Un village français
Catégorie : Global
Thèmes : Resistances
Depuis quelques semaines, on peut voir fleurir une publicité pour le téléfilm « Un village français » avec le slogan « Qu’auriez vous fait à leur place ? ». On interroge le français de 2012 en le confrontant à une interprétation de l’Histoire de son pays. On nous tend à peine la perche de la réponse « On aurait sans doute fait comme eux …pardi… ». Ce téléfilm arrive t-il par hasard dans un climat où l’allégeance et la soumission aux valeurs dominantes est plus que vitale pour les élites politiques, dans un contexte de plus en plus propice à l’insoumission face aux injustices sociales par exemple?
Sarkozy ne sélectionne t- il pas son indignation calculée sur la présence du mot « race » dans la Constitution de 1946, alors qu’au même moment toutes les mesures à son initiative ces dernières années, encouragent la dualité entre communautés et la discrimination envers les grévistes, les minorités, sans papiers , chômeurs…
Les acquis sociaux issus du Conseil National de la Résistance en 1946, sont en pointe de mire du MEDEF et du patronat français depuis la Libération justement. N’est ce pas Guillaume Sarkozy ex N 2 du MEDEF qui déclarait qu’il fallait en finir avec les mesures sociales inscrites dans cette Constitution. Quoi de mieux que de faire passer l’idée qu’en fait à cette époque, les français se composaient soit d’individus passifs ou vaguement collabos par la force des situations, et de l’autre de résistants minoritaires, fonctionnant d’une manière froide, hiérarchisée déconnectée de tout sens humain ou de projet de société. Des résistants « communistes » psycho- rigides obéissants aux ordres des chefs ou du Parti quasi-aveuglément et sans poser de question. L’amalgame entre cette résistance décrite ici, et les décisions politiques sorties du CNR, ne vise t-il pas à discréditer les mesures sociales prises par ce dernier ? Les acquis de la Libération suivant ce message, ne furent t-il pas le fruit d’une poignée de résistants isolés dans un contexte collaborationniste larvé, donc ne correspondant en rien à la vraie volonté du « vrai »peuple, qui était on l’aura compris le conformisme pour les institutions, la passivité et la crainte vis à vis du plus fort.
Dans ce scénario préfabriqué,on oublie juste certains pans de l’Histoire exprimant une situation plus complexe. En 1940- 41 si les FTP sont déjà organisés, on compte parmi leurs rangs, les FTP Main d’Oeuvre Immigré (FTP-MOI) qui formeront une part importante des premiers mouvements de résistance. Déjà à partir de 1939, le groupe de Francisco Ponzan Vidal résistant espagnol, aide l’Intelligence Service et le bureau central de renseignement et d’action créé par de Gaulle (BCRA). Il facilite l’évasion de 1500 personnes dont plus de 700 aviateurs alliés. Ce réseau s’étend de Bruxelles à Lisbonne. Vidal sera arrêté et exécuté par les nazis en 1944.
Anarchistes et anarcho- syndicalistes formeront le MLE, Mouvement libertaire en Exil. Vichy se fera une priorité de l’éliminer. Ils participeront à la Libération de la France et de l’Allemagne dans l’espoir que de Gaulle les aidera à chasser Franco. La plupart seront instructeurs des premiers réseaux de résistance, transmettant leur connaissance de la clandestinité, de l’action militaire, et du maniement d’explosifs, citons les maquis de Dordogne, de l’Aude, de l’Aveyron, de Savoie, du Lot, de Loches, de Belves, de l’Isère, saint Girons, Privas,du Cantal, de Corrèze, des Landes, du Rouergue, du Limousin, du Vercors, sans oublier le maquis de COFRA( majoritairement anarquo-syndicalistes et cénétistes) celui du Barrage de l’Aigle où les anarchistes sont prépondérants.
A Foix, ce sont les anarchosyndicalistes qui libèrent la ville. Emilio Castro Ballesta qui commande le maquis du Limousin où le téléfilm en question est tourné est un des responsable de la résistance. Dans le Gers, la moitié des résistants sont espagnols et anarquo- syndicalistes et ce n’est pas une exception . Partout les espagnols sont à l’initiative ou fortement participants à la résistance contre les nazis, avant même l’entrée officielle de la résistance communiste, après le pacte germano- soviétique.
Le maquis du Barrage de l’aigle commandé par José German Gonzalez est en totalité espagnol, comme celui de Bort les Orgues.
Les maquis du massif central sont essentiellement formés d’anarchistes espagnols comme en Dordogne, les barrages de Marèges et du Chastang.
Beaucoup de ces anarchistes se retrouveront dans le Bataillon Libertad dirigé par l’anarchiste Santos. Ce bataillon libère le Lot et Cahors.
La deuxième DB du Général Leclerc est composé à 60% d’anarchistes. Ils sont plus que majoritaires dans la 9 ème Compagnie du 3 ème RMT « la nueve » uniquement composée d’espagnols. C’est elle qui rentre la première dans Paris- les premiers blindés se nomment « Ascaso », « Durruti » ou « Casas Viejas » en hommage à la répression anti cénétiste de 1931- cette participation est méconnu par les principaux historiens de la Libération.
Les six derniers mois de la guerre vont faire entrer dans l’oubli les militants de la CNT FAI, malgré leur bravoure voilée par un manque d’organisation nationale, les condamnant à l’oubli, voir à la mort dans leur refus de participer à la UNE, dirigé par le parti communiste espagnol en exil.
Cette dernière éliminera nombre d’anarchistes refusant de lui faire allégeance à la Libération et après, avec la complicité plus ou moins volontaire du pouvoir en place.
Fin 1944, la CNT, n’étant plus prête à continuer d’endurer cette brutalité, pose un ultimatum à la UNE, ce qui a pour effet d’arrêter les exécutions.
L’exil de ces résistants espagnols dura encore trente ans. Après avoir lutté pour la Libération de la France, il retournèrent se battre contre Franco. Les gouvernements de la 4ème et la 5 ème république collaborèrent avec la police franquiste pour qu’ils soient éliminés.
Certaines œuvres télévisuelles cherchent à sélectionner des éléments pour certains véridiques de l’Histoire, mais élagués d’un contexte et de participations embarrassantes pour l’interprétation de l’Histoire des politiques dominantes. On trie des informations justes pour en faire disparaître d’autres. C’est le principe de base de toute manipulation efficace; on se sert d’événements véridiques sur la forme, pour transfuser un fond falsifié.
Le monde universitaire et journalistique est donc mis à contribution par la main qui la nourrit, dans cette manœuvre de falsification de l’Histoire pour « Grand Public ». Cette résistance oubliée ne souhaitait pas s’arrêter à la défaite de l’Allemagne, mais avait bel et bien le projet de changer la société capitaliste vers plus de justice sociale, au delà de son combat contre le fascisme.
Le consensus de cette volonté s’exprimera bien qu’au rabais, vu le contingent hétéroclite du Conseil National de la Résistance allant de la droite, des gaullistes, en passant par des catholiques et des communistes, avec la Constitution de 1946 instaurant entre autres, la logique de sécurité sociale et les régimes par répartition.
Nous nous attarderons plus que brièvement sur le silence face à l’internement massif des immigrés espagnols dans les camps du sud ouest de la France, sans eau, nourriture, sans abri ni soins pour les blessés. Plus de 15 000 personnes mourront dans le camp de concentration d’Argeles alors qu’il comptait 100 000 réfugiés. 500 000 personnes fuiront la victoire de Franco pour être internés dans ces camps organisés par la 3 ème république de Daladier, dans un climat d’oubli et d’indifférence quasi totale. A la déclaration de guerre de 1939 ces réfugiés seront intégrés dans la Compagnie des travailleurs étrangers sous demande du patronat français afin de servir de main d’œuvre forcée, sous contrôle militaro- policier et hébergée en casernement. Ces camps serviront plus tard sous Vichy à entasser des allemands et autrichiens exilés, auquels s’ajouteront des milliers de juifs aux réfugiés espagnols encore captifs.
A la libération , les fournisseurs de ces camps n’auront aucun problème avec le nouveau pouvoir. Les hauts fonctionnaires impliqués avec les nazis seront pour certains élevés à des postes supérieurs; 300 hauts fonctionnaires seront maintenus et 51 ministres Vichyssois se verront amnistiés.
Que cherche t-on à nous transmettre dans ce message télévisuel quelques jours avant les élections? Nous français devrions nous soumettre à ce qui de tout façon aurait été le fait de la majorité des français, c’est à dire la soumission, qui ma foi « bien entendu » nous le savons tous, est bien humaine, voir même inhérente à l’être humain, pour ne pas dire légitime, d’après ce scénario.
Les connaissances sur la création de la Résistance par les refugiés étrangers espagnols, italiens, juifs communiste ou issus des Pays de l’Est, et la médiatisation de leurs motivations, auraient pourtant l ‘effet inverse que ce message subtil , prônant la soumission, et prouverait que d’autres histoires peuvent être construites, allant dans un autre sens idéologique que celui que l’on cherche à nous insuffler.
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