Sortir du nucléaire : pourquoi ? Quand ? Comment ?

Pourquoi ?

Il est nécessaire de préciser

la

raison fondamentale d’un engagement antinucléaire. Il ne suffit pas de mentionner les  » risques d’accidents majeurs  » en introduction. Il est nécessaire d’expliquer ce que cela signifie pour notre santé, pour notre société, pour nos descendants. C’est la gravité des conséquences de ces accidents majeurs qui est déterminante pour le choix d’un scénario de sortie.

Quand on examine les textes officiels des commissions internationales, européennes et les préoccupations administratives en France, on se rend compte assez rapidement de l’ampleur possible des désastres nucléaires. Tous ces experts se penchent sur le problème : comment gérer ces catastrophes au mieux des intérêts économiques ? Ce ne sont pas les conséquences sanitaires qui les préoccupent mais le désastre économique et les réactions populaires. Ils se demandent comment anesthésier l’opinion publique qui risque fort de déclencher des  » turbulences sociales  » (rendant la gestion plus difficile) et comment maîtriser ces turbulences.

On est loin des risques industriels classiques qui finalement se gèrent assez facilement par nos technocrates. Il est paradoxal de constater que ceux qui redoutent le plus ces  » risques nucléaires majeurs  » se trouvent pour la plupart chez les  » responsables  » et très peu parmi les antinucléaires à part quelques individus taxés assez rapidement de paranoïaques.

Si l’accident nucléaire est du même type qu’un accident industriel classique, il est clair qu’il faut y porter remède mais il n’y a pas lieu de s’affoler et on a du temps pour trouver la meilleure solution. Par contre si l’ampleur des catastrophes possibles est hors mesure, alors il est suicidaire de chipoter sur les moyens de s’en sortir : on est dans une urgence extrême.

Les déchets de l’industrie nucléaire posent un autre problème, celui des générations futures. Il est nécessaire à ce sujet d’abandonner quelques fantasmes bien réconfortants pour nous qui avons accepté sans grande résistance cette énergie productrice de ces déchets redoutables pendant des millénaires. Les déchets que nous avons produits sont là et aucune voie n’est en vue pour les éliminer, les anéantir. Il nous faut admettre que nous avons porté atteinte à nos descendants, que nous les chargeons d’un fardeau qu’ils n’ont pas voulu. Du point de vue sanitaire, la recherche d’un stockage à moindre mal est bien sûr absolument nécessaire, mais il y aura du mal, des  » détriments  » comme disent les experts. L’arrêt de la production de ces déchets semble alors une obligation morale. Cet arrêt implique l’arrêt de la production électronucléaire. Retarder cet arrêt pour satisfaire à des critères secondaires c’est accepter de menacer nos descendants par encore plus de déchets.

Il paraît indispensable de s’interroger pour savoir comment nous avons été amenés dans cette impasse immorale. Qui nous y a conduits ? Quels arguments avons-nous acceptés pour laisser les décideurs sociaux tranquilles ? Ceci serait très utile car de nouvelles menaces pointent, développées par le même type de décideurs, appuyées par les mêmes corps intermédiaires qui nous ont bernés avec le nucléaire.

Enfin, appuyer notre engagement antinucléaire par des arguments économiques, entrer en polémique avec EDF et ses nucléocrates sur le coût du kilowattheure ou sur le coût de l’uranium ne peut qu’affadir l’argument fondamental de la catastrophe nucléaire.

Quand?

L’importance des conséquences d’accidents graves possibles implique l’urgence de la sortie du nucléaire. Le choix des moyens pour cette sortie et les délais correspondants doivent être confrontés à l’ampleur des conséquences de l’accident. Prendre en compte la nécessité pour EDFd’amortir les investissements considérables effectués pour développer son parc nucléaire et n’exiger la mise à l’arrêt des réacteurs qu’après les 25 ou 30 ans nécessaires c’est considérer que ce serait un gaspillage financier de ne pas laisser les centrales nucléaires rembourser leurs dettes. En somme ce serait un gaspillage non justifié par les conséquences sanitaires d’un accident nucléaire sur la population. Et puis dans cette perspective de nécessité économique pourrait-on reprocher à EDF de faire fonctionner ses réacteurs au delà de ces 25-30 ans (EDF veut faire fonctionner ses réacteurs 40 ans, voire plus) si cela s’avérait techniquement possible ? L’électricité serait alors très bon marché.

Certains partisans d’une telle sortie différée précisent qu’en cas d’accident grave une sortie rapide serait possible. La logique de cette conception est aberrante car elle conduirait à souhaiter un accident rapidement pour sortir de l’impasse nucléaire ! Là encore c’est négliger les effets des accidents nucléaires, c’est les considérer comme tout à fait acceptables.

Comment ?

En gros deux possibilités : utiliser ce qui est disponible et opérationnel ou bien attendre d’avoir des énergies propres en abondance.

Quelles sont les possibilités actuelles ? En dehors des réacteurs nucléaires et des installations hydrauliques la France possède une capacité de production électrique importante à partir des combustibles fossiles (essentiellement charbon et fioul, pratiquement pas de gaz).

En arrêtant les exportations d’électricité et en tenant compte des économies réalisables si l’on supprime l’auto-consommation nucléaire, on constate que l’utilisation à plein rendement des installations thermiques classiques à charbon et fioul conjointement à l’hydraulique permettrait d’arrêter 70% du parc nucléaire français. Le recours aux combustibles fossiles n’est certes pas une solution idéale mais c’est la seule disponible à

très court terme

. EDF a mis au point, pour l’exportation, des centrales à  » charbon propre  » qui rejettent peu de polluants, (le gaz carbonique qui contribue à l’effet de serre est bien sûr inévitable, mais cette surproduction est négligeable par rapport aux autres composantes, entre autres les transports et l’agriculture). Les installations françaises ne sont pas toutes équipées des derniers perfectionnements. Cependant il faut comparer la pollution qui résulterait de leur fonctionnement intensif avec la pollution du cycle nucléaire de la mine d’uranium au stockage des déchets. Il faut surtout faire la comparaison avec les conséquences sanitaires des catastrophes nucléaires possibles. Bien sûr si l’on considère ces conséquences comme anodines, alors charbon et fioul ne sont guère acceptables. Dans ce cas le nucléaire se trouverait parfaitement justifié et l’existence d’une mouvance antinucléaire devient incompréhensible.

L’utilisation de turbines à gaz serait bien sûr plus satisfaisante mais hélas il n’y en a guère en France. C’est là, probablement, la voie possible la plus rapide pour remplacer les 30% des réacteurs que l’on ne peut pas supprimer par le recours à nos centrales thermiques à charbon et à fioul.

Quand certains préconisent de remplacer le nucléaire par des économies d’énergie et les énergies renouvelables (vent, soleil), ils restent très vagues sur les estimations quantitatives en kilowattheures. Seul semble important le coût, qui, grâce aux progrès de la technologie, devrait diminuer. La pensée unique économique règne en maîtresse et non l’aptitude de ces technologies à remplacer les gigawatts nucléaires. Même en escomptant un très grand gain d’efficacité de ces installations d’énergies renouvelables on serait encore très loin du bilan de l’électricité consommée en France et quelques économies d’énergie à faire d’urgence ne changent guère le bilan. C’est une réduction considérable de notre consommation d’électricité qui serait nécessaire.

Insistons sur le fait que bien sûr nous ne sommes pas opposés à l’utilisation des énergies renouvelables partout où c’est possible. Ce que nous contestons c’est l’affirmation qu’elles peuvent être une alternative à un remplacement rapide du nucléaire. De même des économies d’énergie ne peuvent qu’être bénéfiques. Mais pour sortir rapidement du risque nucléaire nous n’avons guère le choix et la solution existe : il faut recourir aux énergies fossiles. Les nucléocrates d’EDF ont bien perçu cette menace car ils mettent en place une politique de démantèlement systématique des installations thermiques au charbon et au fioul et cela dans l’indifférence générale. Si cette politique aboutit, la sortie rapide du nucléaire deviendra techniquement problématique et il faudra compter parmi les responsables de cette situation tous ceux, parmi les écologistes, qui diabolisent le charbon.

A lire:

« Il faut sortir de l’impasse nucléaire avant la catastrophe. C’est possible » de Roger et Bella Belbéoch (1997).
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Et la