Construire les perspectives
Catégorie : Global
Thèmes : Actions directesRacismeRetraites 2010
C’est le 23 mars 2010 que la première journée de protestations contre une nouvelle réforme des retraites fut initiée par les centrales syndicales. Plus ou moins réussies au début (800 000 manifestants en mars), ces manifestations deviennent massives malgré l’été, pour aboutir au 7 puis au 23 septembre avec ses millions de manifestants et de grévistes. Comment expliquer cette progression tellement étalée dans le temps ?
La réussite de la mobilisation tient d’abord au fait que cette réforme est ressentie comme génératrice d’injustices notamment pour les femmes, et comme une menace contre tous et chacun d’entre nous. Elle est aussi l’expression d’un ressenti contre le travail, qui prend trop de place dans nos vies ; et d’un rejet des lois du profit qui nous font travailler plus et plus longtemps, pour des objectifs à la fois inégalitaires et incertains. Ajoutons à cela que le contexte mondial (crise économique, renflouement par les États des groupes capitalistes défaillants, etc.) et national (une exaspération diffuse mais nette de la politique gouvernementale et présidentielle : voir les protestations du 4 septembre contre le racisme) jouent un rôle décisif dans la montée du mécontentement. Des signes encourageants laissent penser qu’une nouvelle politisation est en cours. D’autre part, les centrales syndicales qui s’engagent dans l’unité, même si elle est fragile et de façade, encouragent par là l’enracinement de la mobilisation populaire et sa reconnaissance par l’opinion publique.
Toutefois, il faut relever que les manifestations ont du mal à exprimer des exaspérations suffisamment fortes pour aboutir à des mots d’ordre ou des réactions plus offensifs. Mais c’est compréhensible. Ce sont les syndicats majoritaires qui sont à l’origine du mouvement et ils ne demandent pas le retrait, mais à être pris en compte par le gouvernement. À partir de ces constats, nous percevons bien les limites de la protestation sociale en cours, dans un pays où le taux de syndicalisation est faible (8 % des travailleurs). La masse des gens pouvant participer au mouvement est donc mobilisée par des organisations syndicales affaiblies, prêtes à arrêter la mobilisation pour négocier, et qui n’impactent que le monde du travail.
Par ailleurs, parmi les opposants revendiqués de la réforme, FO se refuse à employer le mot de « grève générale », selon son secrétaire général, car c’est « un terme teinté d’insurrection » ; quant à SUD Solidaires, et à la CNT dans une bien moindre mesure, leurs capacités à mobiliser les cantonnent de fait dans une fonction protestataire et sans moyens suffisants pour faire pencher la balance.
Ces constats, qu’ils nous plaisent ou non, servent à anticiper raisonnablement sur les faits ; et c’est de là que découlera notre intervention, et donc, à notre échelle, notre apport à une radicalisation de ce mouvement social. À ce jour, l’opinion se répand selon laquelle une journée d’action de temps à autre relève de la perte de temps et d’argent, pour un résultat faible. Il y a donc une possibilité – impossible à évaluer – que des sections syndicales, avec le durcissement, décident de pousser leurs fédérations ou unions territoriales à radicaliser le conflit. Ou à le quitter ! Ce qui serait pire, et générerait de la frustration et la sensation que se battre ne sert à rien.
Les limites intrinsèques de ce mouvement social en cours – auquel il est nécessaire de participer – nous amènent à réfléchir à l’intérêt d’aller chercher des ressources supplémentaires hors du monde du travail plus ou moins drainé par les syndicats. Des ressources qui seraient à la fois des appuis précieux et complémentaires au mouvement syndical, et qui seraient une opportunité pour des gens, souvent exclus du monde du travail, de prendre une part à cette lutte qui les concerne sans que, pourtant, on ne s’adresse à eux. Du point de vue tactique, il faut se placer déjà dans une phase de la protestation qui doit s’élargir pour vaincre. Pour cela, nous pouvons favoriser la rencontre (tractages, réunions publiques post-mouvement en cours…) avec les gens non organisés ou non travailleurs, faire et organiser l’agitation en marge des défilés syndicaux tout en participant à ceux-ci, proposer des modalités individuelles et/ou collectives pour participer au mouvement sans être forcément syndiqué ou même travailleur actif, activer nos réseaux sociaux et associatifs pour donner une ouverture à ce mouvement du refus, mailler nos territoires de structures sociales qu’il conviendrait de rapprocher entre elles… Ce sont des pistes sérieuses, dont l’objectif est l’organisation sociale des gens dans l’autogestion. Il est inutile et nuisible de compter sur les organisations politiques de gauche et d’extrême gauche qui promettent à nouveau aux protestataires de raser gratis aux prochaines élections, si on vote pour eux, bien sûr. En plus, le seul candidat susceptible de fédérer cette gauche serait l’actuel président du FMI…
La tâche est donc à facettes multiples, et sans oppositions éventuelles entre syndicalisme et travail politique, avec une réelle complémentarité valorisable dans nos groupes anarchistes, attachés au pluralisme des idées et des pratiques. Nous pouvons viser dès aujourd’hui l’élargissement de la mobilisation sociale en cours, dans la convergence des luttes et le pluralisme des modes d’interventions, l’acquisition de l’autonomie par l’autogestion et l’action directe collective, et la tenue d’assemblées populaires dans et hors le monde du travail. Objectifs : nous organiser maintenant et nous projeter dans des perspectives crédibles et réalistes.
Daniel Vidal
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