“Il faut distinguer le racisme d’Etat des hostilités et des tensions intercommunautaires. Il faut les moyens de l’Etat pour commettre des crimes de masse et des discriminations massives. (…) Le contexte est à la fois historique et politique. On a raison de dire que c’est une erreur historique que d’affilier et d’inscrire la haine anti-juive actuelle, la judéo phobie, dans la filiation de l’antisémitisme européen qui est un phénomène parfaitement circonscris dans l’histoire de ce pays et qui est européen. (…) Les tensions et haines intercommunautaires qui aujourd’hui opposent -et effectivement je ne le nie absolument pas, juifs et arabes- sont à lier à la fois à l’histoire coloniale française, et notamment algérienne, ainsi qu’à la création de l’Etat d’Israël. (…) La question est : que faut-il faire ? Quels sont les moyens efficaces de luttes contre cette haine anti-juifs ? Si l’on comprend qu’il y a une nouvelle filiation de l’hostilité envers les juifs qui est celle de la colonisation et qui est celle du sionisme, (…) il faut lutter contre le sionisme qui est une idéologie politique qui lie le sort de tous les juifs à Israël qui est un état colonial, raciste, et qui commet des crimes de guerre. La conséquence de tout cela, c’est effectivement qu’aujourd’hui les juifs malheureusement sont essentialisés par cette idéologie et il s’agit aujourd’hui d’abord dans un premier en France de comprendre que tous les juifs ne sont pas sionistes. Mais, malheureusement, qui sont invités sur les plateaux de télévision ? Les juifs sionistes, jamais les juifs antisionistes.”

Ces mots ne font pas réagir que Yardeni. Deux jours après de cette émission, la Ligue de Défense Juive a agressé la militante[3].

Vu de Toulouse, la venue de Netanyahu au Capitole est provoquée par la conjonction de plusieurs choses : les relations au beau fixe entre Israël et Toulouse, en ce 50ème anniversaire du jumelage Toulouse-Tel-Aviv et la campagne islamophobe qui tente de faire de Toulouse, lieu d’une partie des crimes de Mohamed Merah, un symbole de la lutte du monde éclairé contre l’obscurantisme.

A Toulouse, depuis les crimes de Toulouse et Montauban, on voit défiler du beau monde. Ca a démarré par Guéant qui, suite aux premiers crimes du tueur au scooter, est venu assurer une présence réconfortante dans la ville, jusqu’à ce que le criminel soit identifié et mis hors d’état de nuire. Guéant qui venait nous protéger : cela n’augurait rien de bon. La dernière visite prestigieuse en date est celle de Manuel Valls. Pierre Cohen espérait le convaincre de mettre Toulouse en ZSP, pour poursuivre la surenchère sécuritaire engagée dans les quartiers suite aux crimes de mars dernier. Pendant sa visite, Valls a assisté à une démonstration de la compagnie de sécurisation en situation de violences urbaines. Comme ses prédécesseurs UMP, Valls prépare l’avenir en formant ses policiers aux interventions émeutes urbaines. Il a également honoré de sa présence une cérémonie de naturalisation, puis a rencontré des représentants de la communauté juive à l’Espace du Judaïsme, en présence du maire Pierre Cohen, d’Arié Bensehmoun – le « président de la communauté juive »- et de Nicole Yardeni[4]. Valls y a affirmé que «L’antisionisme c’est de l’antisémitisme ». Ce n’est en rien surprenant : Valls a déjà publiquement déclaré être « lié de manière éternelle à Israël ».

Les relations au beau fixe entre Israël et Toulouse, en ce 50ème anniversaire du jumelage Toulouse-Tel-Aviv

Toulouse ne devient pas israélienne seulement quand vient Netanyahu. Après 37 ans de droite au pouvoir à la Mairie, les socialistes emportent la mairie en 2008. Dès le mois de juillet, Pierre Cohen se rend en délégation en Israël pour renouer les liens avec Tel Aviv. L’accompagnent sa directrice de Cabinet, plusieurs élus[5], le maire de Tournefeuille et vice-président du Grand Toulouse, celui qu’on nomme « président de la communauté juive »[6], les représentants du CRIF et du FSJU, et un représentant de la chambre de commerce France-Israël.

En 2009, Cohen participe en personne au centenaire de la ville de Tel-Aviv. Pour honorer le « partenariat fort » qui unit les deux villes, il s’engage à ce que la participation toulousaine soit d’ampleur, avec un plateau culturel présentant toutes les facettes de la vie artistique de la ville. La même année, le maire de Tel-Aviv Ron Huldai est reçu à la Mairie pour une célébration du centenaire de la ville jumelle. La visite la plus récente de Huldaï date du 12 octobre 2012, pour fêter cette fois les 50 ans du jumelage Toulouse-Tel Aviv. Cohen devrait rendre l’invitation dans les semaines à venir. [7]

Et puis il y a la routine. La Mairie continue de commémorer salle des Illustres la naissance de l’Etat d’Israël moderne chaque mois de mai : le maire invite, et le CRIF assure les réservations. Depuis 2008, plusieurs délégations, par la Chambre de Commerce France Israël, et jusque récemment avec un financement du Conseil régional, ont conduit en Israël des professionnels toulousains des secteurs de l’agro technologie, des biotechnologies, de la sécurité, de l’équipement médical nanotechnologique, des nouveaux médias, etc. Les entreprises israéliennes d’armement et de défense participent régulièrement à la Convention Aéromart : ce mois de décembre c’est par exemple Elbit Systems qui sera à Toulouse. Au dernier dîner du CRIF, les socialistes locaux étaient en nombre[8]. Le président du Conseil Régional a même, pour l’occasion, été récompensé pour son implication dans des échanges innovants et créatifs avec Israël. La routine, en somme.

Cela est en partie le fruit du travail politique effectué par le CRIF Midi-Pyrénées. Pour le CRIF, le mélange des genres est la règle. Quand on lit que l’engagement de la présidente du CRIF Midi-Pyrénées est né d’un voyage en Egypte où l’antisémitisme l’a glacée et où elle a été frappée par la confusion entre religion et politique », on est presqu’amusé. Elle représente une organisation qui joue l’intermédiaire entre institutions et français juifs à l’occasion de fêtes religieuses, de commémorations officielles pour la mémoire, de délégations économiques en Israël, d’information et de défense des intérêts de l’Etat d’Israël- quel que soit le gouvernement-, de communiqués et manifestations sur les évènements en Israël, de dénonciation d’actes haineux, d’organisation de voyages d’élus en Israël. Un exemple suffit à illustrer cette confusion : le CRIF Midi-Pyrénées dénonçait pendant les manifestations contre Plomb durci que le conflit du Proche Orient soit importé ici. Et concluait sa manifestation du 25 janvier 2009, « contre la haine des juifs, contre l’extrémisme, le fanatisme et le terrorisme, pour préserver la paix civile menacée, pour exprimer le soutien à Israël » par le chant de la Tikva – hymne nationale de l’Etat d’Israël- et de la Marseillaise.

Nous, c’est la modernité face aux barbares de Musulmanie d’Algérie, de Palestine et de Reynerie

La venue de Netanyahu, nous dit Yardeni, est l’occasion de faire savoir au monde que «cette idéologie meurtrière ne frappe plus qu’au Moyen-Orient». Qui viendra dénoncer cela ? Le représentant d’un Etat dangereux et belliciste qui pratique l’apartheid, l’occupation et l’expansion coloniale au grand dam de l’ONU et qui utilise la théorie du choc des civilisations en justification. En écho à cela, l’obsession du CRIF Midi-Pyrénées pour l’islamisme radical n’a pas commencé le 19 mars 2012. Cette organisation a l’habitude d’importer le jargon de la colonisation pour décrire les actes judéophobes en France : une manière d’ethniciser la question et d’assimiler tout « arabo-musulman » moins inféodé que Chalghoumi à un radical extrémiste terroriste en puissance. Cette ethnicisation réduit une question politique à un affrontement d’arabes et de juifs. Et tout acte de révolte ou de soutien à la Palestine en France est assimilé à de la haine envers les juifs. D’où la nécessité d’homogénéiser les arabo-musulmans : le procédé renvoie les français issus de la colonisation à une extériorité et intègre le CRIF au camp du bien et de la Civilisation.

La psychose n’a pas commencé d’être entretenue en mars 2012. En 2004 le CRIF MP invitait Sarkozy à son dîner annuel : dans un discours apocalyptique[9], Arié Bensehmoun lui transmettait « l’immense inquiétude de la communauté juive ». Les « concitoyens musulmans » représentés ce soir-là par le CRCM étaient alors interpellés : Merah n’était qu’un têtard et déjà le CRIF demandait au « président de la communauté musulmane » de rendre des comptes pour ses ouailles. N’évoquons même pas le meeting de soutien à Redeker. En 2006, le CRIF MP organisait le forum Israël-Diaspora[10], en présence de Pierre Lellouche, de Julien Dray, du Consul général d’Israël avec 3 tables rondes : « Les racines de l’islam radical » ; « Comment le fascisme vert menace la paix mondiale ? » ; « Impact de l’islamisme en Israël, en France et en Europe. Toujours dans sa conception communautariste de la société, fin mars 2012, le CRIF interrogeait le responsable local du Conseil Français du Culte Musulman pour lui faire dire que les crimes de Toulouse et Montauban étaient de la responsabilité de la « communauté musulmane ». Dans le même temps, dans les prises de parole publiques, le CRIF MP assimilait les crimes de Merah à un crime contre la république, manœuvre pour que la République se sente menacée par ses jeunes arabes. Comme si la république avait besoin de Merah pour voir en les arabes une menace… Merah sert à justifier rétrospectivement le racisme structurel dont les arabes et les musulmans font l’objet : « on vous l’avait bien dit » disent-ils en substance. Et en prime, le 1er novembre 2012, avec la venue de Netanyahu, Toulouse devient un instrument dans la campagne de l’extrême-droite israélienne. Le Maire peut bien le recevoir, pour continuer dans sa logique d’enthousiasme honteux. Mais ce ne sera pas en notre nom : notre ville compte de nombreux antiracistes anticolonialistes anti-impérialistes farouchement opposés aux hiérarchies racistes institutionnalisées et revendiquées, que ce soit dans l’Algérie colonisée, dans l’apartheid sud-africain ou en Palestine.

Déchoukaj

Toulouse, le 29 octobre 2012.

[1] La Dépêche du Midi du 24 octobre 2012

[2] Ca vous regarde : Antisémitisme, le retour des vœux démons ?

[3] Houria Bouteldja raconte son agression par la LDJ

[4] Le Ministre de l’intérieur à Toulouse

[5] Sonia Ruiz (adjointe chargée du Tourisme), Jean-Paul Makengo (adjoint chargé de la Diversité-Egalité) Daniel Benyahia (adjoint au maire chargé de l’Urbanisme), Joël Carreiras (adjoint aux Finances), Kader Arif (conseiller municipal chargé des Relations internationales) Françoise Henry (directrice de Cabinet), Claude Raynal, Arié Bensehmoun, Nicole Yardeni, et Ephraïm Teitelbaum. Pour la petite histoire, premier élu noir de Toulouse, socialiste et ancien militant pour la mémoire de l’esclavage et de la traite négrière, accompagnait cette première délégation pour un échange de bonnes pratiques en matière de discriminations (sic).

[6] Et qui présidait le CRIF pendant les mandats de Douste-Blazy et Moudenc.

[7] Les autres villes jumelles sont Kiev, Chongqing, Elche, Bologne, Atlanta. Des accords de coopération existent avec N’Djamena, Saint-Louis du Sénégal et Hanoï et, depuis 2009, avec Ramallah en matière de développement durable et de gestion municipale.

[8] Lien – Monique Iborra, Nadia Pellefigue, Kader Arif, Gérard Bapt, Nicolas Tissot, Joël Carreiras, Martine Martinel, Pierre Cohen, Martin Malvy

[9] Discours d’Arié Bensemhoun, Président du CRIF Midi-Pyrénées Au dîner du CRIF, le lundi 2 février 2004

[10] 7ème Forum Israël-Diaspora – Toulouse, 17 septembre

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