Chronique du no border camp a bruxelles
Catégorie : Global
Thèmes : Actions directesFrontexImmigration/sans-papierEs/frontieresNo borderPrisons / Centres de rétentionRacismeViolence policières
Lieux : Tours
CHRONIQUE du NO BORDER CAMP à Bruxelles-
* 25 septembre au 3 octobre 2010 *
No Border Bruxelles :
chronique d’une bataille avortée
Préparé de longue date, le No Border Camp (NBC) de Bruxelles a réuni sur le campement même un gros millier de personnes venues de toute l’Europe, majoritairement des français, allemands et anglais. Au plus fort de notre capacité d’action, c’est-à-dire à la grande manifestation No Border finale du samedi 2 octobre, nous étions autour de 2000 personnes.
Face à nous, l’armada de répression rituelle: 4000 policiers environ mobilisés spécialement pour le NBC, avec tout l’attirail requis, à savoir blindés canon à eau, brigades montées, hélicoptères, police anti-émeute et brigades d’intervention rapide, quadrillage des quartiers des institutions européennes avec barbelés et hérissons, etc.
S’il y eut quelques initiatives politiques réussies et intéressantes, on peut tirer globalement un constat d’échec sur cette semaine : aucune action ni même manifestation n’a été réellement possible et l’on a subit tout le long cette nouvelle tactique répressive devenue cas d’école, à savoir les rafles massives et préventives. Face à ces nouveaux outils de répression, à la suite directe des évènements de Copenhague et de Toronto, des autocritiques commencent à émerger pour adapter notre action et notre force de frappe aux nouvelles tactiques policières, afin de les dépasser.
Si au No Border Camp de Calais en juin 2009, dans le contexte alors du post-OTAN à Strasbourg, les flics ont choisi l’occupation militaire stricte de la ville avec un quadrillage quasi imperméable, doublée d’une logique d’intimidation et de provocation très forte, nous avons pu constater quasiment l’inverse à Bruxelles avec une police très discrète, très silencieuse, presque invisible. Mais également beaucoup plus réactive et dangereuse lorsqu’elle surgit. Ainsi, sans avoir besoin de poster des check-point à tous les coins de rue, d’encercler le camp en permanence ou de lancer des micro-attaques psychologiques sur le NBC, la police belge s’est montré d’autant plus efficace dans sa stratégie de massacre et de neutralisation préventives. Que ce soient les journées de mercredi, jeudi ou vendredi soir, les dizaines de flics en civil postés discrètement tout autour du campement n’avaient qu’à transmettre l’information pour nous faire capturer dans des ruelles, des bouches de métro, ou des coins d’avenue.
En ce qui concerne le campement No Border en lui-même, c’est sans doute la plus belle réussite de cette semaine, avec une auto-organisation solide dans un site intéressant, situé à proximité de l’hypercentre, à 10mn de la Gare du Nord. En effet, dans une zone du nom de TOUR ET TAXI, le NBC se constitue d’une immense ancienne gare désaffectée (bâtiment a toit fermé extraordinairement vaste), d’un terrain vague et d’une vaste zone extérieure désaffectée. Il est intéressant de noter que le NBC se situe dans une zone fermée et protégée par une enceinte, facilement défendable, et quasi en plein centre-ville.
Indymedia Center, Radio NoBord, Medical Team, Legal team, Info Point, Action Point, Cuisines autogérées, Security Team, sanitaires autogérées, etc… Toute la logistique autogestionnaire classique est présente.
AG générale tous les matins a partir de 10h, AG de barrios et groupes de travail quasi en permanence, ateliers de « formation » à l’action à la demande de beaucoup de camarades, réunions de préparation tactique et matérielle d’actions et manifs, le NBC est bien sûr totalement ouvert aux habitants du quartier populaire qui l’entoure, aux migrants et sans-papiers venus s’informer et se protéger, et aux journalistes des médias bourgeois uniquement de 15 à16h avec une « escorte » de camarades.
Toutes les actions « officielles » du NBC furent un échec total, mis à part la journée du dimanche sur le Camp de Rétention 127bis et surtout la grande manif finale No Border du samedi : la journée du mercredi sur la participation des No Border à la grande Euro-manif rimera avec massacre et répression, d’où l’annulation pure et simple de toutes les actions d’envergure du jeudi SMASH ECOFIN, et la grande manif sauvage du vendredi soir fut tout bonnement rendue impossible par des rafles massives et continues toute la soirée. Ainsi, seules les actions « commando » de groupes affinitaires réussirent, telles l’action de taguage sauvage mardi tôt le matin, l’action de blocage anti-Frontex mercredi à midi, les quelques voitures brûlées place de la Bourse et l’attaque-saccage du commissariat la nuit de vendredi en riposte à la répression barbare, l’action banderoles anti-Frontex et anti-déportation à l’aéroport samedi soir, ainsi que les multiples sorties du Pink Bloc avec Brigade des Clowns et Batucada en ville plusieurs jours d’affilée.
Toujours est-il que le No Border Camp de Bruxelles résonnera finalement avec répression, rafles préventives, tortures à la Caserne Fédérale, et massacres de manif d’une extrême violence. Il y aura eu près de 20 arrestations et quelques blessés légers dimanche 26/09; entre 450 et 500 arrestations mercredi 29/09 ainsi que de nombreux camarades blessés dont certains grièvement, avec 5 camarades à l’hôpital; une 20aine d’arrestations jeudi 30/09; 185 arrestations et des blessés vendredi 01/10; vives tensions samedi soir au campement à cause d’un concert capitaliste, qui donnera lieu à une semi-attaque de la police sur le site même.
* Samedi 25 septembre : installation du No Border Camp à la gare désaffectée
l’ancienne gare de marchandise- space 1
l’ancienne gare de marchandise- space 2
la boulangerie autogérée
toilettes en construction
camp site extérieur
Infothèque Anarchiste
entrée sud
space de la Brigade Activiste des Clowns (Clowndistan)
* Dimanche 26 septembre : détermination et résistance autour du 127bis.
L’objectif du jour est l’un des quatre grands Detention Center de Bruxelles, à savoir le 127bis, ignoble et monstrueux complexe à 15km de Bruxelles-centre, derrière un aéroport.
Au plus fort de l’action, nous étions environ 300, des le 1er jour, ce qui est positif. Le Detention Center (DC) se situe donc a 15km de la ville. Départ groupé du NBC vers la gare d’oú nous prenons le train vers le site. Présence policière faible et même coopérative, nous indiquant le quai a prendre par exemple. Après avoir saboté quelques caméras, détourné quelques panneaux publicitaires en y substituant des affiches No Border, nous investissons massivement le train sans payer, les flics rentrent également nous « escorter », ce qui est assez étrange. En sortant du train a la station du DC, le comité d’accueil est plus costaud : brigades anti-émeutes sur le quai et hélicoptère. D’autres groupes sont partis en nombre a vélo. Le quai est étroit, avec pour seul accès a la rue un étroit escalier-grillage bouclé par les flics. Les flics nous bloquent sur les quais, nous sommes alors une grosse 60aine.
Les flics nous font le chantage de fouille et contrôle d’identité un a un. Nous refusons. Idée de remonter dans le train pour descendre a la prochaine station et disperser les flics, mais le train quitte aussitôt le quai. Dures négociations, la plupart des camarades sont cagoulés. Finalement les flics acceptent de nous laisser passer sans contrôle ni fouille. On commet l’énorme erreur de les croire. A peine engouffrés dans l’étroit escalier grillagé, ils nous coincent a l’intérieur.
Pris au piège. Au début, nous tentons de ressortir en force sur les quais. Une centaine de flics anti-émeute nous repoussent violemment a coups de matraques et boucliers a l’intérieur de l’escalier. Cette fois, le piège est fermé et nous sommes en position de faiblesse. Ils reprennent leur chantage. Pendant 1h, nous refusons de coopérer en attendant les autres groupes de camarades qui finissent par arriver, mais qu’en petit nombre et contenus par des cars blindés et plusieurs lignes de flics sur-équipés. Nous finissons par accepter et sortons du trou a rat par groupes de 6, filmés un a un par les flics avec fouille, mais sans contrôle de papier.
Nous avançons ensuite en cortège jusqu’au DC, énorme bâtisse carcérale juste avec double-enceinte de grillages et barbelés, caméras partout, patrouilles de flics avec chiens à l’intérieur, couloirs extérieurs grillagés, etc. Les sans-papiers enfermés apprécient notre présence et nous font des signes de leurs cellules, derrière leurs barreaux. Nous tentons longuement de défoncer les grillages de la prison, en vain. Des camarades parviennent, avec des gants de chantier, à tordre une partie de l’enceinte grillagée à sa base, mais les flics interviennent et nous repoussent. Peu de solidarité à ce moment-là, on aurait dû faire bloc autour des camarades pour les camoufler et les protéger.
Nous tentons ensuite une attaque directe sur l’entrée principale. La répression se déclenche a partir de là.
La brigade montée, forces de police a cheval (ici 6 à 8 chevaux face a nous et 3 chevaux positionnés latéralement dans les champs) nous charge violemment et nous repousse, renforcée par des CRS. Les premières lignes se forment en Bloc et tentent de contenir la charge, au corps a corps avec les chevaux et les matraques. S’ensuit un repli désordonné mais compact. 11 arrestations.
Les premières lignes se forment en Bloc et contiennent les flics. Corps a corps avec les chevaux et CRS, mais ça tient, les flics en restent a des mini-charges au corps a corps, sans grenade ni gaz (a noter qu’ils n’ont pas de flashball ni de fusils lance-grenade en Belgique). Quelques blessés légers, sans gravité aucune. Tout se déroule aux abords directs du DC. Les migrants crient LIBERTE et tentent de communiquer avec nous.
Les flics anti-émeute arrivent alors en masse derrière nous. Nous restons et maintenons la pression pour la libération de tous les camarades arrêtés. Finalement, les flics annoncent qu’ils les relâchent sur les quais de la gare, tous. Après une rapide AG d’action entourés par les flics, nous décidons un dernier tour du DC et de rejoindre les camarades dits libérés.
Simultanément a tout cela, nous chantons-scandons-crions avec Batucada en direction du DC pour les migrants. Nous revenons sur la route pour tenter le tour du DC en cortège compact en lignes au coude a coude, mais nous nous heurtons a un dispositif policier serré et massif : cars blindés, chevaux, une grosse centaine de CRS équipés, un blindé canon a eau, un hélicoptère nous survolant, etc. La banderole de tête NO BORDER se situe a l’avant du Bloc, et nous mettons en lignes. Accrochages violents aux premières lignes mais n’ayant pas le rapport de force, nous décidons de revenir sur les quais de la gare.
Du DC aux quais, il y a à peine quelques centaines de mètres, mais le retour durera une bonne heure. A ce moment là, nous cessons les provocations et tentons de nous replier tant bien que mal en bon ordre. Mais c’est là que les flics multiplient les provocations et optent pour la tactique d’intimidation et de pression psychologique. L’arrière du Bloc est en contact direct avec une ligne de chevaux montés par des flics surexcités qui matraquent à tout va et peinent a tenir leurs bêtes. Sur tout le retour, les rixes et accrochages au corps a corps se multiplient, se soldant par 6 arrestations. Les chevaux sont remplacés par le blindé canon a eau qui est en contact direct avec le cortège. Le retour en Bloc (loin d’être compact d’oú de nombreuses confusions), particulièrement tendu donc, est hermétiquement encadré a l’allemande par les flics.
Nous parvenons enfin aux abords des quais, mais exigeons la libération des 6 camarades violemment interpellés sur le retour. Finalement, tous sont libérés avec des bobos superficiels. Nous redescendons sur les quais et revenons en train a la gare de Bruxelles, toujours encadrés par les flics, mais non équipés. Puis retour au NBC.
Cette journée « test » nous a permis de constater une police provocatrice et très réactive. De notre côté, une autocritique s’est entamée en AG sur les erreurs commises (notamment un Bloc pas assez compact). Mais globalement, cette journée reste, a mon sens, politiquement une victoire : nous sommes parvenus a atteindre le site du DC, a soutenir les migrants enfermés par notre présence et a communiquer avec eux, a démontrer notre détermination face a la présence policière disproportionnée, ceci malgré notre petit nombre. Pas de blessé grave ni de camarades arrêtés au final. Un flic blessé au visage par jet de pierre. Nous sommes parvenus a rester groupés tout le long et avons tenté le maximum alors possible avec nos forces en présence.
* Lundi 27 et mardi 28 septembre : journées de préparation et ateliers.
Aujourd’hui, lundi, journee de preparation, d’AG, de WorkShop et groupes de travail (briguade des clowns, batucada, medical team sur le terrain, formation juridique, preparation materielle des prochaines manifs, etc). Ca continue demain. A noter les activites tres diverses sur le NBC : spectacles, projections, debats, « formations » activistes, etc.
* Mercredi 29 septembre : massacre et répression contre le Bloc Anticapitaliste.
450 arrestations sur environ 500 activistes en ville, nombreux blessés dont beaucoup graves, des camarades à l’hôpital, des tortures à la Caserne Fédérale, abus policiers en tout genre, aucune retenue dans l’attaque directe du Bloc. Sur les 300 camarades ayant réussis à se former en Bloc Anticapitaliste, moins de 20 personnes en ont réchappé. Tous les autres ont été arrêtés.
Cette journée restera pour les No Border une expérience traumatisante, effarante, effrayante et d’un grand échec.
Pour ce mercredi 29 septembre était d’ores et déjà prévu une énorme Euromanif contre les mesures d’austérité dans toute l’Europe, rassemblant autour de 100 000 personnes. A été décidé en fonction de l’évènement de rejoindre la manif en formant un Bloc Anticapitaliste constitué par les camarades du No Border Camp (NBC).
D’autres réunions ont préparé des actions Clown et surtout une action de blocage contre les grands dirigeants de Frontex (chargés de la politique migratoire et du contrôle aux frontières, causant la mort de milliers de migrants).
De sorte qu’il y eut plusieurs actions simultanées toute la journée, et toutes soldées par une répression innommable.
Politiquement, il était tant intéressant de venir à la méga-manif syndicale européenne pour marquer une présence politique clairement anticapitaliste et révolutionnaire grâce à la fantastique opportunité du NBC, que de faire cette petite action commando contre les dirigeants de Frontex qui rentrent dans la ligne directe des cibles du NBC.
Ainsi, avec une cinquantaine d’autres camarades, nous avons choisi d’aller attaquer la réunion-Frontex et, si possible, de rejoindre le Bloc en manif après.
La réunion Frontex commençait à 12h15 dans un petit bâtiment au milieu du Parc Leopold près du Rond-Point Schuman. Le départ de l’Euromanif était à 13h.
11h40, habillés en civils et par petits groupes de 2 à 4, nous parvenons à prendre de court les flics massivement présents et à investir discrètement le Parc Leopold. 11h45, heure définie hier, nous lançons l’action en tentant d’envahir le bâtiment pour le bloquer de l’intérieur. Mais les portes ont été verrouillées en nous voyant venir. De fait, nous formons des chaînes humaines, avec une banderole, pour bloquer physiquement la seule entrée du bâtiment. Des costars-cravatés-délégués sont ainsi refoulés, le but de l’opération étant de perturber ou empêcher leur réunion, nous pouvons considérer que l’objectif de base a été atteint : leur réunion est tout bonnement annulée, par « sécurité ». Un tag fleurit : « Frontex, blood on your hands ».
Les flics arrivent massivement, nous encerclent, nous pressent contre le bâtiment. En lignes au coude à coude, nous scandons et tentons une résistance passive vu notre effectif.
Finalement, ils prennent violemment chacun d’entre nous, un par un, et nous arrêtent tous.
Nous sommes alignés à la méthode-Copenhague : tous assis les uns derrière les autres, menottes dans le dos.
Pas de dégâts matériels, ni même d’investissement du bâtiment (hélas), résistance passive. Nous sommes tous emmenés en camtars à la Caserne centrale (Réserve Nationale de la Police Fédérale à Etterbeek), vers 13h30.
Les cellules font environ 20m², toutes remplies par des camarades du NBC arrêtés. C’est là qu’on apprend que lors du départ groupé du NBC pour la manif, la plupart se sont fait arrêtés directement aux rues alentours par les flics qui ont fait des barrages. Des cellules, nous voyons arriver en continu des paniers à salade qui déversent leurs lots de prisonniers. Les arrestations sont innombrables. A l’intérieur, nous parvenons tous à nous défaire des menottes et, surtout, pour certains, à découper l’étiquette indiquant le lieu de l’arrestation.
Un par un, ils nous sortent des cellules pour fouille, contrôle, prise d’identité.
Pour ceux qui ont su se défaire de leurs étiquettes d’arrestation, la libération est immédiate car la détention est alors illégale. Mais il semble que nous sommes assez peu à y être parvenus et nous sommes que quelques-uns, dès 15h30, à être relâché en centre-ville.
Libérés, nous nous rendons directement à la manifestation. Au moment où nous parvenons en queue de cortège, vers 16h, nous ne voyons que l’hélicoptère survolant un waterloo urbain : des centaines de camarades arrêtés sur plusieurs points dans tout le secteur, dans une odeur de gaz encore fraîche. Les flics sont partout et continuent d’arrêter massivement. De fait, retour par sécurité au NBC, alors que les arrestations continuent dans toute la zone.
VOICI LES TOUTES DERNIERES INFOS DE LA LEGAL TEAM DU NBC quant au Bloc Anticapitaliste :
-il y a eu un départ groupé à 12h30 du No Border Camp. A peine quelques rues plus loin, ils se heurtent à des barrages de police qui arrêtent aussitôt tout le monde, sans exception. Environ 100 arrestations à ce moment-là.
-La Brigade des Clowns est passée par le métro à la station Ribeaucourt. Rapidement repérés, les flics interviennent directement dans le métro et les arrêtent tous, sans exception. Plus de 40 arrestations alors.
-plusieurs groupes de 20 à 40 personnes se sont faits arrêtés à des coins de rue ou à proximité de la Gare du Midi, point de départ de l’Euromanif.
-Malgré le dispositif répressif quasi unilatéralement tourné contre les No Border eux-mêmes, 300 camarades parviennent à se rassembler à un premier point de rassemblement. Les flics encerclent le Bloc et les empêchent de rejoindre la manif. Rapide prise de décision collective : un signal est donné et tout le monde court dans tous les sens, prenant de court les flics qui laissent faire.
-les 300 camarades parviennent à se rassembler de nouveau à côté du cortège. Les flics arrivent alors en masse, les encerclent et les somment de se disperser sous menace de charges directes. Pour parer à cela, le Bloc Anticapitaliste négocie rapidement avec deux cortèges syndicalistes et parviennent à prendre place entre eux au sein du gros cortège. D’après les témoignages, nombreuses solidarités de la part des travailleurs syndicalistes.
-Les flics encadrent le cortège et l’attaquent directement sur ses flancs au corps à corps. Le Bloc parvient à les contenir et les repousser. En appelant à la solidarité, le cortège syndicaliste de derrière se rapproche encore pour faire bloc. Mais face à l’acharnement des attaques policières et à la menace d’une attaque violente contre toute cette partie du cortège, ils s’éloignent et laissent le Bloc Anticapitaliste à la merci des porcs en uniforme.
-Pendant un temps, le Bloc, fort de plus de 300 personnes, tient bon, soudé, compact, en lignes, contient et repousse les attaques de flics. Le Bloc choisit de courir et de prendre position plus avant dans le cortège pour sortir de l’étau répressif. Le Bloc s’arrête de nouveau. A partir delà se déchaîne sans plus aucune retenue la répression. Charges sur charges, matraquages sur matraquages, gazages sur gazages. Extrême violence policière.
Affrontements et résistance pendant 2h. Très violentes interventions de flics en civil. A peu de monde près, absolument tout le monde est arrêté.
-les camarades sortiront tous de prison, tout au long de la nuit. Les témoignages de la détention sont effrayantes : passages à tabac, déshabillement de copines, menottes avec pics rentrés dans la peau, destruction des affaires personnelles, pressions et intimidations pour des informations, menaces physiques et judiciaires. Des mutineries ont éclaté, avec au moins deux départs de feu dans les cellules, défonçage de murs et portes, ateliers WorkShop improvisés en cellule, résistance collective à la pression policière par chants et chaînes humaines, etc.
* JEUDI 30 SEPTEMBRE : ANNULATION DES ACTIONS ET TERREUR
Vu l’ampleur et la violence de la répression qui a frappé les No Border au Bloc Anticapitaliste la veille, toutes les actions du jour sous la thématique SMASH ECOFIN initiée par le groupe Precarious United ont été tout bonnement annulées. Toute la journée nous avons recueilli des témoignages du massacre de la veille, dans une terrible atmosphère d’impuissance. Les réunions et AG du jour tentèrent des analyses critiques, parfois stériles de notre défaite de la veille.
La manif sauvage contre toutes les prisons, les frontières et l’Etat du vendredi soir est maintenue, avec la stratégie convenue qu’elle ne se réalisera que par les initiatives convergentes et coordonnées entre tous les groupes affinitaires. Tandis que l’on voit des camarades tomber en sanglots par rapport aux violences policières de la veille, pétrifiés de terreur et traumatisés, la rage de constater tant de violence, d’arrestations et d’intimidations policières donne à beaucoup la volonté de répondre au coup par coup et toute la journée les groupes affinitaires établissent des stratégies pour le lendemain soir. Pour beaucoup, maintenir le point de rendez-vous à la Gare du Midi à 19h représente une erreur tactique énorme, car on sait très bien que la police ne veut en aucun cas voir une action d’aucune sorte réussir au centre même de Bruxelles.
On savait très bien que les flics nous attendraient en masse, on savait très bien que la Gare du Midi serait un énorme guet-apen, on savait très bien qu’il fallait s’attendre à de nouvelles rafles et à des violences policières encore plus dures car non « protégées » par la moindre couverture de médias bourgeois ni de grosses manifs : vendredi soir, il n’y aura que nous, que des No Border, que des anarchistes et des activistes. Malgré cela, nous n’aurons pas l’intelligence de décider collectivement d’adapter nos plans à la situation répressive. Beaucoup considèrent alors l’action du vendredi soir comme une action-suicide, et pourtant tous savent que nous serons malgré tout au moins 200 à vouloir riposter contre la police. Cependant, s’il reste une nécessité politique de maintenir les actions contre les prisons, les frontières et l’Etat; force est de reconnaître qu’on aurait dû les modifier, plutôt que d’aller précisément là où les flics nous attendent.
En attendant, la journée du vendredi rimera avec pression psychologique : l’hélicoptère de la police tourne longuement au-dessus du camp, avec des projecteurs le soir balayant les rues alentours et le NBC lui-même.
* Vendredi 1er octobre : détermination et impuissance
Dès le matin, des groupes affinitaires vont repérer le terrain et quittent le camp par souci d’invisibilité et de sécurité anti-keuf. Sur le NBC, beaucoup parlent de ce soir avec des soupirs abattus, avec crainte et peur, mais aussi avec solidarité et rage.
Comme la plupart, nous optons pour la tactique de l’invisibilité : nous partons en groupes coordonnés de binômes en habits civils et nous dirigeons près de 4h à l’avance vers l’objectif. A peine sortis du Camp, nous constatons que nous sommes filés. Des flics en civil nous suivent, signalent nos accoutrements et gueules. Nous nous engageons dans une ruelle, rebroussons chemin, reprenons d’autres ruelles et parvenons à les semer. Des cars de flics arrivent dans la zone, patrouillent, cherchent des groupes selon les signalements donnés. Terreur policière.
Toute cette phase rappelle l’action-tractage du mardi au No Border Camp de Calais où nous étions moins d’une centaine, mais déterminés à passer entre les mailles du filet, donc à adopter des tactiques-commandos assez élaborées pour passer les check-point, se rendre invisibles, se fondre dans la masse, pour mieux surgir et frapper avant de disparaître. On sait ce que ça a donné alors : les CRS et BACceux nous ont chargé en pleine avenue, au milieu de la circulation avec courses-poursuite, chiens, hélicoptères, rafles dans les commerces et bars où les camarades se sont réfugiés.
Ainsi comme à Calais, la tension paranoïaque à se méfier d’un regard trop insistant, d’une voiture qui ralentit, d’un individu qui nous regarde en téléphonant ou en griffonnant sur un papier. Occupation militarisée, omniprésence de la terreur policière, face auquel on ne peut compter que sur nous-mêmes, tiraillés entre les complicités et les délations.
Nous avançons, prudemment. Au fil du temps, avec l’expérience, nous savons qu’il ne faut pas regarder une patrouille de flics quand on en croise, les ignorer, rester décontractés, légers, apparemment nonchalants, tout en restant aux aguets et extrêmement vigilants, les yeux et les oreilles à l’affut du moindre élément suspect. Les flics, surtout les civils, font de même. Dans une ville-matrice-citoyenne ou la machine de domination-consommation-exploitation tourne à plein pot de sa graisse de résignation forcée, une nouvelle micro-réalité s’instaure par bulles : une réalité de guerre, de guerre sociale, de guerre totale, que seuls les protagonistes ennemis saisissent dans une sorte de haine complice. Avons-nous raison de jouer ce jeu ? Ne nous enfermons-nous pas dans une nouvelle sphère d’action-répression dont les conditions sont posées par nos ennemis ? Sans doute. Comment en ce cas court-circuiter ces nouvelles situations ? Comment trouver les conditions de possibilité d’une révolte sauvage et pirate, joyeuse et déterminée qui renverse la suprématie militaire et numérique de l’ennemi ?
17h. Premier point de rendez-vous entre trois de nos binômes. Un clin d’oeil, un signe imperceptible de la main. Aux yeux du citoyen présent, nous ne nous connaissons pas, léchons les vitrines, nous promenons en bon touristes. Par intervalles de 5mn, nous nous retrouvons à une table de bistrot. Briefing dans un petit bar de quartier. Un camarade a fait un premier repérage : la Gare du Midi est quadrillée par blindés canons à eau, centaines de cars et voitures de flics, patrouilles avec des chiens, flics en civil, etc. Les autres binômes ont tous été repérés sur le trajet, malgré les précautions, par les rapaces en civil. Changement de binôme, brouillage des signalements, changement de fringues.
18H-18h30 : constatant le dispositif d’intimidation, nous nous posons à une terrasse de bar. Sur d’autres terrasses, nous remarquons d’autres camarades. En sirotant notre café et d’un oeil discret, nous constatons vite être assez nombreux dans le secteur : des camarades par dizaines, en binômes ou trinômes, en faux-couple, en touristes, en frère-soeur, se baladant, se prenant en photo, se posant devant des commerces, en civils, mais tous à repérer et décrypter le dispositif policier en présence. Les flics sont très visibles, en masse, comme un avertissement : on sait que vous êtes là, si vous tentez quoi que ce soit, on vous embarque, n’essayez même pas.
L’impuissance est d’accepter de jouer le jeu où ce sont les flics qui posent les pions.
L’erreur tactique est de se rendre au point de rendez-vous malgré l’avertissement policier exprimé par sa simple présence dissuasive, de confondre détermination et aveuglement.
19H00. Nous nous dirigeons vers la Gare du Midi, très prudemment mais nous choisissons, comme beaucoup d’autres semble-t-il, de ne pas nous rendre directement dans l’enceinte même de la Gare, bouclée par une armée de flics. Tandis que nous voyons des groupes de jeunes totos, en groupes de 10-15, tous lookés « black block », avec capuches et mêmes parfois déjà masqués, en noirs, aller tranquillement se jeter dans la gueule du loup, à l’endroit précis où les flics ont positionnés le plus gros de leurs troupes. Tristesse et agacement de voir un tel gâchis : en moins de cinq minutes, ils sont interceptés, interpellés, menottés et embarqués. D’autres groupes du même genre subissent le même sort.
Dès lors, les flics s’agitent, les sirènes résonnent de partout, les gyrophares aveuglent la place, les flics en civil courent dans tous les sens pour interpeller violemment le moindre individu suspecté « anar ». On fait quelques tours discrets de la Gare du Midi pour voir si néanmoins des possibilités percent, si un regroupement plus conséquent parvient à se faire, prêts à foncer les rejoindre. Mais nous ne croisons que des camarades isolés ou par deux qui quittent le secteur, tandis que les flics arrivent encore plus massivement. 85 arrestations dans la zone.
Repli.
Nous rentrons au No Border Camp, en évitant les endroits sensibles et propices au quadrillage répressif. C’est là que nous apprenons qu’un deuxième point de rendez-vous est fixé sauvagement à 21h à la Porte des Halles. Intelligence tactique et collective, enfin ? Pas si sûr, car les flics déploient toutes leurs forces et bouclent tous les points stratégiques. L’intelligence aurait été de fixer ce nouveau point de RDV « secret » peu de temps avant 19h et de ne pas se rendre du tout à la Gare du Midi qui ne fut qu’un piège à rat pour rafle et fichage.
En effet, 100 arrestations autour du secteur de la Porte des Halles et sur tous les chemins menant au Camp.
Au NBC, nous sommes alors très peu nombreux, la plupart sont dehors, pourchassés, traqués, matraqués. La Legal Team tourne à plein pot, nous tenant informés de l’évolution de la situation. On apprend par ailleurs qu’une vingtaine de mineurs sont arrêtés également.
Ainsi, près de 200 arrestations au total. Plus tard, nous apprendrons qu’un commissariat a été attaqué et saccagé par une poignée de camarades, et que quelques voitures brûleront, ce qui nous réjouit. Toute la nuit, la Sécurity Team triplera ses effectifs pour anticiper toute attaque de la police sur le NBC. La tension est là, palpable, silencieuse mais vive. Mais il n’en sera rien.
Une équipe se met en place pour recueillir en voiture les camarades qui sortent de prison et les ramener en sécurité au Camp. A nouveau, des témoignages de violences policières, de tortures physiques et psychologiques, de menaces, etc.
La plupart des camarades ne rentrent que vers 5-6h du matin.
* SAMEDI 2 OCTOBRE : MANIF NO BORDER, déterminés et vigilants.
En préparant la grande manif finale No Border du samedi 2 octobre, tout le monde ne peut s’empêcher d’avoir en tête l’échec cuisant de la grande manif No Border du samedi 27 juin 2009 à Calais où nous n’avons pas réussi à faire la jonction avec les migrants qui sont restés cloisonnés et encerclés par les flics ; où nous nous sommes résignés au parcours autorisé par les flics dans des zones inhabitées, le long de la mer, dans des zones industrielles désertes, loin de la population et de toute subversion possible ; du côté paternaliste insupportable des orgas, essentiellement le NPA, qui « remercie » tacitement les autonomes d’être « restés responsables » et de « ne pas avoir répondu aux provocations », se félicitant d’une manif qui restera sans écho, vide, mise en quarantaine; où nous avons défilé dans des zones industrielles vides, avançant à l’ombre des matraques, entre les grilles anti-émeute de l’impuissance.
Pourtant il est clair que politiquement, s’affronter avec la police dans ce genre de manifestation est quelque part absurde et idiot, n’est en rien le but poursuivi.
Les grandes manifestations No Border ont pour vocation de défiler bruyamment en centre-ville, en offrant l’opportunité pour les migrants et sans-papiers qui le souhaitent de manifester avec nous à grand jour et visage découvert, de sortir de l’ombre, et de dénoncer sur le parcours des cibles politiques lié à l’Europe-Forteresse par des actions symboliques. Manifs joyeuses, créatives, déterminées, et qui crachent à la gueule des bons citoyens, par les slogans et les actions, en dévoilant une réalité sociale étouffée par le silence des pantoufles.
Depuis plusieurs jours, nous sommes prévenus collectivement : la grande manif finale No Border est « tolérée » par la police, après négociations. Ils nous « promettent » de nous laisser défiler, de ne pas nous attaquer si on reste « calmes ». A la moindre provocation de notre part, ils nous rentrent dedans. C’est une donnée importante à prendre en compte, ce qui ne nous empêche pas, bien au contraire, de préparer la manif sur la base d’une autodéfense pratique et immédiate : en Bloc avec banderoles, renforcées si possibles, avec des lignes au coude à coude sur le devant et les côtés pour protéger l’intérieur du cortège dont, notamment, les migrants et les sans-papiers afin qu’ils ne se sentent pas inquiéter de participer à la manifestation.
Ainsi, au point de départ en manif, au Parc Maximilien à 13h, les consignes collectives sont données : manif en Bloc pour protéger les migrants et le cortège, pas d’action violente partant du cortège, même si la solidarité restera active, être prêts cependant à riposter comme il se doit à la moindre action d’envergure de la part des flics.
Le cortège s’ébranle. Compact, serré, bruyant, joyeux, déterminé. Les banderoles sont déployées tout autour du cortège en Bloc, également en premier lieu pour empêcher toute infiltration de flic en civil et pour se protéger collectivement des cars-périscope de la flicaille (cars de flics avec des caméras sur piliers flexibles pour ficher les participants à la manif). La Batucada est à l’avant, donne le ton, endiablée, rythmée, soudée. La Brigade des Clowns, très mobile et énergique, détourne et ridiculise les symboles capitalistes, mobilise l’attention des flics et se fout de leur gueule. Nous avons également une poignée de camarades chargés de repérer et désigner les flics en civil par des pancartes CIVIL COP ou ATTENTION POLICE EN CIVIL avec des flèches montrant précisément leur positionnement, ce qui marche à merveille.
Au plus fort de la manif, je dirais honnêtement que nous étions autour de 2000 personnes, ce qui reste un bon cortège.
Nous passons devant les bureaux d’enregistrement dedits « régularisation » où 40 000 sans-papiers sont en attente de régularisation.
A moment donné, nous nous inquiétons un peu : on s’engouffre sur une rive du canal, entre la flotte et des murs de bâtiments désaffectés, éloignés de tout, et encadrés étroitement par les flics qui barrent tout les ponts. Nous comprenons que c’est pour nous empêcher d’approcher de trop près un Centre Ouvert sur l’autre rive, solidement gardé par les flics. Néanmoins, des migrants nous font signes et nous leur répondons avec bruit.
Enfin, nous pénétrons dans le centre-ville, jusque vers la place de la Bourse. C’est une grande victoire politique de parvenir à défiler en plein centre de Bruxelles où les slogans anticapitalistes et No Border résonnent avec force, salués par les gens à leurs fenêtres. Le Bloc est très compact, il y a facile près d’un milliers de camarades en noir dont plusieurs dizaines cagoulés, mais la discipline collective est de rigueur et nous passons entre les vitrines de luxe fermées-grillagées et les grosses bagnoles sans attaquer. Quelques énormes pétards et feux d’artifices tonnent. En débouchant sur la Place de la Bourse, superbe scène politique : nous investissons les marches de la Bourse et pendant une grosse demi-heure nous scandons, chantons, toutes les banderoles No Border et les drapeaux rouge et noir flottant sur la Bourse avec camarades cagoulés, sans-papiers, clowns, etc. Quand le cortège s’ébranle de nouveau, il bloque longuement un carrefour, le temps que deux camarades grimpent à des lampadaires pour accrocher sauvagement une grande banderole NO BORDER qui fait toute la largeur de la rue.
Puis nous revenons au Parc Maximilien où un podium de libre parole est installé pour l’occasion, où chacun peut s’exprimer à sa guise.
Ainsi, malgré toutes les provocations policières, nous avons eu l’intelligence politique de ne pas partir en actions directes anticapitalistes puisque l’objectif était alors de défiler en centre-ville, avec migrants et sans-papiers, d’arborer haut nos drapeaux et nos banderoles, de gueuler fort nos slogans radicaux et révolutionnaires, tout en montrant notre détermination et notre initiative solidaire en investissant les marches du Palais de la Bourse, en faisant péter des feux d’artifice, en accrochant une énorme banderole No Border en pleine avenue entre deux lampadaires en face d’une triste enseigne géante Coca Cola. Ceci tout en restant collectivement vigilants, avec un cortège en Bloc entouré de banderoles, une coordination réussie entre la Brigade des Clowns, les groupes anti-flics en civil, la Batucada, et le Black Block présents.
Cette journée peut être considérée comme la seule vraiment réussie de la semaine.
* Que crament toutes les prisons *
* Que croulent toutes les frontières et s’effondrent tous les systèmes *
* No Border, No Nation ! *
/Guitoto/
TEMOIGNAGE :
1 04 /10 /2010 18:26
No Border Bruxelles : Dans la nuit du 1er octobre
Retour sur l’arrestation du 1er octobre et le choc qui en est resté
«Je ne sais pas si celui qui est roué de coups par la police perd sa “dignité humaine”. Mais ce dont je suis certain c’est qu’avec le premier coup qui s’abat sur lui, il est dépossédé de ce que nous appellerons provisoirement la confiance dans le monde. Confiance dans le monde. Beaucoup de choses la constituent : par exemple la foi en une causalité à toute épreuve, foi irrationnelle, impossible à justifier logiquement, ou encore la conviction également aveugle de la validité de la conclusion inductive. Un autre élément plus important dans cette confiance — et seul pertinent ici — est la certitude que l’autre va me ménager en fonction de contrats sociaux écrits ou non-écrits, plus exactement qu’il va respecter mon existence physique et dès lors métaphysique. Les frontières de mon corps sont les frontières de mon Moi. La surface de ma peau m’isole du monde étranger : au niveau de cette surface j’ai le droit, si l’on veut que j’aie confiance, de n’avoir à sentir que ce que je veux sentir.»
Jean Améry, résistant et juif, analysait ainsi la violence qu’il avait subi de la part de la Gestapo belge en 1943 dans son livre Par-delà le crime et le châtiment.
Dans la semaine du 27 septembre au 3 octobre 2010, plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées tout à fait arbitrairement dans les rues de Bruxelles à l’occasion d’un campement de protestation contre les politiques migratoires et le régime de contrôle et de répression qui les accompagne.
Toléré par les autorités, ce type de rassemblement ne peut se faire qu’en faisant un certain nombre de compromis avec les forces de police (obtention d’un terrain, parcours de manifestation, contacts quotidiens avec la préfecture…). C’est un fait que nous déplorons, mais que nous acceptons pour avoir la possibilité de sensibiliser un minimum la population à nos inquiétudes et nos analyses du monde existant. Mais par ces compromis, nous savons qu’il nous est impossible de combattre effectivement le régime en place, étant donné qu’aucune action directe ne saurait souffrir d’une négociation avec l’ennemi : on ne combat pas un pouvoir avec son autorisation. La manifestation «familiale» et festive du samedi est donc la seule forme de «contestation» réellement autorisée — et non réprimée — par le pouvoir, bien que cela s’apparente davantage à un carnaval qu’à un acte de révolte. Il est difficile de croire à la portée révolutionnaire de ces représentations médiatiques et spectaculaires.
Devant la violence quotidienne et le racisme décomplexé du système actuel, face au saccage des structures sociales, l’exploitation et la destruction des vies qu’il implique, nous sommes pourtant nombreux à vouloir nous opposer sans attendre que le pouvoir nous y autorise. Ces campements sont donc l’occasion de mener des actions, symboliques ou non, contre les acteurs de notre oppression, en ciblant des institutions, entreprises et organisations non gouvernementales qui participent à la gestion du contrôle que nous subissons continuellement et de façon chaque jour plus inquiétante. Il s’agit pour nous d’exprimer notre opposition de façon radicale. Et on ne saurait parler de violence, puisqu’aucune personne physique n’est jamais prise pour cible dans nos actions, sauf si elle s’oppose elle-même avec violence à ce que nous entreprenons (policiers). Qu’on se le dise une fois pour toute : nous croyons au sabotage, mais rejetons comme tout-un-chacun la violence physique. Contrairement aux communistes autoritaires, nous désaprouvons toute forme de justice populaire visant à punir collectivement nos détracteurs et opposants. Nous n’avons et ne voulons exercer aucun pouvoir ni aucune autorité, car nous sommes contre toute forme de hiérarchie.
Ceci étant dit, en dehors de toute considération idéologique, je souhaiterais aborder de façon plus personnelle ce qui s’est produit à Bruxelles durant la semaine passée et qui, je n’en doute pas, me laissera des marques profondes et pour longtemps. Pour dire la vérité, j’ai eu du mal à ne pas pleurer une fois rentré chez moi, tant j’ai été secoué par ce que j’ai vu et subi là-bas.
Bien que ces violences aient eu lieu toute la semaine à l’encontre des personnes investies dans le campement, je voudrais focaliser mon récit sur les douze heures durant lesquelles j’ai moi-même été arrêté et placé en prison au cours de la nuit du vendredi 1er au samedi 2 octobre. Ces quelques heures ont eu sur moi comme un effet de marteau, tant ce que j’ai vu n’avait pas de commune mesure avec les violences policières dont j’ai eu l’occasion d’être souvent témoin auparavant. Et à ce propos, je veux dénoncer le relativisme des copains et copines de lutte qui estiment qu’il n’y avait là rien de plus ordinaire. Pour moi, il n’y a pas de banalité du mal à laquelle il faudrait s’habituer ou devant laquelle il faudrait rester de marbre. Il ne suffit pas de dire «Ce ne sont pas des abus, ces flics ont agi en tant que flics, avec une violence qui leur est propre et qui appartient au rôle social et à la fonction répressive du flic» pour expliquer le comportement barbare des policiers. Il existe des paliers dans l’utilisation de la violence. Le coup de matraque en manif n’est pas comparable aux traitements humiliants dans l’enceinte d’un commissariat. Le déchaînement isolé des policiers pris individuellement dans la mêlée au cours d’une charge et la torture appliquée collectivement et dans une atmosphère «détendue» à l’abri des regards sont deux choses complètement différentes. Et ce que nous avons subi au cours de notre arrestation et de notre mise en détention tient pour moi davantage de la torture.
A contrario de la manif-parade du samedi, la manifestation radicale du vendredi prévue au départ de la gare du Midi faisait l’objet d’une interdiction de la part des autorités. Si les révolutionnaires avaient attendu l’autorisation des seigneurs pour prendre la Bastille, la République n’aurait jamais existé (et on n’aurait pas eu à s’en plaindre au vu de ce qu’elle nous fait subir). Bien qu’on ne se considère pas comme des révolutionnaires (nous n’avons ni programme, ni solution «prêt-à-adopter» pour changer le système, mais seulement des pistes expérimentales et des idées à faire évoluer), il est pour nous hors de question de négocier avec la police le droit d’occuper la rue (qui soit appartient à tous, soit à personne). C’est pourquoi les autorités avaient à craindre notre présence et ont publié un arrêté interdisant tout rassemblement de plus de cinq personnes aux abords de la gare du Midi et permettant l’arrestation administrative de tous les contrevenants à cet arrêté dictatorial.
Tous les alentours de la gare, à partir de quinze heures, étaient sous blocus policier. Les véhicules de polices étaient stationnés partout, girophares allumés, pour traquer les manifestants. Des centaines de personnes ont été arrêtées, même lorsqu’elles marchaient en groupes de moins de cinq. Si l’on veut être fidèle à l’Encyclopédie, le terme «rafle» convient tout à fait à ce type d’opération de police, quoi qu’en disent les plus frileux. L’arbitraire s’est abattu, bannissant de l’espace public l’expression de certaines idées trop gênantes pour le pouvoir. On peut manifester si cela n’ébranle pas le système. Seul faire semblant est autorisé. Une grande majorité des interpellations a fait l’objet de violences gratuites et d’humiliations, non seulement près de la gare, mais aussi à proximité de la porte de Hal où certains se sont repliés pour échapper à l’étau policier et tenter de manifester quand même. Tout s’est fait dans un calme assourdissant, sans courses poursuites ni opposition physique de la part des personnes interpellées. Échappant aux arrestations de la porte de Hal, quelques personnes dont je faisais partie se sont faites arrêter après avoir rencontré des copains et copines tout juste arrivé.e.s sur Bruxelles.
À partir de là, et dès l’arrêt des véhicules à nos côtés le long du trottoir, les agents de la police fédérale belge, pour certains originaires de Anvers, se sont comportés avec nous de façon arbitraire et humiliante, nous menaçant verbalement et physiquement, plaquant nos visages contre le mur et exerçant des pressions physiques sur certains d’entre nous. Refuser pour une fille d’être palpée par un homme ou protester contre la rudesse du traitement infligé nous a exposé à des coups et des pinces au niveau de la gorge. Les menottes en plastique ont été serrées dans le dos jusqu’au sang de façon à ce que la plupart d’entre nous ait les membres ankylosés. Ils nous ont ensuite assis les uns derrière les autres dans les flaques d’eau, puis ont proféré des insultes et vexations à notre égard pendant près de quarante-cinq minutes, tenant des propos injurieux : «Ferme ta gueule !», «On va faire du sexe avec lui… avec ma matraque» (à propos de moi, en flamand), «Ça fait longtemps qu’elles n’ont pas vu une bite» (aux filles), «Dis au bougnoule de contourner le camion» (à propos d’un passant), «Ici, c’est pas la République, c’est la monarchie. Si ça vous plait pas, retournez dans votre pays !», «Tu ressembles à un clochard» (à propos d’un copain), «Je hais les gens qui ne travaillent pas»…
Pour la première fois de ma vie, je me suis mis dans la peau des personnes soumises à l’arbitraire des nazis durant la Seconde Guerre mondiale, le droit de mort constituant la seule différence notable. Ils nous entouraient tous, en nous insultant et en se moquant de nous. Nous étions assis à leurs pieds, dans l’eau, les mains entravées et douloureuses, sans que quoi que ce soit ne puisse nous être reproché. Au moment de nous transporter dans le panier à salade, ils m’ont penché en avant et m’ont suspendu avec les mains vers le haut. L’un d’eux m’a mis des coups de genoux dans le thorax, pendant qu’un autre me mettait un coup de pied dans la cuisse. Lorsque j’étais assis dans le bus, le premier m’a mis encore une claque. Un copain belge qui nous a rejoint dans le bus a reçu un coup de poing au visage au moment de son arrestation. Une copine qui refusait de se faire palper par un homme a été jetée au sol, la tête écrasée contre le trottoir, tandis qu’un policier lui palpait ostensiblement les fesses. Ces violences faisaient écho à celles déjà subies par d’autres les jours d’avant : un copain anglais recevant un coup de tête dans le visage pour avoir refusé de se laisser prendre en photo, un copain français frappé contre une table pour n’avoir pas voulu signer un papier reconnaissant des faits inventés de «troubles à l’ordre public», des camarades frappés au visage et à la nuque durant la manifestation du mercredi, etc. Il ne s’agissait pas ici d’abus isolés, étant donné que les faits étaient commis en réunion, au vu et au su des officiers, voire avec leur assentiment.
Une fois parvenues au dépôt de police, les centaines de personnes arrêtées ont été rassemblées dans des cellules de vingt personnes (parmi lesquelles des mineurs d’un mouvement de jeunes juifs antisionistes de gauche), tout d’abord avec leurs affaires, puis amenées une par une à la fouille. De notre cellule, on pouvait voir distinctement les conditions de ces fouilles. Un certain nombre de personnes, dès lors qu’elles refusaient d’être palpées par un agent de l’autre sexe, ont reçu des coups. Une fille a ainsi été plaquée avec force sur la table et a reçu des coups de poings. Nous étions invités à signer un papier en flamand sur lequel nous reconnaissions avoir donné nos affaires et du même coup admettions être les auteurs de «troubles à l’ordre public». J’ai exigé d’avoir la traduction du document avant de signer, mais on m’a enlevé la feuille des mains et signifié de «dégager». Nous étions 26 dans ma cellule. Il y avait plus de 25 cellules de cette capacité (dont une qualifiée de V.I.P.). L’arrêté affiché sur les murs des cellules nous informait qu’il «ne saurait nous être donné un avocat». Nous n’avons eu ni repas, ni eau, malgré nos demandes répétées. Injustice à laquelle beaucoup ont répondu en saccageant l’intérieur de leur cellule (lampes, urinoirs, murs et porte). Légitime révolte face à l’arbitraire.
Ce n’est qu’à 5 heures du matin que nous avons été relâchés, ramenés au camp en bus escortés par des fourgons de police.
Nous vivons des heures inquiétantes. L’extrême-droite reprend du poil de la bête. Le fascisme non seulement n’est jamais mort, mais il revient au galop. Les arrestations administratives signalent que le pouvoir n’a plus à s’embarrasser de formalités, il peut réprimer en silence, embarquer tout-un-chacun sans avoir à s’en justifier. Des passants sont traités comme les opposants politiques. Ils reçoivent du gaz et des coups, juste parce qu’ils sont dans la rue. Dommages collatéraux, ils n’avaient qu’à pas être là : on est mieux chez soi, seul devant sa télé. La rue, c’est juste pour aller travailler et consommer. Les policiers y règnent en maîtres. Les photographes qui veulent montrer l’inmontrable se font agresser par des policiers en civil qui les menacent de détruire leurs appareils. Les médias font l’impasse sur la répression, servent le pouvoir en place, déversent des statistiques insipides et se réjouissent des laspsus des puissants. Aucune info ne perce, tandis qu’à l’ombre on frappe les indociles et on expulse les indésirables. De toute façon, ce sont des parasites. On leur a construit des prisons spéciales et des cellules à part. À force de coups, ils finiront bien par comprendre qu’il faut fermer sa gueule et marcher droit, consommer et produire, être rentables.
Pour la première fois j’ai eu peur. Pour la première fois, j’ai baissé la tête par peur de me faire casser le nez. Pour la première fois, ma colère s’est transformée en haine. Pourtant, j’étais venu par amour. Par amour pour ces gens que l’Europe veut foutre dehors sans raison, juste parce qu’ils sont nés ailleurs ou vivent différemment. Ce que le pouvoir y gagnera, c’est d’avoir face à lui des personnes qui agissent dans l’ombre et qui seront prêtes à tout, parce qu’elles ont tout perdu. Qu’il en soit ainsi, nous ne sommes pas contre. Tant qu’il n’y aura pas de justice, il n’y aura pas de paix.
Dans la nuit du 1er octobre 2010, j’ai perdu ma confiance dans le monde…
Indymedia Bruxelles, 3 octobre 2010.
AUTRE TEMOIGNAGE DE LA RAFLE DU 1er OCTOBRE :
Nous sommes environ 200 personnes raflées et transférées à la caserne d’Etterbeek. Parmi nous, 20 mineurs d’âge, des touristes parisiens, des fêtards liégeois, ardennais, bruxellois…
On ne peut plus parler d’arrestations administratives «préventives», terme apparemment accepté docilement par les médias et l’opinion publique, mais d’une rafle !
La première fouille sur place m’apprend que mon marqueur indélébile et mes gouttes ophtalmologiques sont des preuves de culpabilité…
Nous sommes une cinquantaine dans la cage des femmes, d’autres arrivent au compte-gouttes…
Au bout de deux heures, les fouilles et prises d’identités commencent.
Deux flics m’extirpent brutalement de la cellule. Je demande en néerlandais scolaire qu’on me parle en français, ils refusent et deviennent très agressifs. Ils aboient et la fouille au corps abusive et dégradante est clairement destinée à provoquer une réaction de ma part… self-control, je gère.
Je refuse de signer une déclaration qui signale un trouble de la tranquillité publique et la possibilité qui m’aurait été offerte de prévenir quelqu’un à l’extérieur. Aucune femme n’a signé d’ailleurs !
Ils m’emmènent d’un pas rapide rejoindre mes nouveaux quartiers, je ralentis la marche, mon calme les énerve, la volaille femelle essaie de me mettre le bras dans le dos, la pauvre n’y arrive pas et de rage m’enfonce ses ongles dans la peau… Mon bras est toujours bleu, mais c’était jouissif de les voir faillir…
Deux jeunes filles brutalisées arrivent en pleurs dans la cage, une autre camarade a été plaquée sur la table, pantalon descendu…
À 1 heure du matin encore, d’autres raflés continuaient d’arriver. Nous sommes restés prisonniers pendant 9 heures (excepté les mineurs d’âge relâchés vers 1h30), accédant une seule et unique fois aux toilettes au bout de 4 heures (certaines ont été contraintes d’uriner par terre), avec 2 bouteilles d’eau de 33 cl pour 27 détenues (dans notre cellule), sans manger, sans même un mouchoir en papier, nous crevions de froid (ils avaient pris pour la plupart nos vestes), et nous n’avions aucun moyen de prévenir un flic si un malaise ou autre survenaient.
La police d’Anvers (ou escadrille fasciste réquisitionnée pour les basses tâches) nous a relâchés vers 5h du matin aux abords du camp.
J’apprendrai par la suite, que les hommes ont eu le plaisir de recevoir la visite du gardien Vandermachin accompagné d’une dizaine de majorettes. Celui-ci leur proposait tour à tour soit de sortir avec lui pour un remake de Rocky, soit pour leur enfoncer… bien profondément !
Admettez que sa verve poétique pourrait être publiée, et devenir le nouveau mouvement artistique en vogue de cet État policier.
Nous pensons pourtant que la solution pour lui serait une thérapie de couple. En effet si Mme Vandermachin refuse la sodomie, ce n’est pas une raison pour profiter de son autorité sur la population livrée à sa merci.
L’autre option, c’est le coming-out. Nous vivons dans une démocratie, empreinte d’égalité et de tolérance ; l’homosexualité au sein de la police ne devrait pas poser de problème.
Allez, courage !
NathD/mediActivista
Indymedia Bruxelles, 3 octobre 2010.
No Border Bruxelles : En guise de retour critique
«Rapport Minoritaire» : Récit d’arrestation
Récit «d’arrestation administrative» massive et indistincte pour «trouble à la tranquilité» et retour critique
Bruxelles, le 2 octobre 2010, dans la nuit.
1.
Tout d’abord, aucun détail ne sera donné sur ces évènements, de nature à compromettre la sécurité de camarades ou compagnon-e-s sur le récit des faits (de par leur nature, et leur caractère fantasmé ou réel), et dont la présentation reste dans ce texte purement pratique dans le but de mener un retour critique sur ce qui s’est passé ce soir. Aucune manifestation n’a réellement eu lieu. Il n’y a donc pas matière à débat sur ce sujet, mais sur ce qui s’est finalement passé, et ce qui aurait pu se passer.
2.
Tout d’abord, ici comme ailleurs, les arrestations préventives, comme à Copenhague, comme ailleurs, redeviennent, partout en Europe, la norme. Le délit d ’ intention, et les arrestations «en amont de toute violation de la loi» ne sont plus du ressort de la science-fiction mais du présent. Notre présent. Et si les condamnations juridiques tarderont peut-être à se généraliser, les détentions interminables existent déjà, et annoncent ce qui peut être à venir.
Avant la manifestation, plusieurs discussions ont eu lieu, de différentes façons, en se questionnant de savoir si la manifestation serait déclarée, si nous irions, pourquoi et comment ? Pointant d’un moment à l’autre, d’une discussion à une autre, la dangerosité d’une telle manifestation, et le risque de finir toutes et tous arrêtéEs, car non-déclarée et non-autorisée dans Bruxelles (certainEs ignorant même jusqu’au fait qu’elle ait été interdite) dans les circonstances particulières qui sont celles de cette semaine et dans un contexte particulier. Plusieurs d’entre nous, loin de dénier l’évidente nécesité que représente le besoin essentiel et même vital de nous affirmer politiquement sans aucune espèce d’autorisation, ont rappeléEs que tout n’est pas question que de «bonne volonté», mais aussi de circonstances. La situation belge n’est pas la situation grecque, qui n’est pas la situation italienne, qui n’est pas la situation française ou espagnole. Et décembre 2008 ici n’est pas le printemps 2006 là-bas, etc.
Nous devons, tout en préservant intacte notre éthique et nos désirs, savoir faire germer l’anarchie dans des contextes et des configurations différentes. En clair : nous préoccuper au moins autant de nous-mêmes que le bassin dans lequel nous sommes plongéEs à tel ou tel moment, en tel ou tel lieu. Dépasser la simple révolte existentielle.
3.
En définitive, si il ne peut y avoir une mesure, et une prise en compte des paramètres environementaux, sociaux, physiques, matériels, culturels, ponctuels ou permanents, numériques, idéologiques, stratégiques, politiques et policiers qui définissent notre situation, à tel endroit, à tel instant : nous devons accepter l’idée que nous [allons] aller droit dans le mur.
Si rien ne permet de faire en sorte qu’il doive pouvoir exister, dans les limites du bon sens, une position souhaitable entre opportunisme et rigidité abstraite, entre bonne volonté et rationalisme plat. En bref, si nous devons bannir tout pragmatisme en le sacrifiant sur l’autel de l’attachement entêté : alors nous devons nous résigner à penser que nous nous battons contre des moulins, que nous restons sagement là où on nous attend, que nous demeurons en fin de compte sinistrement prévisibles, et que tôt ou tard, nous le payerons cher. Avec une «monnaie» qui est la seule qui représente réellement quelque chose pour nous : notre liberté, celle de toutEs les autres, et notre capacité à l’étendre à l’infini.
4.
Pour nombre de camarades et compagnon-e-s, il était évident qu’organiser une manifestation en plein Bruxelles, dans un tel contexte, avec un tel dispositif policier était voué à connaître la fin malheureuse qui a été celle d’aujourd’hui. Et nous osons affirmer que cela aurait pu être bien pire, et que nous avons de la chance, si le mot n’est pas ridicule.
Mais que cela aurait pu être bien mieux. Ce pourquoi nous nous y sommes malgré tout rendu. Parce que nous étions déterminéEs, avec des intentions et des motivations variées, mais aussi et d’abord parce que les mots d’ordre de cette manifestation étaient aussi les nôtres. Malgré tout. Mais nous avions imaginé aussi que d’autres pourraient être capables de ne pas rester accrochéEs à une idée de départ avec trop d’aveuglement : comme à qui on dit «Il y a de l’orage dehors, la sortie est compromise» qui réponde «Non, nous allons sortir». Malheureusement, ici ou ailleurs, aujourd’hui ou demain : les tôles, les commissariats, les hôpitaux psychiatriques, les centres fermés pour mineurs, les centres de rétention et tout le reste seront toujours là demain, et peut-être même après-demain. Et peut-être qu’il sera toujours temps de faire quelque chose sans aller là où il y a le plus «d’orage» : «au mauvais endroit, au mauvais moment».
5.
Certes, à plusieurs instants, dans plusieurs initiatives différentes, qu’elles proviennent de gens du No Border ou d’ailleurs, ont su répondre et se montrer courageux/ses et déterminéEs devant la police. Ne jamais plier. Mais celle-ci s’est montrée, pour sa part, comme le précisait l’affichette dans nos cellules, comme un personnel «spécialisé dans la gestion des personnes privées de liberté». Impassible, imperturbable, sadique, et froidement violente.
Entre autres spectacles navrants d’autorité de pacotille, les prisonniers d’une cellule ont pu par exemple assister à la pitoyable et pathétique démonstration de virilisme en uniforme du gradé Monsieur Van Der Smissen, qui, suivi de ses sous-flics, s’est alors pris au jeu de provoquer chaque prisonnier avec sa matraque sous l’épaule pour voir qui aurait l’audace de lui tenir tête. Le spectacle aurait pu être risible si l’individu n’était pas connu de plusieurs d’entre nous, notamment des manifestations contre les centres de rétention et pour la liberté de circulation totale en faveur des migrant-e-s, comme un harangueur de troupes, galvanisant la haine de sa meute, et notoirement connu pour ses petites phrases racistes et autres crachats de misérable chiens de garde.
Entre autres situations insupportables : plusieurs individuEs, et en particulier des femmes qui ont résisté à la manière dont on les traitait (si l’on considère que des insultes sexistes et un traitement «de faveur», humiliant et même agressif constituent — sans tomber dans le paternalisme observé chez quelques-uns des hommes — des violences supplémentaires à celle que constitue, de par le fait même qu’elles existent, une arrestation et une garde à vue) ont reçu des coups, ont été plaquées au sol, baffées avec gants plombés lorsqu’elles l’ouvraient trop, devant les regards médusés et enragés, et sous les huées et les cris de plusieurs d’entre nous, alors en cellules. S’ajoutent également les camarades et compagnonEs éclatéEs à coups de genoux, de poings, de clés-de-bras et de gel (sorte de pâte urticante et brûlante) dans le visage, et dans les bus nous menant à nos geôles, dans lesquels nous avons été sommairement jetéEs. Bien sûr, mélangéEs entre passantEs arrêtéEs, camarades criant quand d’autres choisissaient de garder un silence de défiance devant toute cette mascarade.
6.
Nous vient alors une question : Tout ça pour quoi ?
L’ultime majorité des arrestations n’a pas été si rondement menée pour seulement nous effrayer ou nous décourager de toute espèce d’action (Monsieur le bourgmestre et toute sa flicaille ne sont pas bêtes au point de croire que cela suffira — sans non plus nier le fait que certaines personnes ont nécessairement vécu, à travers ces violences, une expérience traumatisante. Les sensibilités et ressentis variants d’unE individuE à l’autre. Si ce qui ne nous tue pas nous rend plus fortEs, ce qui nous tue à petit feu ne nous rend pas plus fortEs.) mais dans un but, lui, tout pragmatique justement ; celui de nous photographier et de nous ficher, suivi d’un hypocrite et «courtois» au-revoir pour l’essentiel d’entre nous qui ont ensuite été relâchéEs (même si nous craignons toujours que certaines personnes — en plus d’autres «suspectéEs» — n’aient toujours pas été relâchéEs).
Nous ne portons strictement aucun jugement de valeur, ni moral, ni même éthique sur le fait d’avoir voulu tenir cette manifestation. Nous disons seulement : camarades, amiEs, compagnonEs, n’o
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