas toujours. Vous rêvez de la révolution qui nous fera atteindre la « fin de l’histoire », mais sans bien vous rendre compte que ce jour-là même cette différence collective entre les humaines et les autres animaux cessera d’exister.
[15] P.P. Grassé et D. Doumenc, Éd. Masson.
[16] Brochure pour nenfants et autres êtres sensibles, disponible pour 15F port compris au Collectif pour l’Égalité, 122 rue Montesquieu, 69007 Lyon.
http://lmsi.net/Bambi-a-froid
Ce texte date des années 1990. Ce serait bien de l’indiquer clairement. De plus, s’il est publié déjà sur LMSI, comme un lien le précise, ce serait mieux de le publier dans la rubrique « liens ».
Ce serait bien que la rubrique « globale » reste une rubrique d’actualité, avec des infos récentes et des analyses récentes également. Parce que si on se met à s’en servir comme un truc d’archivage post-daté, ça va être le bordel et la rubrique va devenir illisible.
Merci eux modérateurs-modératrices d’y faire gaffe.
Texte datant de 2001 mais malheureusement rendu d’actualité à cause des tentatives régulières par des organisations libertaires « respectables » de mettre au pas toute déviance militante qui s’écarterait des sujets classiques du militantisme officiel.
Il n’y a pas que la FA : l’OCL a pondu un texte tout aussi scandaleux et provocateur qui a suscité jusque chez ses sympathisants des réactions indignées (voir les commentaires) :
Etre vegan, une mode pour temps de crise
http://www.oclibertaire.lautre.net/spip.php?article840
Une réponse :
Les anarchistes et leur esprit français
Qui a peur des vegans ?
L’OCL via son journal courant alternatif vient de publier un article s’attaquant à
l’antispécisme et au mouvement « Végan ». L’article se nomme « Etre vegan : une mode en temps de crise ».
A la première lecture de l’article, on peut se demander quel est l’intérêt d’attaquer le mouvement vegan ? Un mouvement qui fait d’habitude peur « aux industriels et policiers » comme le disait le Monde. L’article s’attaque particulièrement aux vegans « politiques » et donc à ceux qui militent contre le capitalisme et se rapprochant des luttes d’extrême gauche.
Cet article écrit par une sorte de guide suprême de la révolution libertaire parle au petit peuple pour lui expliquer en quoi le véganisme n’est pas libertaire. Cette démarche autoritaire montre que l’article ne questionne pas la liberté individuelle ou collective et le véganisme, non il défend une idéologie. L’idéologie défendue est celle, comme la remarqué le site « la terre d’abord », du beauf français.
Tout d’abord, l’article nous explique que la France résiste au véganisme par le fait que son histoire la préserve du puritanisme anglosaxon.
Ce racisme comme quoi, nos camarades d’autres pays seraient plus naif du fait d’un sombre passé puritain. En revanche la france, terre de bidoche doit être fière de son passée, de son histoire, de son peuple uniforme et viandard.
En tant que libertaire, je ne me réfère pas à la france, que je ne considère même pas comme une entité culturelle et historique, et les peuples breton, basque, occitan ?
Sont-ils puritains ou libérés du véganisme grâce à l’esprit français ?
Le veganisme n’est pas une nouvelle culture urbaine, c’est une culture révolutionnaire balayant la veille france et le sentiment raciste nationale pour une culture internationale égalitaire et solidaire. Cette culture se base sur des camarades qui risquent leur vie et vivent les sanctions des états et du capitalisme, se référant à des camarades partageant notre pensée, que dire des Tolstoï, Louise Michel … et tant d’autre ayant choisi de vivre le communisme libertaire par le respect radical et la juste égalité comme principe commun : le véganisme.
Que dire sur les relents aigres de n’avoir pas pu avoir sa bidoche alors que des
camarades proposent pour tous une nourriture solidaire, éthique et accessible au plus grand nombre.
Cet article mérite qu’il soit diffusé, pour voir ce qu’est l’idéologie française, celle qui pervertie les mouvements politiques. La France n’existe pas.
Qui sont ces libertaires qui craignent ceux qui vivent pour promouvoir justice, égalité, solidarité par la lutte pour tous ! La libération animale est internationale !
http://actionantispeciste.free.fr/action/?p=127
Voir aussi :
http://redskinhead-de-france.over-blog.com/article-pas-si-betes-une-reponse-de-non-vegan-a-l-ocl-59007827.html
Le texte est ancien mais traite d’une question qui n’a pas perdu son actualité. Cela dit, il y a eu quand même du changement dans le petit monde animaliste, devenu plus fashion et « populaire » au sens anglo saxon, et qui le paie par des glissements vers des approches de moins en moins réflexives, et de plus émotionnelles, lesquelles en général ne font pas forcément bon ménage avec le progrès social. Et essentialisent facilement les positions morales.
Y a un truc donc qui me chiffonne avec l’évolution, depuis quelques années, de l’argumentaire animaliste ou antispéciste – et peut-être déjà que les approches qui furent spécifiquement antispécistes semblent se dissoudre dans un animalisme certes œcuménique mais qui descend en gamme, côté politique et réflexif. S’il est pertinent de poser la question en elle-même de l’exploitation et de la souffrance, l’image des gentils animaux de ferme qui seront si heureux sous ce régime pose déjà au minimum un énorme problème : c’est que dans un monde sans exploitation animale ces animaux n’existeront tout bêtement pas ! On ne va probablement pas continuer à élever des milliards (hé oui, on est au niveau planétaire à deux ou trois volailles pour un humain…) de bêtes, plutôt dépendantes, uniquement pour qu’elles existent (à moins que ce soit le programme mais je ne l’ai vu explicité nulle part). Leur existence massive même, donc leur capacité à jouir ou pâtir, est conséquence du système d’élevage, sans lesquels ils n’existeraient pas. Donc, on ne peut pas baser l’argumentaire sur la joie de vivre qu’auront ces animaux, leurs images attendrissantes, etc. Ni même qu’« auraient », sans spécisme, pas ou fort peu, d’animaux domestiques (d’autant que la doctrine suppose que ces animaux ne peuvent être un moyen ; donc n’ont pas vocation à exister comme produits par et pour les humains, ce qui a été la condition de leur existence). Dire que la pratique végane sauve des animaux, ce n’est vrai que si on considère que moins seront élevés, ce qui est possible, mais ce seront des anmiaux qui n’existeront pas, pas des animaux qui auront une vie de rêve dans une sorte de zoo bienveillant.
Les seuls à en bénéficier seraient un certain nombre d’animaux qui existeraient au moment (progressif ou non) de la fin de l’élevage. Mais ils seront bien peu par rapport, en cas donc de disparition progressive de l’élevage, à touts ceux qui conséquemment n’existeront pas – ce qui évidemment protège radicalement de la souffrance mais au prix de l’aporie. Sentir suppose de vivre.
C’est évidemment tout autre chose concernant les animaux dits sauvages, à commencer par les poissons (dont il faut remarquer cependant qu’une partie croissante est actuellement également élevée). Y aura-t’il une « gestion » ? Comment par ailleurs fera t’on la part, si on se considère coresponsables, ce qui n’est pas obligé, de la « souffrance produite » par des animaux non-humains envers d’autres (qui est tout de même elle aussi assez répandue) ? Sera-ce passé sur le compte de la « nature » ?
Bref, si ça se tient tout à fait de se proposer la fin de l’exploitation animale, les raisons et les perspectives mises en avant par les organisations actuelles semblent ne pas recouvrir le comment, même si on admet le pourquoi. Et ça tranche en plein milieu des motivations. La motivation négative « moins de souffrance » reste, mais la motivation « plus de plaisir » est lourdement remise en cause. Surtout si on parle, selon certaines thèses utilitaristes, d’une somme maximale de plaisir. On est plutôt à la minimisation de la somme globale de souffrance. Ce qui est en soi justifiable. Mais arrive donc la double question de l’existence qui est la condition de ces sentis. Et de qui vivra ? Une fois de plus, on a tout de même l’impression que ce seront les seuls à pouvoir maîtriser le processus, les humains. À moins qu’on ne prenne l’option de nous supprimer nous-mêmes (ce dont j’ai l’impression certains ne sont pas loin, dans la deep ecology). Ce qui d’ailleurs ne fera pas vivre les animaux domestiques disparus. Mais encore une fois, faire la pub pour ça avec des bouilles d’agneaux tous mimis, c’est un peu de l’arnaque (sans parler que l’agneau mimi devient un gros mouton, animal au demeurant fort sympathique et doué d’un goût estimable pour le collectif ; mais peu résistant aux prédateurs).
Par ailleurs, d’un point de vue politique, même si les bénéficiaires sont identifiés comme non-humains, toute l’affaire repose sur les humains et finalement concerne principalement notre vision de nous-mêmes. Les animaux ne sont et ne seront jamais ce que nous appelons des acteurs sociaux. L’égalité de prise en compte, même, ne peut être agie et perçue que par les humains. Il y a tout de même là aussi un non-dit, un impensé ou un inexaminé, assez important. En clair, la grande affaire des animalistes, c’est au moins autant de se percevoir de façon supportable, de « prendre conscience d’eux-mêmes sans effroi », que la vie réelle d’animaux qui, de leur côté, semblent à moitié une réalité, à moitié une image (un peu l’image du christ, la victime absolue) – mais comme toutes les questions politiques. Par ailleurs, la question centrale a glissé pour beaucoup, depuis des années, de la lutte contre la souffrance, à la lutte contre la souffrance causée par les humains (l’écologisation progressive de l’antispécisme, lequel évite désormais majoritairement de se poser la question des rapports de prédation entre non-humains). Ce qui est tout de même significatif de la place centrale, fut-elle négative, de l’humain dans cette approche. Le paradigme quelque peu kantien de l’autre comme « non-moyen » absolu, que ce soit d’ailleurs entre humains ou entre animaux, est difficilement réalisable, voire peut-être contradictoire et in fine impossible.
Le tout est de ne pas occulter cette question : même avec un statut, si égalitaire se veuille-t’il (mais qui ne pourra l’être que passivement, par prise en compte par ceux qui de toute façon détiennent ce pouvoir), ce monde restera un monde humain. Ce qui n’est pas en soi un mal, mais il faut le dire. Il n’y aura jamais de réelle « égalité animale » de ce point de vue. Et il y a comme un flou à ce sujet dans la pub antispé, où les animaux (généralement les plus attirants socialement pour les humains) sont présentés comme des sortes de concitoyens en herbe, comme si la sensibilité et la conscience de soi étaient suffisantes à intégrer une vie politique. Les non-humains, dans ce cadre, et notamment les « domestiques » ne peuvent être que des patients, non des agents, sociaux. On peut certes ramener le social au moral – mais cela suppose de faire comme si les rapports de capacité n’étaient pas significatifs. Ce qui apporte une contradiction interne de plus.
Je mentionne juste en passant le credo souvent utilitariste (qui ne fait pas l’unanimité, même si bien souvent on en retrouve les éléments centraux chez des « anti-utilitaristes » ; pas facile de s’en tirer à partir du moment où on démarre la prise en compte sur la distribution individuelle des sensations). Parce que je ne sais pas bien quoi en penser. C’est basé sur un point de vue à la fois comptable et indexé sur une notion de propriété envers soi, qui a des avantages, mais aussi a accompagné bien des inconvénients du monde contemporain. L’utilité, même liée à la sensation, risque toujours de s’autonomiser en masse « indépendante », et de justifier le cas échéant la perte des uns pour (peut-être !) gagner le salut de « plus d’autres ». Question de toute manière qui reste pendante dans toute la politique.
Enfin, l’approche compassionnaliste, si elle a l’indéniable avantage de ramener du monde sur ce genre d’approche, a hélas aussi l’inconvénient de porter avec elle des sentiments, et même des ressentiments, pas très nets, et de courir à une simplification pas toujours très sympathique des choses. Un nombre impressionnant de réactions d’adhésions aux thèses antispécistes, dans leur formatage actuel, semblent basées sur une idéalisation de l’animal comme innocent, opposé à l’humain intrinsèquement pervers, quand ce n’est pas carrément à des groupes d’humains très précis, désignés comme des affreux. Il y a là le double sens d’anti-humanisme, qui peut être une critique de ce qu’on appelle historiquement l’humanisme, mais aussi une haine rétrocentrée vis-à-vis de ce qui est désigné comme « humain ». Et là, généralement, ça craint plutôt. On en arrive à contester l’essentialisation d’espèce… au profit d’une essentialisation morale encore plus profonde et périlleuse, avec des méchants pervers (les humains) et de gentils innocents (les non-humains), qui est quand le recyclage de quelque chose d’inquiétant (ça cache toujours le désir de prééminence des défenseurs de l’innocence, catégorie au demeurant sans grande pertinence, surtout s’il s’agit de parler de non-humains.)
Sans parler d’un autre courant qui s’est recyclé, qui est celui de la réduction de la transformation sociale à la transformation morale, voire « intérieure », ce qui suppose qu’au fond le comportement privé, et tourné vers soi, est le gage de l’émancipation collective ; ce qui quand même pose pas mal de questions. D’autant que la question est alors décentrée : ce serait par le biais du rapport aux non humains que les humains se « libèreraient » (mais de quoi ? la question n’est pas impertinente en elle-même mais gagnerait à être posée nette).
N’y a-t-il pas un problème à simplifier et à emprunter les vieux chemins idéalistes, proches quelquefois du la doctrine new age, pour ratisser large ? – parce qu’après, avec une base sociale et politique devenue boulet réac, je veux pas dire mais ça peut tout bonnement signifier soit la fin du mouvement, soit son intégration dans un projet plus large et foncièrement régressif. Question qui est aussi à se poser avec le côté un peu pénitentiel et fondé sur les œuvres, quelque peu religieux, quoi, qui marque mais surtout jauge la « participation ». Il y a beaucoup de non-dits dans l’animalisme, de même que dans bien d’autres mouvements. Et l’idéalisation des « individus à sauver », investis d’une espèce de légitimité victimaire, n’est pas le moindre, en tous cas dans comment il façonne la pensée.
L’animalisme pèche, comme bien d’autres idéologies, par son partage de la culture de « la cause qui prime toutes les autres ». Ici basée sur la logique du nombre des sujets concernés. Mais par là, on glisse vite de la question de nombre à une hiérarchie morale a priori de la légitimité (et conséquemment de l’illégitimité de ce qui n’est pas alors légitimé). Il y a de plus en plus, qui s’y superpose, un argument de type christique où la souffrance animale est absolutisée (comme la Passion) au point que rien d’humain ne peut y équivaloir, donc retour à une pensée de type anti-humaine par idée de justice légèrement transcendante. Enfin de l’approche utilitaire en termes de souffrance globale. Bref encore une fois de qui aura le droit de vivre au nom de la nouvelle lecture des priorités. Et aussi à un singulier mélange qui va de l’égalité à la protection, en passant par la libération ; et d’un rationalisme utilitariste et antinaturaliste à la deep ecology. Pour essayer de rassembler sur un dénominateur commun qui se révèle pas très élaboré, et ouvert à des pensées pénitentielles ou réactionnaires qui font un grand revival actuellement. Bref je serais antispéciste, je m’inquiéterais un peu de qui et de ce que j’ai dans mon sillage. Ou de quelle base politique et sociale je me mets à dépendre – certaines déclarations récentes, par exemple sur des rites d’abattage, des comparaisons inquiétantes entre humains « illégitimes » (prisonniers, étrangers…) et animaux forcément « légitimes », ou encore récemment une capitalisation émotionnelle douteuse sur les intérêts de fœtus, laissent entrevoir un glissement préférentiel dont le but semble être de caresser une partie de plus en plus importante des « troupes » dans le sens du poil. L’idéalisation du rapport mère-enfant, qui d’ailleurs glisse toujours vers la minorisation de la première au service du second, c’est un truc réac systématique. Et encore plus quand l’enfant, en fait, est un fœtus ! Si la pub animaliste se met a frayer une voie de plus aux anti-avortements (genre le foetus est sensible et a des intérêts, donc la nana tu la fermes), hé bien c’est un peu grave…
Une attitude qui n’aurait pas été basée sur l’émotionnel et l’anti-humanisme ressentimenteux (et contradictoire, puisque tout de même humanocentré) aurait certes minimisé le recrutement, mais permis de ne pas se laisser tirer vers des positions hasardeuses. C’est là, une fois encore, qu’on voit que le politique, pour ne pas dire le politico-commercial associatif, ne modèle pas le social, mais l’inverse. Et que pour ne pas suivre les clivages et les tendances du second, il faut accepter de tenir une ligne moins appétissante.
Il ne s’agit en aucun cas de faire l’apologie du veganisme ni même de refuser toute critique et tout débat, il s’agit tout simplement de refuser la caricature et les procès péremptoires par des militants professionnels qui ressemblent à des procès d’inquisition. On voit mal comment une organisation pourrait avoir une position officielle sur un sujet qui suscite autant de polémiques, sinon une organisation au fonctionnement autoritaire.
Dans le cas de l’OCL, le texte est signé non pas d’un-e militant-e, comme cela se fait dans la plupart des cas, mais par l’ensemble de l’organisation. Soit l’ensemble de l’organisation souscrit à cette attaque violente, soit une personne a pris sur elle de le publier en le signant OCL. Dans les deux cas, on peut légitimement se poser des questions sur le fonctionnement et les buts d’une telle organisation qui serait tout sauf libertaire. Et à ma connaissance, il n’y a eu aucune autocritique de ce texte, ce qui en dit long sur les possibilités de débattre.
Je ne suis pas vegan, ni même végétarien, je ne vais donc pas défendre le point de vue vegan, mais c’est un sujet qui m’intéresse et je me sens concerné au moins autant que par les grandes querelles idéologiques. Ce que je ne supporte pas, par contre, c’est les anathèmes et le mépris envers ce qui risquerait d’éloigner des militant-e-s du rôle qui leur a été assigné par l’organisation.
Les arguments vegans ne m’ont pas convaincu, puisque je ne le suis pas devenu, mais par contre les attaques disproportionnées me font gerber. La véritable question qu’on peut se poser, c’est non pas la pertinence des arguments des vegans, mais surtout POURQUOI ILS DÉRANGENT TANT LES ORGAS RESPECTABLES ! De quoi ont-elles peur ?