Lettre ouverte du centre lgbt de nantes à mr hutin, directeur de la publication de ouest-france
Category: Local
Themes: Genre/sexualités
Places: Nantes
Monsieur Hutin,
Citoyennes et citoyens de l’ouest de la France, nous avons toutes et tous été à un moment ou un autre, lectrices et lecteurs de vos éditoriaux et ce depuis de nombreuses années déjà.
Votre plume vous a rendu célèbre, et vos prises de positions, souvent habiles, se caractérisent par une pondération que certaines et certains vous reprochent bien souvent. Mais il arrive parfois que vos éditoriaux deviennent obsessionnels, notamment lorsqu’il s’agit de sujets qualifiés de sociétaux. Ainsi, ce que vous nommez « mariage homosexuel » semble hanter votre esprit au point de vous faire oublier toutes les règles de prudence qui vous sont pourtant habituelles. Pas de demi-mesure sur cette question ! Libérée, votre expression s’emballe au point de paraitre déraisonnée, et surtout contradictoire.
Déjà, le 1er juillet dernier, une journaliste avait eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet dans vos colonnes, par le biais d’un éditorial intitulé « des repères stables pour surmonter la crise ». Vous voudrez bien excuser la faiblesse qui nous pousse ici à la citer : « En Europe, la famille est la cellule de base de la société. Le système de parenté se définit dans le cadre de l’union de l’homme et de la femme. Le mariage a aussi été créé pour définir la filiation qui permet à chacun de savoir d’où il vient et pour protéger les femmes ». Ainsi donc, elle nous expliquait que le mariage a bien été créé pour protéger les conjoint-e-s et leurs éventuels enfants, notamment face aux imprévus et aux accidents de la vie.
Dès lors, nous ne pouvons que nous étonner lorsque vous affirmez : « au reste, on peut se demander quelles sont les raisons de la revendication du mariage par les homosexuels. A l’heure même où le mariage est décrié, abandonné, remplacé par la pratique généralisée du concubinage, ce que l’on appelait autrefois l’union libre, alors même qu’en France 50 % des mariages donnent lieu à divorce, pourquoi le mariage devient-il si essentiel à ces personnes ? ».
« Ces personnes », ici qualifiées avec une certaine forme de mépris, vous répondront qu’elles souhaitent tout simplement avoir les mêmes droits que vous et votre famille. « Ces personnes » souhaitent pouvoir divorcer comme tout le monde. Elles veulent aussi pouvoir « définir la filiation qui permet à chacun de savoir d’où il vient et (aussi) protéger les femmes ». Ces personnes, parce que profondément humaines, souhaitent aussi pouvoir pratiquer l’héritage, le népotisme, le concubinage… et toutes les petites faiblesses propres à notre fragile humanité. Elles souhaitent également pouvoir prétendre, comme tous les couples, au droit de perception de la pension de réversion quand leur conjoint-e perd la vie. Enfin, « ces personnes » souhaitent surtout que leurs enfants disposent des mêmes droits que tous les enfants, et ce, dans le plus grand intérêt de ces derniers. Vous le voyez, contrairement à ce que vous proposez, « ces personnes » qui refusent les privilèges et les discriminations savent bien, elles, que l’arbitraire de certain-e-s juges ne remplacera jamais la clarté et la justice propres aux lois de la République !
Enfin, comme vous, nous affirmons aussi que cette République laïque, à laquelle vous vous référez autorise, bien entendu la prière, et nous n’avons jamais remis en cause cette liberté fondamentale. Cela est d’ailleurs tellement vrai, que parmi « ces personnes », il en est de nombreuses qui prient, y compris pour que le mariage pour tous les couples voie enfin le jour. Et puis d’autres parmi nous ne prient pas. Cette richesse de vues, de croyances et de convictions témoigne pleinement de notre refus de toute forme de communautarisme. Nous affirmons aussi que les lois de notre société ne doivent pas être fondées sur des croyances mais sur des réalités qui méritent en effet qu’on en débatte.
A ce titre, les dernières élections, d’abord présidentielle, et puis législatives, ont très clairement posé les tenants et les aboutissants du débat. Sur les questions de mariage pour tous les couples, car nous refusons l’idée même de « mariage homosexuel » comme vous le qualifiez injustement. Sur les questions d’homoparentalité, de Procréation Médicale Assistée (PMA) ainsi que de nombreux autres sujets, les Françaises et les Français se sont prononcé-e-s en toute connaissance de cause. Par ailleurs, toutes les enquêtes scientifiques sur ces sujets, confirment très largement ce désir d’évolutions.
Alors, Monsieur Hutin, répondez simplement à cette question : qui, dans ces conditions, souhaite voir « notre pays (…) divisé sur de telles questions » ? Quels démocrates entendraient remettre en question des sujets qui ont rassemblé une majorité de Françaises et de Français il y a une centaine de jours à peine ?
Votre emballement nous est incompréhensible, car il nous semble être assez éloigné des valeurs de la République. Car c’est bien au nom de la République que nous demandons que la Liberté, l’Égalité et la Fraternité soient traduits en droit. C’est au nom de la République que nous demandons à ce que tous les modèles familiaux soient reconnus et protégés par la loi. Et c’est aussi au nom de la République que nous refusons que soit stigmatisé le modèle familial que vous défendez, même si ce dernier, vous en convenez d’ailleurs, est aujourd’hui minoritaire.
La République est riche car elle est diverse, et ce n’est pas parce que le mariage pour tous verra le jour au premier semestre 2013 que nous vous obligerons, Monsieur Hutin, à vous marier avec une personne du même sexe. Nous espérons simplement que cette réalité vous permettra d’ouvrir les yeux sur le monde tel qu’il est aujourd’hui et vous permettra de décrisper vos opinions sociétales. Ainsi, vous retrouverez, au plus vite, nous l’espérons, toute la justesse d’analyse qui a si souvent caractérisé vos prises de positions éditoriales.
Enfin, contrairement à ce que votre éditorialiste du 1er juillet et vous sous-entendez si injustement, nous affirmons haut et fort, que nos prochaines victoires en faveur de l’égalité ne sauraient être la cause d’une quelconque aggravation de la crise. Non seulement ils ne l’accentueront pas, mais ils feront partie des nombreux progrès qui vont dans le sens d’une société plus juste et plus solidaire au sein de laquelle l’amour et la reconnaissance des unions basées sur l’amour doit avoir toute sa place. Ce projet est et sera toujours plus constructif que ceux qui visent à attiser les haines basées sur le rejet, les incompréhensions et le refus du monde tel qu’il est.
Avec l’espoir, que loin de toute emprise idéologique, vous retrouviez au plus vite votre Liberté de penser, nous vous prions de bien vouloir croire, Monsieur Hutin, en l’expression de nos salutations les plus respectueuses.
Vincent Danis
Président du Centre LGBT de Nantes
À deux reprises en quelques semaines, la famille Hutin, propriétaire du principal quotidien français, a éditorialisé sur la famille et la mort. D’abord, le 1er juillet 2012, ce fut Jeanne Emmanuelle Hutin, fille du PDG François-Régis Hutin, qui s’est fendue d’un édito intitulé « Des repères stables pour surmonter la crise » (http://www.ouest-france.fr/actu/editorial_-Des-reperes-…u.Htm). Le 11 août c’est François-Régis en, personne qui s’est livré, sous le titre « Prière, mariage homosexuel, euthanasie » (http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Priere-mariage…u.Htm) à une exégèse de la prière que le cardinal Vingt-Trois, président de la Conférence épiscopale de France, a rédigée pour être lue dans tous les diocèses le 15 août. Liberté d’opinion ?
On s’épargnera de discuter longuement les « arguments » de ces chrétiens catastrophés par les perspectives de l’ouverture du mariage aux couples homosexuels et d’une forme d’autorisation de l’euthanasie. C’est sans surprise ! L’homophobie, fort peu dissimulée, de la prose de la famille Hutin participe, dit-on, de la liberté d’expression. Les protestations légitimes n’ont pas manqué, comme on peut le lire dans une article publié sur le site Yagg (http://yagg.com/2012/07/23/dans-un-edito-ouest-france-p…oits/) ou dans cet autre, bien documenté, publié par Rue89 (http://www.rue89.com/2012/08/14/homophobe-nauseabond-le…34617).
Mais, dans le cas présent, la confusion est, une fois de plus, totale, entre la liberté de la presse et la liberté des patrons de presse… d’imposer aux journalistes des médias qu’ils possèdent et à leur lecteurs, non la lecture de « points de vue », mais d’éditoriaux qui engagent l’orientation d’un titre qui, dans le cas présent, est en position de monopole quasi-complet dans 26 départements.
Il faudrait que cela cesse : telle sera notre prière du 15 août.
Henri Maler