Toulouse: un compte-rendu de la manif du 21 février 2015
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Category: Global
Themes: Zad
Places: Toulouse
Un peu moins de 1000 personnes sont présentes, un black block d’environ 200 individus prend la tête de la manifestation, avec des banderoles comme “la police tue, l’ennui règne, zad partout”, ou “je suis Rémi et toutes les victimes de la police”. Ça faisait plaisir de voir une tête de manif offensive et de ne pas être à la remorque des autres orgas.
À François Verdier, de la peinture est balancé sur les flics. Les bakeux gazent, une partie de la manif progresse et se coupe involontairement du reste des manifestants-es. Commence alors une fuite en avant totalement désordonnée de la tête de manif, coursée par pas plus de quinze bakeux et 8 flics de la direction centrale de la sécurité publique, pas spécialement dressés pour l’anti-émeute. Pendant vingt minutes environ, plus d’une vingtaines de banques, agences immobilières, assurances ont vu leurs vitrines attaquées. D’abord rue de Metz puis dans le quartier des Carmes. La dispersion s’est fait dans la panique sur les bords de la Garonne.
D’autres affrontements, durement réprimés, ont éclaté lorsque l’autre partie de la manif est arrivée au terme du parcours devant le palais de justice.
Beaucoup d’amertume et un sentiment de gâchis ont envahi pas mal de gens à la fin de la manif. Plein de monde motivé, plein d’énergie et d’envie de marquer le coup pour finalement un semblant de manif sauvage qui ressemblait plutôt à une chasse à l’homme effrénée. S’il y avait eu un peu plus de temps pour réfléchir aux actions à mener, beaucoup plus de dégâts auraient pu être fait. Il y a eu un peu la même sensation qu’à Lyon le 29 novembre dernier(1). Une manif pleine de potentiel qui termine en eau de boudin. La question est de savoir comment dépasser nos maladresses et d’être plus efficace la prochaine fois.
On peut pointer plusieurs erreurs ou manquements pendant cette manif. Le premier pas serait de prendre conscience de notre propre force. Clairement, il a fallu moins d’une trentaine de flics pour nous faire déguerpir. A nous de comprendre si on peut les affronter et si le rapport de force est là ou pas. Encore faut-il bien choisir le moment pour lancer les hostilités. S’en prendre à eux en plein dans un grand carrefour n’est sans doute pas la meilleure des idées. Les allées sont grandes et dégagées, ça permet aux flics d’intervenir plus facilement. Une fois que c’est parti, il est inutile de paniquer quand des lacrymos tombent à proximité. On peut plutôt essayer de les relancer vers les flics ou loin de la manif. Pareillement quand les flics chargent, ça ne sert à rien de courir dans tous les sens. Surtout quand ce n’est pas une ligne compacte de crs mais simplement quelques bakeux. Il faut plutôt se retourner et évaluer la situation. Les flics chargent rarement sur plus de 50 mètres, on devrait donc constamment se retourner et crier au besoin un grand “stop” en agitant les bras face aux manifestants-es pour que le reste du cortège s’arrêtent lui aussi. Il est aussi possible de dés-arrêter une personne qui s’est fait choper. Une arrestation aurait peut-être pu être évitée samedi après-midi si tous-tes ensemble on était retourné chercher la personne. Ça aurait au moins valu le coup d’essayer. S’il y a un réel danger et pas d’autre choix que de courir, il faut faire attention à ne pas bousculer et entraver les autres personnes. Lors de charges de flics, on voit trop souvent dans la panique des gens n’en avoir rien à faire des autres, pour parfois même les pousser pour les dépasser. Ça serait chouette d’apprendre à être bienveillants-tes les uns-es avec les autres. Comment se faire confiance si à la moindre charge, la loi du plus fort/de la plus forte prend le dessus?
La banderole n’est pas juste là pour délivrer un message, elle peut vraiment servir de bouclier face aux flics si elle est bien renforcée. Du moins, si on reste groupé-e-s. Les gens qui tiennent la banderole doivent avoir du soutien, surtout s’ils marchent à reculons face aux keufs. Il s’agit de ne pas les laisser isolés comme ça a pu se faire cette fois-ci. Les banderoles renforcées peuvent être très efficaces face aux bakeux, ça les tient à distance, mais on a besoin d’être solidaires de ceux-celles qui la tiennent et rester à leur coté pour faire bloc et faire en sorte que pendant que certains-es tiennent en respect la police, d’autres s’attaquent à des cibles, dépavent la rue, montent des barricades etc.
A ce propos, si faire des barricades c’est bien, faisons attention à ce que le mobilier urbain jeté sur la route n’atterrissent pas sur les tibias des autres manifestants-es. Il faut aussi avoir à l’esprit que si elles sont montées à l’avant de la manif, elles peuvent faire obstacle à d’autres personnes qui risquent de se ramasser par terre ou d’être ralenties face à une charge. A plusieurs, on peut rapidement mettre une voiture en travers de la route, voir l’enflammer.
On peut mettre de coté ”l’augmentation graduelle des actions” (comme cela avait été proposé après la manif de Lyon.) Il faut saisir l’occasion quand elle se présente. Des actions qui sont possibles à un moment donné, ne le seront peut-être plus quelques minutes plus tard. Plutôt que de se poser la question de la temporalité, il faut envisager la possibilité d’une action à partir du rapport de force qui se présente dans la rue.
La communication entre les groupes n’a pas non plus été très efficace pendant cette manif. On pourrait s’imaginer une personne par groupe qui essaierait d’aller parler aux alentours, ou certaines personnes qui connaissent le terrain pourraient aller parler aux autres manifestants, ou encore des papiers imprimés à l’avance avec par exemple un rendez-vous pour une manif sauvage un peu plus tard ou un tracé alternatif à celui proposé.
Il faudrait surtout (ré)apprendre à rester soudés/es, à se défendre et attaquer ensemble, pour créer un bloc solidaire et un minimum organisé face aux flics.
(1) Pendant une manif anti-FN à Lyon le 29 novembre 2014, presque 1000 personnes venues pour une manif offensive n’avaient pas su tenir la rue plus de 45 min face aux flics.
Bilan et analyse des conséquences de la manifestation du 21 février à Toulouse.
Comme à chaque fin de manif, on panse ses plaies et on pense aux copains abandonnés, la tête plaquée sur le pavé.
Du monde sur la touche :
Bilan : 23 vitrines « vandalisées » et 15 interpellations, pour la plupart dans la dernière ligne droite des affrontements à armes inégales.
Mais du côté des flics, 3 fonctionnaires seulement sont touchés (sur 265 présents au total), on est plutôt afféré à rédiger du PV et arranger des déclarations concordantes pour obtenir des indemnisations.
Ce diable de préjuidice moral qu’ils ont subi en matraquant et gazant tous azimuts, aux frais du ministère de l’Intérieur, il faut vite le mettre sur papier pour qu’il soit recevable par le Proc.
Beaucoup se refont régulièrement la garde-robe de la sorte, car leur pantalon est tout crotté. Si seulement c’était que leur pantalon. Bref.
Suite aux GAV du samedi, les comparutions immédiates du lundi étaient attendues par quelques dizaines de proches des jeunes majeurs comparaissant.
Peine perdue, la moitié de la salle d’audience est occupée par une classe de collégiens, conviée pour l’occasion à faire le nombre, en plus des journalistes.
Le cordon de CRS posté devant le TGI pour l’occaz reste inflexible.
Audience inaccessible pour les parents donc. Justification : « La salle est pleine et les prévenus sont majeurs ».
Des peines légères, n’excédant pas les TIG et le sursis, ont été prononcées à cette occasion, faute de preuves et de parties civiles.
Le Parquet ayant fait appel de ces décisions « trop légères » aux yeux de l’État, les prévenus seront jugés de nouveau, à une date ultérieure, et ne sont donc pas tirés d’affaire.
À suivre, mais vue l’ambiance tendue reignant au Tribunal ces derniers jours, les condamnés risquent d’être jugés rapidement en appel, et en catimini.
Dès le lendemain, mardi 24 février, le ton change au Tribunal.
Hormis une personne relaxée, car sous le régime de la curatelle renforcée, les autres boucs émissaires ont douillé.
Après la visite d’un gradé de la police dans la salle des délibérés, deux des prévenus, déjà sous le coup de peines avec sursis, écoperont de 6 mois fermes, et rendront son sourire au Procureur.
Un autre, bénéficiant pourtant de solides garanties de représentation, et refusant la comparution immédiate pour préparer sa défense, devra patienter à Seysses jusqu’à sa prochaine audience, dans un mois.
La « sévérité exemplaire » des peines prononcées est représentative de la démarche punitive de l’appareil répressif français, face à un mouvement social en déficit d’organisation, en comparaison avec celui de Nantes par exemple.
Cependant, les motivations de ces décisions peuvent aussi nous éclairer sur la teneur du mouvement social à Toulouse.
Faites entrer l’accusé :
Commençons donc par une citation du Figaro : « Me Hélène Pronost [L’avocate de Vincent], s’est interrogée : “C’est une peine très sévère. Il paie pour le climat général ?” » [1]
Un jeune de 19 ans, employé à la Mairie en CDD, identifié uniquement par son jogging blanc, qui prend 6 mois fermes pour outrage et jet de projectiles vers les forces de l’ordre, sans aucune preuve matérielle, ni dommage corporel, ce n’est pas de la sévérité mais de l’acharnement.
Souligner son œil au beurre noir à l’audience relève presque de l’anecdote, et ça en devient révoltant.
Sévère et incohérent, comme la décision d’envoyer un homme alcoolique (et très alcoolisé au moment des faits) en prison pour 6 mois, sous prétexte qu’il n’a pas de domicile fixe, et qu’aucune mesure de contrôle judiciaire n’est donc envisageable.
En aucun cas, le tribunal ne se sera penché sur l’état de santé du prévenu, au chômage, qui vivait actuellement à la ZAD du Testet, le carricaturant comme marginal, et désignant ainsi un coupable face à la Partie Civile commerçante.
Il aura été identifié comme l’auteur de dégradations grâce aux vidéos trouvées sur Youtube durant la GAV, le Proc peut donc remercier les journalistes et manifestants you-entubeurs qui publient des vidéos de débordements, sans montage ni floutage préalable.
Pour conclure, il est utile de préciser un argument de procédure juridique, employé par les avocats de la défense : « Le régime d’exception des délits politiques » et ses « infractions connexes ».
Ces infractions particulières [2] donnent accès à un régime d’exception, ne permettant pas la procédure de comparution immédiate, du fait de leur caractère politique (Article 397-6 du code de Procédure Pénale).
Autrement dit, si cette manifestation et les évènements en découlant avaient été considérés « à mobile politique » par le Tribunal, il se serait déclaré incompétent pour statuer en comparution immédiate.
Ça ne s’est évidemment pas produit.
C’est un cas de figure semblable à celui du délit d’apologie du terrorisme, sorti du domaine du Droit de la Presse pour être soumis au Droit pénal en novembre, et autorisant donc le jugement en compa immédiate [3].
De là à dire que cette manifestation a été le Dieudonné [4] du TGI de Toulouse, il n’y a qu’un pas, en termes juridiques, mais pas que.
Ce constat et ces exemples ne sont pas liés à une démarche de victimisation, mais de responsabilisation individuelle et collective, pour une réelle solidarité cohérente dans les mouvements sociaux toulousains, où nous sommes nombreux à se connaître, peu à être soudés, et beaucoup à rester sur le carreau.
Un mouvement social ne peut pas céder aux sentiments de confusion et de tension, ne peut pas laisser de places aux individualismes affinitaires ou non, quand on se retrouve matraqué, gazé ou encerclé ensemble, il est nécessaire pour tous de rester unis. C’est la seule force du Peuple.
Et lisez les flys de la Legal, ça peut toujours servir…
Solidairement.
Un manifestant lambda.
Notes:
[1] http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/02/24/97001-20150224FILWWW00284-manifestation-a-toulouse-de-la-prison-ferme.php
[2] http://www.droit24.fr/a/les-infractions-politiques-sanctionn%C3%A9es-par-le-code-p%C3%A9nal
[3] http://www.huffingtonpost.fr/ilana-soskin/les-poursuites-contre-dieudonne-pour-apologie-dactes-de-terrorisme-ne-menacent-pas-la-liberte-dexpression-_b_6462068.html
[4] http://www.huffingtonpost.fr/ilana-soskin/les-poursuites-contre-dieudonne-pour-apologie-dactes-de-terrorisme-ne-menacent-pas-la-liberte-dexpression-_b_6462068.html
https://iaata.info/Manifestation-du-21-fevrier-et-ses-591.html