CRIMINALISATION : UN CHOIX DE SOCIETE ?

Deux Militants du collectif SOIF D’UTOPIES de Tours et deux de RESF 37 sont poursuivis par Hortefeux pour diffamation du corps préfectoral. Ces deux structures ont signé un communiqué de presse faisant part de leurs soupçons quant à l’utilisation d’un fichier de l’Education nationale (Base élèves) à des fins policières. Il aurait servi, entre autres, à l’arrestation de familles sans papier. Ces pratiques rappelaient certaines utilisées sous Vichy, affirmait ce texte.
On peut résumer aussi l’affaire ainsi. Ces personnes sont poursuivies par le ministre de l’intérieur, alors qu’il a été condamné, en première audience, pour propos racistes (la cour d’appel doit confirmer ou non ce jugement) et qu’il risque de faire condamner l’Etat français pour discrimination. En effet, son Chef de cabinet a signé une circulaire (datée du 5 aout 2010) ordonnant aux préfets d’organiser la chasse aux Roms.
A ce propos, l’été a été fertile en rebondissements. De multiples camps de Roms ont été démantelés et bon nombre de ces personnes ont été expulsées. En outre, à la suite des incidents de Grenoble, Sarkozy, le 30 juillet, déclarait qu’il fallait remettre en cause la nationalité pour des personnes l’ayant acquise depuis au plus 10 ans et ayant attenté à la vie de policiers ou de gendarmes (depuis peu cette dernière disposition a été votée par l’assemblée nationale lors du vote de la loi Besson).
Plusieurs ténors politiques se sont émus de ces dispositions, mais surtout du tournant qu’emprunte l’Etat. Ils ont fait des déclarations fracassantes cet été. Ainsi Rocard déclarait dans un interview publié dans Marianne le 6/08/10 « La loi sur les mineurs délinquants passe de la responsabilité pénale individuelle à la responsabilité collective. On n’avait pas vu ça depuis Vichy, on n’avait pas vu ça depuis les nazis. ». De même, Mamère disait sur I Télé le 01/08/10 « … la dernière fois qu’en France on a appliqué la déchéance de la nationalité c’était sous le régime de Vichy, sous le régime de Pétain, pour les juifs. » Même Villepin y allait de son couplet « Nul ne peut oublier ce que la France a connu aux pires heures de son Histoire. » (repris dans le Télégramme le 02/08/10).
Cette liste pourrait être encore prolongée. Des journalistes ne sont pas en restes. Par exemple, dans un article publié sur le site Rue 89 le 01/08/10, Le Yéti écrivait « Et bing que je te menace de retrait du titre honorifique de Français, comme un vulgaire juif sous Pétain. ».
De là à penser qu’il ait deux poids et deux mesures, il n’y a qu’un pas qu’on franchit aisément. Tout d’abord sur la forme. Il est certainement plus facile de poursuivre des manants, des inconnus que des personnes dont les retombées médiatiques risquent d’être importantes. La dimension spectaculaire dans la gestion politique de Sarkozy est un élément important pour celui-ci.

LA DEMOCRATIE BOURGEOISE MISE A MAL PAR L’ETAT
Sur le fond, nous touchons à des évolutions très inquiétantes de l’Etat. Il semblerait qu’il ait choisi de défendre systématiquement les fonctionnaires d’autorité (essentiellement préfets, policiers et gendarmes), aussi bien au niveau de leur image que lorsqu’ils commettent des exactions. Les préfets ou le ministre de l’intérieur engagent très fréquemment des poursuites lorsque les premiers s’estiment diffamés. On ne compte plus le nombre de procès pour outrage à la suite de plainte des pandores. Lorsque des flics sont impliqués dans la mort de personnes ou qu’ils en blessent, ils sont soutenus, dès les incidents connus, par leur hiérarchie, le préfet concerné, la justice, et le ministère de l’intérieur. L’Etat doit apporter à tous ces fonctionnaires des gages pour renforcer leur cohésion autour de lui. Aussi bien au sein des préfets que chez les flics, on assiste à quelques ”frictions” de ceux-ci à l’encontre de leur employeur. Par exemple, lorsque le représentant de l’Etat en l’Isère à été remplacé par un flic à la suite des incidents de Grenoble, les préfets ont rouspété, craignant qu’on leur fasse porter un chapeau dont ils ne veulent pas. De même, chez les flics les tensions s’expriment en raison de la baisse des effectifs, de la politique du chiffre et du nombre grandissant de leurs interventions. Ainsi une compagnie de CRS en garnison à Carcassonne devant intervenir en région parisienne n’a pu remplir sa ”mission”. 50 arrêts maladie ont empêché son déplacement. Il a fallu faire appel à une autre compagnie. Une grève d’une journée a été appelée par des syndicats de pandores.
Il faut des mobilisations importantes et durables pour que les flics soient poursuivis lorsqu’ils ont tué ou blessé quelqu’un. Par exemple, à Nantes, il a fallu toute l’opiniâtreté du comité de soutien pour que le flic ayant énucléé un lycéen avec un flash-ball soit traduit devant un tribunal. A Montreuil, il en a été de même. Dans les quartiers populaires, où les violences policières sont quotidiennes, il faut encore plus d’énergie pour espérer des suites judiciaires à l’encontre des policiers et qui bien souvent s’en tirent à bon compte.
On peut citer une anecdote très révélatrice de l’atmosphère ambiante. A la suite d’un contrôle routier; un conducteur doit rentrer en pleine nuit à pied car il aurait trop d’alcool dans le sang. Arrivé chez lui, il rédige quelques messages sur Facebook pour exprimer son mécontentement. Sans doute, ceux-ci ne devaient pas être tendre à l’encontre des flics l’ayant interpelé. Il a été condamné à 3 mois de prison ferme pour outrage à agents et 750 € de dommage et intérêts (Libé Rennes du 01/10/10). Que dire du procès de Villiers le Bel où des gens ont été condamnés à 15, 9 et 3 ans de taule sans aucune preuve, simplement sur le sentiment du juge.
Dernièrement, Hortefeux vient d’apporter son soutien au gendarme ayant tué un homme à Saint Aignan. Ce fonctionnaire assermenté a été mis en en examen pour « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Le ministre a déclarait « Je tiens à manifester publiquement mon soutien moral et matériel à ce militaire aujourd’hui dans l’épreuve, à sa famille ainsi qu’à ses 97 000 camarades de la gendarmerie nationale » (Libération du 02/10/10). L’Etat lui fournira un avocat. Le soutien de Hortefeux est avant tout motivé par l’impact politique qu’a généré cette affaire. C’est en effet à la suite des incidents de Saint Aignan que Sarkozy a lancé la chasse aux Roms. Mais c’est, nous semble-t-il, une des premières fois qu’un ministre de l’intérieur déclare soutenir un fonctionnaire poursuivi pour avoir tué. Jusqu’à présent, l’Etat conservait une position neutre en déclarant qu’il laissait la justice suivre son cour (cela ne l’empêchait pas d’exercer des pressions sur le procureur ou les juges, mais elles se faisaient en sous-mains). Alliot Marie est intervenue face aux remous que la déclaration de son collègue a suscité. « Alors qu’un ministre, qui n’est pas le ministre de la Justice, astreint à une grande réserve des dossiers en cours, (…) apporte son soutien à un fonctionnaire de son administration qui est, encore une fois, présumé innocent, je pense que ce n’est pas quelque chose d’aberrant » (Libération du 03/10/10). En clair la ministre de la justice s’aligne sur celui de l’intérieur ! Selon le Syndicat de la Magistrature, Hortefeux « instille dans les esprits l’idée selon laquelle » la décision d’un juge d’instruction de Blois de mettre en examen le gendarme « serait illégitime ».« Une nouvelle fois, [il] s’immisce donc dans le cours d’une procédure judiciaire » (Libération du 03/10/10).
On voit bien les raisons motivant la politique de Sarkozy : la remise en cause de certains verrous de la démocratie bourgeoise. Bien évidemment, il ne faut pas se bercer d’illusions sur la justice de classe et la démocratie bourgeoise. Elles n’ont d’autres fins que le maintien et le renforcement de l’hégémonie de la bourgeoisie. En général, les tenants du pouvoir essayaient de préserver les formes. Les quelques exemples cités montrent qu’un saut qualitatif est entrain d’être franchi. Le vernis ”démocratique”, déjà bien craquelé, est entrain de tombé en miettes. L’Etat n’a plus peur de la référence à Vichy. L’extension de la dénaturalisation le démontre.
Cantonner l’analyse à des considérations électorales est réducteur. Bien évidemment, cette dimension est à prendre en compte. Mais elle ne permet pas de comprendre l’évolution de fond actuelle. Ne montre-elle pas une volonté de la part de l’Etat de se donner les moyens d’instaurer, si le besoin est, un régime fort ou du moins, pour certaines catégories de la population, la mise en place de régimes d’exception ? L’histoire des républiques montre qu’il est tout à fait possible pour l’Etat de faire cohabiter un régime ”normal” avec des régimes spéciaux, dont ne seraient pas victimes uniquement les personnes d’origine étrangère.
L’armée, en cas d’émeutes, pourraient intervenir dans les quartiers populaires. Délires d’anarchistes en mal de catastrophisme ? Et bien non ! Le Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale, définissant la politique militaire pour les années présentes et futures, est publié en 2008. A travers ce texte, l’Etat joint la sécurité extérieure à celle de l’intérieur. Des militaires, provenant essentiellement de l’armée de terre, pourront être appelés dans des opérations de maintien de l’ordre, principalement dans les banlieues. Dans la vision qu’il donne de ”la réalité” de ces quartiers, l’Etat fait le lien entre terrorisme intégriste musulman et la population vivant dans ceux-ci où se retrouvent bon nombre de personnes d’origine étrangère (provenant souvent d’Afrique). Mais les émeutes de 2005 ont montré que la grande majorité des émeutiers étaient de nationalité française. 10 000 militaires seraient affectés à ces opérations si des révoltes éclatent de nouveau dans les banlieues. Dans ce contexte, on comprend dans quelle logique se situe Sarkozy lorsqu’il prononce son fameux discours de Grenoble, le 30 juillet. Son objectif est d’affirmer que l’Etat est en guerre contre ces populations. La dénaturalisation des français d’origine étrangère lorsqu’ils agressent des flics (la mesure la plus médiatique) est une des armes employée dans cette guerre. Pour se faire, le chef de l’Etat montre sa volonté de renforcer les barrières entre les populations vivant dans des quartiers relégués et celles habitant dans les centres villes. La fracture sociale se conjugue avec la fracture géographique : il faut ériger la barrière entre ”nous” qui avons la chance de vivre en dehors des périphéries et ”eux” qui y survivent dans la misère, la stigmatisation, transformés en « ennemi intérieur » contre lequel l’Etat aurait des velléités guerrières. L’apartheid social avance à grand pas ; l’idéologie différentialiste bat son plein.

VERS UN ETAT FORT ?
Malheureusement, cette politique, dite de la ville, n’est pas récente. Depuis plusieurs dizaines d’années, elle est mise en œuvre par les différents gouvernements de droite comme de gôche se succédant. Sarkozy l’accélère et la rend plus spectaculaire. L’ensemble de ces éléments ne font que renforcer nos interrogations quant à la volonté de certains d’instaurer un Etat fort, ou du moins de mettre en place ses prémices.
Devons nous défendre l’Etat de droit comme bon nombre le propose ? Rappelons qu’il sert d’intendance pour assouvir la soif de profits des capitalistes. Pour eux, un être humains est une force de travail à exploiter. De ce point de vue le recul de l’âge de la retraite est tout à fait cohérent. Un retraité, c’est un être humain qui perçoit un revenu, alors qu’il ne travaille pas. Dans leur logique, il faut donc raccourcir (voire faire disparaître) ce temps où les conditions de vie ne sont plus déterminées par l’exploitation salariale.
Lorsqu’ils sentent que leur domination risque d’être atteinte, ou qu’ils ont besoin de créer des tensions au sein de la société en raison du contexte (international, de crise économique…) ou qu’ils veulent remettre en cause l’Etat social (en finir définitivement avec les Trente glorieuses et donc imposer des modes d’exploitation conduisant à l’éradication des acquis sociaux), ils peuvent opter pour l’instauration d’un Etat fort pouvant conduire à la barbarie. Dans les années 30, une bonne partie de la bourgeoisie française préférait Hitler plutôt que le Front Populaire ! En 1934, Wendel, magnat de la sidérurgie et membre éminent et influent du Comité des forges, avait choisi… Pétain comme futur chef de l’Etat après la chute de la IIIe république (cf Le choix de défaite de A. Lacroix-Riz, Editions A. Colin 2008).
On ne peut s’en remettre à une république qui n’a eu de cesse de réprimer tous les mouvements sociaux et/ou révolutionnaires (la Commune, Mai 68…), qui a préféré laisser les fascistes allemands et italiens soutenir Franco pour qu’il extermine les révolutionnaires espagnols en 1936/1939, qui a imposé le colonialisme aux quatre coins de la planète, qui a fait massacrer à Paris, le 17 octobre 1961, des centaines d’Algériens venus manifester contre le couvre-feu que l’Etat voulait leur imposer, etc.
Au regard de l’expérience de la IIIe république et surtout de sa fin lorsque le parlement confit le pouvoir à Pétain, il est urgent et indispensable d’analyser les choix politiques de la bourgeoisie. Cette analyse doit prendre en compte les clivages qui existent en son sein. Les actionnaires n’ont pas des intérêts identiques avec ceux qui ont en charge la gestion des entreprises qu’elles soient multinationales ou pas. Les premiers optent pour une rentabilisation la plus rapide et la plus importante possible du capital ce qui peut rentrer en contradiction avec les politiques de management des entreprises fonctionnant sur des échelles de temps plus longues. Les exigences des actionnaires peuvent mettre à mal des plans de réorganisation d’entreprise. Les politiques d’austérité imposées sur la marché européen ont des incidences sur la croissance et engendrent des tensions internationales non négligeables. Aux Etats-Unis, beaucoup, parmi la bourgeoisie, militent pour instaurer des mesures protectionnistes à l’encontre de la Chine qui risque de réagir plus ou moins vivement
C’est à partir de cette analyse que nous pouvont envisager les options politiques choisies par les capitalistes et donc comprendre les évolutions sociales et politiques qu’ils veulent imposer. C’est une des conditions pour les combattre. Nous devons surtout favoriser la reconstruction de solidarité de classe entre tous les exploités afin de lutter pied à pied contre la domination et l’exploitation capitalistes. C’est en essayent de construire des convergences concrètes d’intérêts que nous pourront imaginer des utopies créatrices et concrètes porteuses d’un autre futur, fondé sur la solidarité, l’égalité sociale. C’est à partir de notre conscience de classe que nous pourront enfin prendre nos affaires en mains. Si nous le voulons réellement et collectivement, l’Etat ne sera plus qu’un pale souvenir. On se demandera comment avons nous pu accepter d’être sous son joug pendant si longtemps.

COLLECTIF SOIF D’UTOPIES
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