Occupy gezi ! taksim partout !
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Global
Thèmes : EcologieLibérations nationalesRévolutionZad
Lieux : GeziIstanbulTaksimTurquie
L’occupation du parc Taksim Gezi à Istanbul a commencé le 28 mars 2013. A la base, un projet de démolition afin de construire un centre commercial à sa place. La privatisation du poumon de la ville. Cette place est aussi un symbole du mouvement ouvrier turc, où tous les ans, le premier mai, les manifestant-e-s ont maille à partir avec la police.
Ce qui au départ était un rassemblement très localisé a pris de l’ampleur, de jour en jour, en faisant résonner tous les manquements et toutes les compromissions du gouvernement en place. Jusqu’au moment où la police a attaqué. Lundi 27 mai. Le mouvement s’est embrasé et a touché tout le pays. Chaque attaque de police, chaque nouveau blessé a atisé la colère des gens face à l’injustice et la disproportion des moyens. Et les gens se sont organisé. Occupations, sit-in, manifestations,… Vendredi 30 mai au matin, nouvelle attaque des flics, très violente. Au fu et à mesure de la journée, gaz aux poivres, lacrymogènes, tirs avec des munitions en plastique dur, jets d’eau à très haute pression et des centaines de policiers. A partir de ce moment là, les émeutes se sont propagées dans tout le pays en soutien : Taksim partout !
Le 30 mai des hackers de RedHack ont sabotté le site du siège de la police de Beyoglu. Les réseaux se sont mis en place. Le premier mort est tombé. Cela a constitué le point de non-retour pour le peuple d’Istanbul. La foule, malgré la répression, a continué à grossir. Jusqu’à 250.000 personnes rassemblées dans toute la ville. Attaquées de partout. La ville, sous les gaz, avait un visage de guerre. Tout le week-end, les manifestations ont pris de multiples visages tout en se propageant de villes en villes : concerts de casseroles, lumières clignottantes ou opération lumières éteintes le soir… Et la police qui réprime, frappe, blesse, mutile … Les arrestations pleuvent : mises en garde à vue, détentions, surveillance étroite (arrestation d’activistes du web) et appel à la délation (les directeurs des écoles ont reçu l’ordre de dénoncer les étudiant-e-s absent-e-s)…
Et le bras armé du pouvoir tue une fois encore, d’un tir à balle réelle.
Selon les organisations de défense des droits de l’Homme et les syndicats de médecins, en plus des deux manifestants assassinés, les violences policières ont fait plus de 1500 blessés à Istanbul et au moins 700 à Ankara. Des centaines d’animaux sont morts… Mattraquages, gazages massif, canons à eau, les flic frappent tout ce qui passe à leur portée sans réfléchir. Certains s’amusent de n’avoir pas dormi pendant 60h… Ceci ne suffit pas à expliquer cela. Le Premier ministre islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan a présenté ses excuses aux blessés, reconnu la légitimité des revendication de Taksim et appelé au calme, tout en qualifiant les manifestant-e-s de brigants… Et tout en continuant sa tournée de voyages d’affaires à l’étranger. Ceux-ci s’en sont joués en s’emparant de l’expression comme symbole de l’opposition et en chantant/dansant un peu partout dans le pays. Et ne se sont pas calmés.
Une solidarité énorme a fait écho aux repressions et violences policieres. Dans tout le pays, les habitant-e-s ouvrent leurs portes aux manifestant-e-s qui fuient face à la police et l’armée, au risque de se faire gazer à l’intérieur même des habitations. Sur la « blogosphère » les réseaux résonnent de tous les témoignages, transmis partout dans le monde. Cela rend d’autant plus voyante la compromission des médias officiels turcs, tous inféaudés à des intérets financiers ou au pouvoir en place.
Un groupe de personnes a mis en place une coordination de traductions des infos qui passent sur les médias indépendants turcs, essentiellement sendika, le site d’indymedia Istanbul ne faisant pus de mies à jour depuis le 4 juin. Ces traduction sont disponibles en turc, anglais, allemand, grec, italien, arabe, russe, espagnol et français. Elles sont faites en temps réel et parfois ne sont pas traduites directement du turc, il faut donc les utiliser comme pour tout média : avec précaution.
Site : http://gezipark.nadir.org
Le texte a été traduit en 3 autres langues : anglais, italien et grec :
Quelques textes et infos complémentaires sur le soulèvement en Turquie
http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article1369
http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article1370
Emission en anglais jeudi 13.06 de 21h30 à 22h30:
With two people from the support group in Berlin, Germany, we would speak about the revolt in Turkey. With some fresh beer and turkish music.
A écouter (ou podcaster plus tard) sur http://radiosterni.qsdf.org
Voici des nouvelles de l’intérieur de la lutte et de la répression qui ont cours à Istanbul en ce moment par une personne qui est passée sur la ZAD il y a quelques semaines :
Istanbul 13 Juin 2013
Depuis 10 jours toute la banlieue, le centre ville et l’occupation du parc (Gezi) sont des zones libres, sans flics. C’est vraiment impressionnant de voir la résistance et la solidarité des gens de différentes sortes de croyances, incroyable de voir le campement dans son ensemble. Les rues sont sans flics et les gens sont pacifiques les uns envers les autres.
On a été prévenu.e.s mardi matin quand il y avait moins de monde dans le parc que la police allait attaquer. Mais les médias ont été positionnés pour présenter une police pacifique, non agressive pendant qu’en réalité les gens étaient sous les gaz et lourdement blessés. Alors que toute la journée le gouvernement déclarait dans les médias qu’ils n’entreraient pas dans le parc, ils ont envoyé du gaz toute la journée. Pendant qu’il devait y avoir une explication médiatique aux alentours de 13h, les flics ont crié aux occupant.e.s de rester calmes alors que c’était le cas, puis ils ont commencé par envoyer des sons de bombes, puis des gaz en quantité extrême et à utiliser les cannons à eau. La solidarité des gens est incroyable. Ça c’est calmé aux alentours de 19h alors que beaucoup de gens arrivaient après le travail. Alors que tout était apaisé, en une seconde, c’est redevenu une zone de guerre. Beaucoup de gens sont blessés et malheureusement ça n’arrête pas. La couverture médiatique raconte vraiment d’autres histoires, les gens en action sont confus et le gouvernement donne l’impression qu’il ne sait vraiment pas comment contrôler la situation :) . Mais la dernière info que nous avons eu est qu’ils ne sont plus responsable de l’intégrité des vies humaines. Je ne sais pas quand je pourrai écrire à nouveau mais c’est très important de faire savoir qu’avec solidarité et résistance, les gens même fatigués et incertains de ce qui va arriver, viennent encore pour aider, occuper le terrain, nourrir et s’occuper les un.e.s des autres. Au centre ville on entend le son d’une très large quantité de personnes qui ne partent pas et qui n’ont plus peur. Les droits humains sont complètement écrasés ou ignorés par le gouvernement (aujourd’hui il y a eu beaucoup eu d’arrestations d’avocats et de juges). Ils essayent d’emprisonner ou de faire peur aux gens qui sont d’une résistance incroyable et qui vont au delà du possible.
Avec amour et solidarité des nouvelles de la cité. C’est juste important d’informer l’extérieur car il y a beaucoup de faux médias.
Maintenant nous sommes dans une situation totalement différente
La nuit dernière autour de 20h ils ont commencé à gazer le parc puis des TOMA (camions qui peuvent envoyer du gaz et de l’eau) ont commencé à envoyer de l’eau. Après avoir aidé les personnes qui avaient été touchées on a découvert qu’ils avaient reçu de l’acide corrosif qui brûle la peau pendant des heures. Si on lave avec de l’eau ça brûle encore plus. Après ça ils ont attaqué l’hôtel ou étaient basés les docteurs et les unités d’urgence de ce quartier en envoyant du gaz pendant un certain temps. Après que ces nouvelles aient commencé à arriver tout les endroits ont ouvert leurs portes pour prendre soin des personnes touchées par les tirs de cartouches lacrymos, les brûlures à l’acide, les balles en caoutchouc… Alors les hôpitaux ont été gazés. Ensuite ils ont commencé à prendre l’équipement médical. Ce matin ils ont arrêté et battu les docteurs qui aidaient. Pour le moment beaucoup de gens qui ont été arrêtés ne peuvent pas être trouvés dans les postes de police. D’un autre côté il y a eu beaucoup de gens qui ont essayé de marcher ou de venir en bateau vers cette zone, des enfants, des personnes âgées et autres ont été brutalement violentés par la police. Comme il n’y avait pas assez de policiers les gendarmes sont aussi intervenus. Partout c’est devenu une zone en guerre. Les personnes sont restées solidaires bien que fatiguées, par exemple en allant jusqu’à l’extrême (« absurdité ? » – difficulté de compréhension de cette phrase pour la traduction) d’organiser une chaine humaine pour que le poste de police ne soit pas attaqué. Beaucoup de parents et d’enfants ont été séparés et perdus. Maintenant ils arrêtent tout le monde.
Malheureusement on voit maintenant un autre niveau de violence qui est plus effrayant. La police secrète a distribué aux fascistes des t-shirts avec l’inscription « police », des battes, des masques à gaz, ils sont de plus en plus nombreux partout autour, ils chantent et battent les gens sous la protection de la police. Et malheureusement dans mon quartier les gens essayent de se cacher. Je n’ai aucune idée de ce qui va se passer. Les gens sont solidaire, ils rentrent et ils sortent mais cette fois ils attaquent d’une manière qui va au delà de la violence et du respect des droits humains.
Et pendant que cette occupation avait lieu, ils essayaient de faire passer une nouvelle loi qui donne le droit aux agents secrets de faire ce qu’ils veulent en opération, tuer sans ordre du tribunal. Et pour qu’ils puissent utiliser des armes à feu sur les personnes qui manifestent ou qui courent pour échapper à la police. Ce n’est pas encore passé mais c’est en proposition.
Il y a aussi un appel en Turquie à ne pas aller au travail demain en action de solidarité
Je ne peux écrire que ça et malheureusement ce n’est qu’une petite portion de ce que nous traversons maintenant. Beaucoup d’amour et d’embrassade à vous tou.t.e.s là-bas, je n’ai pas l’énergie en ce moment de répandre l’information, ça serait chouette si vous pouviez le faire (sans communiquer mon nom).
Le camarade d’Istanbul nous a fait parvenir un second texte
(1er texte : Compte-rendu et analyse parcellaire de la situation à Istanbul – 16 juin : http://dndf.org/?p=12543)
On sait depuis longtemps que rien n’est plus étranger à une lutte que sa propre fin. Mais à voir tout un tas de zozos qui tentent de poursuivre la protestation en se transformant en statue silencieuse (qui parfois tient un smartphone à la main), on constate à quel point la chose est littéralement pétrifiante.
Il semble bien que les affrontements et les manifs nocturnes du week-end aient constitué le baroud d’honneur du mouvement. L’expension/extension qui seules auraient pu lui permettre de se poursuivre n’ont pas eu lieu.
Ces derniers jours, le pouvoir a montré les crocs. Après avoir délibérément déployé un très haut niveau de violence dans l’expulsion de samedi (usage de gaz dans les canons à eau, chasses à l’homme, attaque de l’hôtel qui servait d’hôpital…), il a annoncé le déploiement d’unité de flics et de gendarmes rapatriés du Kurdistan à Istanbul. Dimanche, les rues de tous les quartiers entourant la place Taksim étaient saturées de keufs qui dispersaient tous les groupes qui se formaient pour tenter de faire front. Beaucoup de civils, beaucoup d’arrestations (600 selon plusieurs sources), beaucoup de blessés encore. Des groupes pro-AKP ont commencé à se former, intimidant les manifestants, un molotov a été envoyé sur les manifestants (d’un bateau à un autre). Le gouverneur d’Istanbul a menacé de déployer l’armée, Erdogan a dit aux manifestants : vous avez tel et tel quartier avec vous, mais nous avons tel, tel et tel autre. L’ambiance est à la menace du retour aux années sombres, à la suspension des usages démocratiques. Le pouvoir joue sur la peur de la guerre civile, alors même que la situation est très loin d’être insurrectionnelle. On peut supposer que ça fait peur à beaucoup, étant donnée la composition sociale de la contestation – des gens que l’état de droit protège de fait.
Lundi, grève et manif appelées par plusieurs syndicats de gauche, essentiellement dans la fonction publique. La grève est peu suivie, les syndicats décident de dissoudre les cortèges, guère massifs, dès lors qu’ils sont bloqués par les flics. Les syndicats ont clairement peu mobilisé, ce mouvement ne colle guère avec leur agenda politique. Ils ne sont pas enclins au rapport de force avec le gouvernement, et n’y sont pas forcés par leur base. Les forces politiques d’opposition cafouillent, elles étalent leur faiblesse, elles n’ont jamais su comment tirer profit du mouvement. Elles ne cherchent aucune victoire dans l’immédiat – tant mieux, sans doute, mais elles savent quand même affaiblir la dynamique d’affrontement dès lors que le mouvement n’a jamais cherché à les en exclure.
Mardi matin, rafle au sein des organisation d’extrême gauche, qualifiés de terroristes par le pouvoir, qui dit vouloir condamner des gens à la prison à vie. Le chef des ultras de Çarsi est également arrêté. Ce n’est sans doute pas fini.
La répression sait choisir ses cibles. On évoquait dans le précédent texte (« compte-rendu et analyse parcellaire de la situation à Istanbul ») la double composition du mouvement : d’un côté les militants de la mouvance d’extrême-gauche (maos, trortskos, Kurdes) plus ou moins autonomisés, auxquels se sont adjoints des ultras « anarchistes » rodés à l’affrontement de rue ; de l’autre la classe moyenne européenne de la ville. Ces deux composantes se sont impliqués avec des modalités assez clairement distinctes ; et désormais la répression creuse le fossé entre elles. La première composante a été frappée durement et va continuer à l’être. Certes, tout le monde a mangé du gaz et les arrestations ont été massives, dépassant le noyau dur des activistes et des « violents », mais pour la plupart, les garde à vue ont été de courte durée et sans suite. Le traitement est clairement différent, surtout depuis une semaine, et le mouvement s’en défend guère.
Il y a encore beaucoup de traces du mouvement : dans les quartiers des classes moyennes occidentales, on continue à crier des slogans, à siffler et à taper dans des casseroles à heure fixe, et désormais on adopte ce truc débile de la pétrification. Mais c’est là une contestation morte, dénuée de rapport de force réel, et qui porte plus que jamais la marque d’une identité sociale et culturelle spécifique liée à la bourgeoisie kémaliste. De fait, l’ensemble de cette frange de la population a soutenu le mouvement parce qu’elle est naturellement opposée à l’AKP. Elle y a aussi participé, elle a été présente, mais il y avait aussi là quelque chose de l’ordre d’une affirmation de son existence en tant qu’élite sociale de ce qu’elle perçoit comme étant « son » pays menacé par un gouvernement qu’elle rejette. La distinction entre l’activité de lutte et la démonstration du soutien à son égard a souvent été flou – noyé dans un effet de masse censé porter le rapport de force.
Cette activité de lutte a elle-même été limitée. Assemblée, occupations, grèves, blocages ont été inexistants. Certes, le parc a été durant toute la durée de la lutte un « espace libéré », et l’expulsion de la police du périmètre en a fait un lieu d’échange, de réappropriation du temps et de l’espace, d’élaboration de certaines pratiques d’expression, et de défense commune – et cette occupation a provoqué un blocage de fait, même si ce n’était pas son but assumé. Une puissance collective a bien été là ; elle a suscité de l’euphorie même chez les militants les plus aguerris – et d’un point de vue extérieur on a eu l’impression d’assister un sacré truc. La réaction à l’expulsion samedi soir (manifs nocturnes spontanées dans toute la ville avec blocage de certains axes) a même laissé entrevoir la possibilité d’une explosion de l’espace d’affrontement. Mais l’incapacité du mouvement à se doter d’autres perspectives – qui auraient supposé le développement d’un affrontement en son sein même – a provoqué son affaissement progressif, que le pouvoir a voulu mettre en scène comme un écrasement violent – pour des raisons qui lui sont propres.
Les barricades sont maintenant déblayées et le parc est désormais gardé par des cohortes de flics. Des civils hantent la zone ; ils s’affichent ; ils contrôlent. Alors qu’il y a quelques jours encore la moitié des gens que l’on croisait dans le secteur se baladaient ouvertement avec des casques de chantiers, des lunettes de plongée et des masques à gaz, il n’est maintenant pas bon que ce type de matériel soit découvert au cours d’une fouille inopinée.
Les concerts de sifflets à heures fixes dans les quartiers « laïcs » cachent mal le processus de normalisation ; les gens statufiés rendent éclatante la fin du mouvement. Peut-être le mouvement affaibli politiquement le pouvoir en place ; peut-être aura-t-il un coût électoral pour lui. Alors la bourgeoisie kémaliste évoquera avec nostalgie ce « réveil » qui aura marqué son retour sur la scène politique.
Peut-être aussi que beaucoup auront appris de ce mouvement, que des lignes de force au sein de la société turque auront bougé, qu’un esprit contestataire se sera ancré au sein de la jeunesse. Tout cela, il est trop tôt pour le dire – mais la fin d’un mouvement ne contient que rarement la force du suivant. A l’heure actuelle, ceux qui subissent la répression – et doivent désormais s’organiser face à elle en tant que fraction distincte au sein du mouvement – ne ressentent que trop bien ce que signifie la victoire de l’Etat.
En cherchant la chanson Tencere Tava* qui avait illustré la révolte des « Pots et Casseroles » je suis retombée par ici.
Pour les archives de gezipark.nadir.org elles sont retrouvables en grande partie par ici https://web.archive.org/web/sitemap/http://gezipark.nadir.org/
* la chanson Tencere Tava de 2013 est là https://www.invidio.us/watch?v=o-kbuS-anD4 et sa reprise par des artistes grecs du mouvement #SupportArtWorkers en soutien au Grup Yorum est ici : https://www.invidio.us/watch?v=ouJSeTiBM-4