COPIER N’EST PAS JOUER

La copie des œuvres musicales et autres jeux électronique et logiciens sur Internet mais aussi par tout autres moyens de reproduction peut apparaître au premier abord comme une sorte de «pôtacherie». Pourtant, le phénomène prend une ampleur qui met en alerte, et même en formation de combat, toute «l’industrie» qui vit de cette production. Non pas parce que le public déserte ses produits, bien au contraire, justement parce que l’attrait qu’ils représentent dépasse largement les bornes imposé par le système marchand: l’obligation d’achat.

L’offensive en ce printemps 2004 contre les “copieurs” sur internet en dit long sur les craintes des “marchands” de voir le premier venu satisfaire son besoin sans payer… ce qui est inacceptable dans le système marchand.

UN DESASTRE DE GRANDE AMPLEUR

«Mettez à la porté du peuple des instruments, il en fera n’importe quoi, et surtout pas ce pourquoi on les lui avait mis à disposition!…» c’est à peu prés cette leçon que tirent les grands producteurs de l’industrie musicale à travers le monde.

Le phénomène n’a pas échappé aux organisateurs du MIDEM (Marché International du Disque et de l’Edition Musicale) lors de son 37e salon qui s’est tenu à Cannes du 18 au 23 janvier 2003. Le mot d’ordre de l’ouverture de ce salon était sans ambiguïté: «Le défi de l’industrie musicale: transformer les consommateurs en consommateurs payants». Ce qui justifie ce cri d’alarme et cet appel à l’offensive marketing c’est bien évidemment l’état du marché,… et que dit-il le marché? il révèle une lente érosion des ventes de CD alors que l’on n’a jamais vu autant de gens écouter autant de musique. Mais comment font-ils? Tout simplement ils copient. Ils copient sans arrêt, sur tous supports et à partir de toutes les sources possibles et imaginables et surtout aujourd’hui sur Internet. Ah les gredins, ils prennent leur pied sans payer… non mais!!!!

La morale marchande n’a pas tardé à sévir, et tout d’abord aux Etats Unis où la maladie est endémique. L’«industrie musicale» y mène une offensive tous azimuts. Le téléchargement y est traîné devant la justice Fin janvier, le tribunal de Washington a menacé les fournisseurs d’accès de complicité de «copiage» au nom du «non respect des droits d’auteurs». Plus précisément, l’opérateur téléphonique Vérizon a été sommé de donner l’identité d’un de ses clients «soupçonné d’avoir téléchargé 600 titres en 24heures» et d’en avoir fait profiter le «tout venant». Notons qu’en juin 2001, la justice avait eu la main lourde en ordonnant carrément la fermeture du site musical Napster.

Les patrons de cette industrie auraient pu continuer cette guerre qui se transformait peu à peu en guérilla judiciaire et dans laquelle, l’expérience l’a montré, les grosses machines militaires finissent par s’épuiser. Il ont préféré opter pour une manière plus douce, plus conforme à l’image qu’ils veulent donner, mais sans pour cela abandonner ce pourquoi ils produisent: faire de l’argent. Ainsi, Universal, Sony, BMG, EMI, Warner ont essayé de passer des accords avec ceux qui risquaient de «sauvagement» les pirater, la «civilisation» étant représentée par un «contrat» établissant, facilitant et organisant un «droit d’accès»… moyennant finance. Le seul problème dans tout cela c’est qu’il y a complet décalage entre les possibilités infinies du copiage gratuit et les contraintes marchandes des «contrats» payants proposés. Rien n’est résolu.

Mais il y a une loi dira-t-on? Certes encore faut-il qu’elle soit appliquée. Pour cela il faut deux conditions: soit qu’elle soit respectée, soit qu’une autorité puisse garantir son application, soit les deux à la fois.

La première condition est loin d’être remplie. En effet pourquoi donner de l’argent, que parfois on n’a pas, à des entreprises qui se font un «fric fou» et qui font la «pluie et le beau temps» en matière de production. Etre moral avec des gens qui ne le sont pas, c’est très dur.

La deuxième condition n’est pas non plus remplie. Une autorité judiciaire, au territoire de compétence forcément limité (à l’Etat-nation), ne peut que très difficilement intervenir sur un système mondial comme internet. C’est un peu l’aspect négatif, les concernant, de la mondialisation qui favorise les entreprises pour piéger les salariés… ici c’est elle qui en font les frais.

Taxer les supports comme les CD et les cassettes (loi de 1985) peut apparaître conjoncturellement comme une «solution», mais se pose alors le délicat problème de la gestion des compensations et de leurs taux… l’évolution rapide des techniques obligeant en permanence un réajustement approximatif et insatisfaisant.

Autrement dit, le système marchand est incapable de trouver une solution marchande à l’évolution technique

LA GRATUITE ENNEMI MORTEL DE LA MARCHANDISE

Tout ce qui vient d’être dit révèle bien cette contradiction inhérente au système marchand et qui dans ce cas prend une dimension intéressante dans la mesure où elle met à nu l’aberration du système. Car le système est aberrant. Pourquoi? Tout simplement (si je puis dire) parce que des biens existent, correspondent à des besoins mais ne peuvent pas être utilisés ou doivent être utilisés que dans certaines conditions, établissant ainsi un ségrégation entre les individus, et même, comble de l’absurde, qu’à la limite, même si le bien existe, on préfère qu’il ne serve à rien plutôt qu’il soit utilisé «gratuitement».

Mais enfin c’est logique dira-t-on? Comment pourrait-il en être autrement?

Méfions nous des évidences.

C’est effectivement logique si l’on se place dans la «logique marchande» c’est à dire si l’on considère que le bien (ou le service) qui est produit prend tout son sens par l’argent qu’il peut rapporter à son producteur et non par la satisfaction du besoin qu’il peut apporter à celui qui l’utilise. Dans cette logique on trouvera donc« normal» que des gens ne puissent pas satisfaire leurs besoins alors que les biens et services existent effectivement.

Ce qui est intéressant dans le cas que nous étudions dans cet article c’est qu’un trouble nous saisi entre cette abondance extraordinaire de biens à portée de la main et la volonté farouche des producteurs d’en limiter l’accès. Ceci vient du fait qu’il s’agisse de ce que l’on appelle un «bien culturel». Doit-on parler d’«industrie» ou de «culture». La gène que l’on a à choisir entre ces deux termes en dit long sur l’ambiguïté qui est la nôtre. En effet, pour nous, «industrie» est étroitement, et fort justement, lié à production marchande, marketing, chiffre d’affaire, profit… alors que le mot «culture» raisonne plus de création, liberté, accessibilité à tous-tes.

Mais dira-t-on, il faut bien que celui qui produise soit payé? Il a des frais? Ca lui coûte? Il est donc «normal» que l’on paye. Mais là se pose une double interrogation:
– seuls, celles et ceux qui ont les moyens financiers ont-ils accès à la culture? En sachant tout de même que cette condition, la solvabilité, est liée à l’utilité qu’a chacune et chacun d’entre nous par rapport aux exigences économiques du système, et que c’est le marché du travail qui décide et lui seul: «je suis utile a une entreprise, je suis payé, je ne le suis pas, je suis chômeur».

– est-il moralement et socialement acceptable que les produits culturels existant, une partie de la population ne peut y accéder sous prétexte qu’elle n’a pas les moyens financiers?

Comment sortir du dilemme? En se rendant compte que le statut de «marchandise» est incompatible avec une conception morale équitable des biens créés. On comprend dés lors tout l’enjeu du débat, souvent faussé, sur le problème de la «marchandisation des biens culturels». Ce débat ouvre d’ailleurs la voie à une interrogation globale des problèmes que crée la marchandisation des biens et services ( par exemple le service public) dans une société qui peut les produire, et les produit en abondance…. C’est pour cela que ce débat est systématiquement amputé par les politiciens et les «économistes». Nous y reviendrons…

Patrick MIGNARD