1ÈRE PARTIE : LE DÉROULEMENT DES FAITS

A 13h30, à la suite d’un appel circulant dans les réseaux militants rennais, un rassemblement est organisé place St-Anne auquel prennent part à titre personnel des militants des organisations et collectifs suivants : MRAP, Mixicité-Rennes, NPA 35, Breizhistance, Alternative Libertaire, Confédération Nationale du Travail, Mouvement des Chômeurs et Précaires en Lutte de Rennes, Comité universitaires-précaires, Fédération Anarchiste, (SLB) syndicat des travailleurs de Bretagne, Disuj! ainsi que des individus non-affiliés, soit une quarantaine de personnes. Quelques brèves consignes sont données : ne pas céder aux provocations verbales, ne pas emporter d’objets dangereux.

Vers 13h45, nous partons pour le Fleurte café où se tient une réunion de « Parousia », une émanation “culturelle” d’ « Égalité et Réconciliation ».

1er mensonge avéré d’E&R : des militants d’E. & R. prétendent qu’il n’y a pas de rapport entre “Parousia” et “Egalité & Réconciliation”.
Or,
1.) la salle est réservée par des militants d’E&R.
2.) E&R reconnait Laurent James, le “conférencier”, comme son “compagnon de route”(1. cf plus bas).
3.) Ce sont le porte-parole d’E&R Bretagne ainsi que l’association E&R qui s’expriment sur l’affaire. Donc, il n’y a pas plus d’une feuille de papier entre E&R et le discours millénariste-complotiste de “Parousia”.

Peu avant 14h, nous arrivons devant le café. Nous annonçons le blocage de la réunion et diffusons des tracts aux personnes présentes ainsi qu’aux passants. La discussion est d’abord tendue mais il n’y a aucune violence de part et d’autre. Au début, du côté de « Parousia » : tout le monde ou presque feint l’ignorance ou la simple curiosité. Mais les langues finissent par se délier peu à peu. Ce fait, ainsi que l’armement dont ils disposaient, laisse clairement penser que nous étions attendus, que peu de choses ont été improvisées.

2ème mensonge avéré d’E&R : Parmi les personnes présentes sur les lieux, nous n’aurions eu à faire qu’à de simples clients. En réalité, il s’agit a minima de sympathisants voire de militants d’E&R. Au moins l’un de ces prétendus “clients” vient d’être interdit de participation au tournoi de football “un stade pour Gaza” organisé par l’Association France Palestine Solidarité. (2. cf plus bas) Il s’est fait connaître publiquement pour ces déclarations antisémites et son iconographie à la gloire d’Adolf Hitler sur son profil Facebook.

Au bout de quelques dizaines de minutes, les menaces physiques commencent à pleuvoir de la part des militants et des soi-disant “clients”, “cafetiers” qui sont en réalité au minimum des sympathisants voire des militants d’E&R : « On sait que vous venez du Papier Timbré, ou du Ty anna, on viendra tout casser », « On te retrouvera, on te mettra une balle dans la tête », « on va vous fumer », “on va te défigurer, si on te retrouve”; « Vous êtes des pédés, des youps ». « vous êtes des parasites, personne ne travaille ici ». Nous essayons de répondre en gardant notre calme. Nous répondons par exemple : qu’un certain nombre d’entre nous ont une activité salariée, d’autres non, ce qui ne fait pas de ceux-ci des “sous-hommes”.
Certains militants d’E&R essaient de nous présenter comme des défenseurs des privilèges des blancs. Nous répondons sur un plan politique : l’étroite relation d’E&R avec le FN, son discours de préférence nationale, l’instrumentalisation de la juste cause des palestiniens à des fins proches de la tradition de l’extrême droite antisémite, la participation régulière d’un certain nombre d’entre nous aux actions du collectif de soutien aux sans-papiers, aux manifestations de soutien aux peuples soulevés de Tunisie ou d’Egypte, etc.
L’un d’entre nous tente de négocier avec le patron une voie de sortie : on propose d’annuler la réunion et de trouver un arrangement cordial. On lui offre de venir en discuter mais il objecte de son « droit d’organiser des réunions d’extrême droite si [il] veut », « c’est [son] business » : l’un d’entre nous objecte qu’ « on ne peut pas faire du business à n’importe quel prix, il y a des questions d’éthique »…

Un peu avant 15 h : plusieurs individus arrivent dont deux en quad. Nous les laissons entrer dans le café pour ne pas envenimer la situation. Il s’agit pour nous d’éviter l’affrontement et de limiter la violence, tout en empêchant la réunion de se tenir. Pour nous, le temps où la discussion – même très tendue – se poursuit avec les sympathisants d’E&R est un temps où la réunion n’a pas lieu. Cela nous suffit.

3ème mensonge avéré d’E&R : le “cafetier” déclare à l’Agence Bretagne Presse : “concernant les quads, c’est une invention pure et simple”. Pourtant dans le même article, Mr Casteits, porte parole d’E&R, en admet la présence.

4ème mensonge avéré d’E&R : le cafetier déclare à l’ABP : “pareil pour les flash-balls, il n’y en jamais eu”. Alors qu’un peu plus tard, une perquisition des enquêteurs a montré que l’un des frères stockait des flash-balls chez lui (3. cf plus bas). Nous savons que la police possède des photos montrant certains d’entre eux devant le café avec les armes qu’ils n’avaient soi-disant pas.

Vers 15h15-15h20, subitement l’un d’entre eux s’avance vers nous très menaçant, hurlant, et répète ceci : “j’en ai marre : vous voulez la guerre civile, OUI ou NON ?! NON, alors barrez-vous !”. Nous le repoussons. Il se frappe la tête et sort une gazeuse, les autres des matraques téléscopiques, des flash-balls…
L’un d’entre eux se jette sur un camarade. Nous parvenons à le dégager. Des tirs de flash-ball retentissent, on nous asperge de gaz lacrymogène, nous reculons. L’un d’entre nous est touché dans le dos par une balle de flash-ball. Nous essuyons des jets de cannette. Nous nous mettons hors de portée des flash-balls : on se scinde en deux groupes et on prend la direction du centre ville. Un groupe d’une quinzaine de camarades prend la direction de la rue de Vincennes. L’autre groupe d’une vingtaine de camarades remonte la rue Guéhénno en direction du centre. Les sympathisants d’E&R ont la “présence d’esprit” de récupérer les balles de flash-ball tirées qui sont tombées au sol. Une twingo bleue métallisée accélérant remonte la rue en sens inverse, elle manque de renverser plusieurs d’entre nous et projette violemment Awen au sol. Il s’en sort miraculeusement avec une entorse au genou. Elle tourne à fond de cale rue de Sévigné. Une femme en voiture qui passait là par hasard propose spontanément d’emmener Awen aux urgences. Il est environ 15h45, lorsque les deux groupes se rejoignent finalement place Hoche.

5 ème Mensonge avéré d’E&R : Mr Casteits déclare à l’ABP : “les militants sont restés dans le bar. Ce sont les clients qui se sont défendus et ils n’ont aucun rapport avec nous”. Le communiqué d’E&R parle lui de “violences subies par certains de nos adhérents”. D’une part, ce n’est pas très sympa ni solidaire de la part d’E&R de renvoyer la responsabilité aux prétendus simples “clients”. D’autre part, si comme chacun en convient la rixe a eu lieu à l’extérieur, comment peut-on être à l’intérieur et soi-disant subir des “violences” ? Un certain nombre de militants avérés d’E&R étaient bien à l’extérieur aux côtés des sympathisants, à qui, il est vrai, ils ont laissé faire l’essentiel du sale boulot.

6 ème Mensonge avéré d’E&R : les militants d’E&R laissent entendre que nous les aurions agressés. Se rassembler pacifiquement devant un café pour empêcher la tenue d’une réunion organisée par un groupe proche des thématiques antisémites, homophobes, sexistes et racistes ne constitue pas pour nous une “agression”. Nous l’assumons. D’ailleurs, une formule virile du communiqué d’E&R a la maladresse de trahir la version des faits aussi avantageuse que tronquée présentée par E&R : “une partie du public présent, avec le courageux concours du personnel de l’établissement, décide de mettre un terme à cette agression qui ne dit pas son nom.” En clair, ça veut dire que nous bloquions effectivement la tenue de cette réunion mais que nous ne les avons pas “agressés”, que nous n’avons pas fait usage de “violence”.

Avant de passer à la seconde partie, ce récit appelle au moins trois remarques :

Tout d’abord, les déclarations des individus ayant participé au rassemblement de protestation et issus d’organisations distinctes ou sans affiliation ont été remarquables de cohérence dans leur version des faits, que ce soit dans la presse ou par voie de communiqués et ce, dès les premières heures qui ont suivi les faits et manifestement sans concertation. Ce qui, comme vous avez pu le voir, est loin d’être le cas, en ce qui concerne les militants et sympathisants d’ E&R. Et pour cause, de notre côté, il n’y a eu nul besoin de nier des faits indiscutables, comme ont pris l’habitude de le faire les militants d’extrême droite sur un certain nombre d’autres sujets.

Ensuite, nous avons probablement sous-estimé la violence des militants d’extrême-droite. On notera que ce samedi 21 mai, la marche des fiertés de Tours (pour les droits des lesbiennes, gays, trans, bi) a été aussi attaquée par des militants d’extrême-droite. A Lyon également, le 14 mai, des néo-fascistes ont attaqué des kebabs, des militants et des personnes de couleur en marge d’un rassemblement anti-fasciste réunissant plusieurs milliers de personnes.

Enfin, en ce qui concerne le dépôt de plainte. Nous disons ceci : nous sommes prêts à assumer un certain conflit sans médiation juridique avec l’extrême droite. Mais avec cette voiture lancée à vive allure contre nous, le bilan de cet après-midi aurait pu être bien plus lourd. Nous estimons dès lors que la justice doit intervenir pour rappeler certaines limites. Si tel n’est pas le cas, nous en tirerons les conséquences.

2nde PARTIE : QUELQUES ENJEUX POLITIQUES

A) Le problème de la liberté d’expression

On nous objectera qu’il ne fallait pas empêcher la tenue de la réunion publique d’E&R au nom de la liberté d’expression. Nous rétorquerons ceci : nous rappelons que la liberté d’expression comme toute liberté est bornée et objet de litige tant sur les plans juridique que politique. Nous assumons avoir bloqué pacifiquement et de manière proportionnée à la situation une réunion politique dont on dira par euphémisme et pour ne pas s’exposer à des poursuites pénales qu’elle est “proche” des thématiques antisémites, racistes, homophobes et sexistes.
Nous demandons si les anti-fascistes de France, d’Allemagne ou d’Espagne, etc dans les années 1930-40 renonçaient à leur action au nom de la liberté d’expression face à ceux qui voulaient anéantir les juifs, les roms, les communistes, les homosexuels, les résistants, etc. Fallait-il qu’ils les laissent faire ? Nous rappelons que si quelque chose est à conserver dans les institutions actuelles – la justice ne fait pas exception –, ce sont justement les traces de ce combat, notamment à travers les acquis de la Résistance.
Avec le temps, la mémoire des résistants s’estompe. On ne peut pas oublier que le combat contre les fascismes ne peut être mené simplement depuis la considération de la stricte légalité. De nombreux exemples à travers l’histoire nous indiquent que les cadres de l’Etat de droit ne constituent en aucune manière une absolue garantie face aux menées de l’extrême droite, la vigilance populaire en est bien plus la réelle condition. Au contraire, ces exemples nous montrent que les menées fascistes ont été repoussées lorsqu’un certain nombre de personnes ont dû se résoudre à contourner cette stricte légalité. La liberté d’expression ne peut ainsi être présentée comme un argument ultime.

B) Qu’est-ce qu’« Égalité & Réconciliation » ? Comment procède-t-elle ?

“Egalité & Réconciliation” est une association qui naît en 2007, sous l’égide d’Alain Soral, alors membre du comité central du Front National chargé des affaires sociales et des banlieues. Il démissionne du FN en 2009. Mais la création E&R en 2007 avant le soi-disant départ de Soral du FN masque mal la vraie fonction de cette organisation : un sous-marin du FN qui a pour mission de rabattre les populations immigrées et défavorisées vers ce même parti.
Comment une association telle qu’E&R peut-elle prétendre diriger les populations d’origine immigrées et défavorisées vers le F.N. proche des discours et des actes sur les ratonnades, les arabes dans la Seine lors de la fête de Jeanne d’Arc, du “détail de l’histoire”, “des arabes qui-volent-le-pain-desfrançais”, des amis du MEDEF ?

1°) En détournant la légitime colère vis-à-vis de l’oppression subit par les palestiniens en direction des thématiques antisémites traditionnelles de l’extrême-droite.

2°) En fabriquant des boucs-émissaires responsables à la fois de la misère, de la frustration sociale en France : les juifs, les féministes, les homosexuels, les francs-maçons, « satan », les “illuminati”…

3°) En s’appuyant sur le désert politique dans les banlieues, c’est-à-dire sur l’absence ou la faiblesse du travail politique des collectifs, organisations politiques et syndicales à hauteur du désarro actuel.

4°) En reprenant le thème frontiste de « la préférence nationale » mais en opposant cette fois-ci les français d’origine immigrée aux nouveaux arrivants. Ce qui constitue un secteur du marché électoral apparemment distinct mais complémentaire du F.N. Il s’agit de diviser le peuple non depuis des considérations de classe mais depuis un différentialisme, aboutissant inévitablement à une certaine forme de hiérarchie des races : d’abord les européens, ensuite les français “immigrés” non-métissés, les français immigrés métissés, les étrangers, etc.

Dans un dialogue consultable sur le site d’E&R avec les “identitaires” qui ne cachent pas leur accointance avec “la culture” du IIIème Reich, E & R propose une copie du programme du FN : “immigration 0”, “limitation des droits sociaux des étrangers”, “taxation de la main d’oeuvre immigrée”, “exclusion des étrangers du logement social”, “pas d’ouverture de droits sociaux avant 5 ans sur le territoire, conditionnés par le travail”. Tout cela n’étant bien sûr “envisageable que si la France reprend sa place en Afrique francophone”. Ce n’est évidemment qu’un avant goût.
En clair, cela veut dire : abrogation du droit d’asile pour les populations malades, en guerre, subissant des menaces. Fermeture du territoire aux étrangers fuyant la misère. Opérer une distinction entre des citoyens à part entière et des citoyens de seconde zone. Rendre l’immigration responsable de la crise, du chômage, etc. Activer de manière plus volontariste que ne le fait encore l’équipe Sarkozy une politique néo-coloniale en Afrique.
Sur ce point, comme tant d’autres, la bande à Soral a beau jeu de se présenter comme “anti-système” : la politique de préférence nationale est déjà clairement menée par Nicolas Sarkozy à travers la reprise de propositions du FN : suspension des allocations pour les parents d’enfants absents à l’école, durcissement des politiques migratoires, démantèlement du droit du sol, fin du regroupement familial, immigration “choisie”, suspension des quelques règles de Schengen lors de la venue des migrants tunisiens de Lampedusa, quota d’expulsion des sans-papiers, etc.

C) Alain Soral, “l’ami” des communautés arabes et juives

Enfin, nous rappelons qu’Alain Soral a été condamné pour antisémitisme en 2007. L’ami des français d’origine arabe est également signataire d’une pétition en 2006 pour la libération de Michel Lajoye, auteur d’un attentat à la bombe dans un café arabe du petit Quévilly en novembre 1987.
L’objectif était, selon les dires de Lajoye lui-même, de monter les communautés arabes et juives l’une contre l’autre. Il ne s’agit pas d’une pétition dénonçant les longues peines en général mais d’une dénonciation à mots couverts d’une sorte de « justice de race » où « les jeunes », entendons les français d’origine étrangère ferait l’objet d’une clémence plus grande de la part de la justice française que les blancs eux-mêmes !

Une manifestation de protestation contre les violences de l’extrême droite commises à Rennes en particulier aura lieu mercredi 8 juin à 18h30, place de la mairie à Rennes.

1 – Voir le communiqué d’Egalité et Réconciliation
2 – Voir le communiqué du 24 mai sur le site de l’Association France Palestine Solidarité de Rennes
3 – Voir l’édition Ouest-France de Rennes du 24 mai