Anarchosyndicalisme : en finir avec un schéma révolutionnaire obsolète
Catégorie : Global
Thèmes : Actions directes
Ces représentations sont encore prégnantes dans le mouvement anarchosyndicaliste, à des degrés divers, et ceci malgré l’expérience de vie quotidienne que peuvent avoir les militants. L’expérience historique n’a pourtant pas laissé les organisations anarchosyndicalistes en dehors de la réalité : en Espagne, la CNT, qui était l’organisation syndicale majoritaire en 1936, a mené « sa » révolution (comme on peut dire que les partis léninistes ont mené « leur » révolution) et elle a appris que le pluralisme politique était une réalité qu’on ne pouvait nier ; en Suède, dès la fin des années 50, la SAC a tenu compte de la nouvelle donne salariale dans le cadre du Welfare State (croissance économique, plein emploi, État social) et a donné une nouvelle direction stratégique à l’anarchosyndicalisme : l’approfondissement de la vie démocratique. Mais ces expériences n’ont pas réveillé de son sommeil dogmatique le mouvement anarchosyndicaliste, tout au moins jusqu’à la renaissance d’une réelle activité syndicale dans les années 1980. Nous sommes encore dans cette renaissance, timide mais que l’on ne peut plus qualifiée de précaire, et il nous reste du chemin à faire, beaucoup de chemin…
L’impuissance radicale des partis politiques face à l’autonomie de la sphère économique, dans le cadre du capitalisme mondialisé d’insécurité sociale, rend assez compréhensible un certain « retour » de l’anarchosyndicalisme. La référence à l’anarchosyndicalisme sert à qualifier ici et là les nouveaux mouvements sociaux (de la contestation altermondialiste, qui refuse majoritairement de se structurer dans un parti politique, à la création de syndicats « alternatifs »), et ce retour est visible dans le développement, modeste mais réel, des organisations anarchosyndicalistes proprement dites.
Simultanément, l’anarchosyndicalisme militant ne peut espérer « remettre le couvert » comme si rien ne s’était passé depuis un siècle : dans les pays capitalistes avancés − où près de 90% de la population active est salariée, sans que le salariat généralisé ait amené une paupérisation à la même échelle − la question économique ne se présente plus dans les conditions qui prévalaient depuis les débuts de la révolution industrielle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, quand salaire était grosso modo synonyme de pauvreté. C’est aujourd’hui bien plus l’absence de salaire (à travers le chômage ou le temps partiel imposé) qui remet la pauvreté au centre de la « question sociale ». Par ailleurs, la simple réalité historique a montré que le mythe d’une « One Big Union », un seul grand syndicat capable d’organiser l’ensemble de la classe salariée, était bien un mythe. Cela relève de l’évidence, mais il n’en reste pas moins que l’anarchosyndicalisme a du mal à se défaire d’un imaginaire politique obsolète, en contradiction avec les conditions réelles de nos sociétés contemporaines.
Faute d’en finir avec cet imaginaire, les militants vivent dans une sorte de schizophrénie politique. Ainsi, par exemple, la CNT française se trouve en première ligne dans la défense de la Sécurité sociale, de la retraite par répartition, des services publics, tandis que son discours général s’en tient le plus souvent à une litanie sur le mode du « rien n’a changé » (sous-entendu : depuis les débuts du capitalisme), niant dans ce discours les acquis défendus sur le terrain. Ou encore, le positionnement révolutionnaire continue d’être trop souvent prisonnier d’un rêve insurrectionnel, sur fond de barricades et au nom d’une communauté ouvrière politiquement homogène…
Les représentations héritées d’un passé non critiqué et transmises par une extraordinaire inertie de l’imaginaire politique constituent un poids mort, qui leste notre développement, entrave l’énergie constructrice de l’anarchosyndicalisme et, pourquoi ne pas le dire, crée une souffrance psychologique chez bien des militants. Ces représentations sont tout simplement fausses, non pertinentes, et on ne peut espérer développer à nouveau l’anarchosyndicalisme comme mouvement syndical, social et politique d’ampleur, pesant sur la réalité de nos sociétés, sans critiquer ces représentations.
… / …
Lire la suite et télécharger le texte sur : http://www.autrefutur.net/Anarchosyndicalisme-en-finir-avec
ce texte écrit en 2005 est plus que daté ; le commencement de la crise de 2007/2008 invalide totalement cette thèse
d’ailleur la réalité de la guerre de classe ( dixit le milliadaire Warren Buffet ) mené depuis les années 1980 contre la classe salariée est totalement absente de l’analyse
mais où vit donc son auteur ?
Autant je pense que sur la question des salariés, le commentaire de JJ a raison contre le texte – le salariat redevient synonyme de misère, et il suffit de penser au Bengladesh ou à la Chine pour le comprendre, mais le concept américain de working poor le montre aussi – autant je pense que la question posée par le texte est pertinente : comment adapter nos pratiques de lutte à l’évolution que le capitalisme impose ?
Par exemple, il est patent que la précarité, la généralisation de l’intérim et du temps partiel empêchent de plus en plus de se réunir sur le lieu de travail ; les lieux de rencontre et de discussion sont maintenant dans l’occupation de la rue et dans les manifs ; il faut aussi participer à toutes les AG et réunions où l’on peut le faire pour se retrouver, discuter, décider.
C’est là que la pratique syndicale coince beaucoup : dans le mouvement des Indignés en Espagne, ce sont bien plus les groupes politiques qui étaient présents, ainsi que les groupes autonomes de réflexion, les cercles de discussion. Les syndicats, avec leur pratique au niveau du métier, de la corporation, n’étaient clairement pas adaptés à la situation…