Logique marchande-logique sociale: faut choisir
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Logique marchande ou logique sociale : faut choisir !
Inutile de revenir sur les chiffres, ils sont non seulement probablement faux, mais il est certain qu’ils ne recouvrent qu’une partie de la réalité, ne serait ce que tous ces exclus suffisamment « cassés » pour n’avoir recours à aucune aide…. Dans tous les cas, ils ont été largement publiés.
On peut dire qu’au seuil de la nouvelle année le gouvernement C.R.S effectue un « bond qualitatif ». Pourtant, il ne fait que prendre des mesures sans surpise, parfaitement logiques et en parfaite cohérence avec la réalité du système marchand. Il intervient à deux niveaux : l’un est comptable et financier, l’autre de principe sur la réalité de ce qu’est le travail.
Le niveau comptable et financier : L’Unédic est au bord de la cessation de paiement. Soit ! Pourquoi ne pas procéder à des prélèvements pour combler le déficit ?
– en relevant les cotisations chômage des salariés : c’est une idée, mais ça risque de faire désordre, surtout avec des élections qui approchent, et puis c’est économiquement dangereux… ça baisse le pouvoir d’achat or c’est sur la consommation que compte le Gouvernement pour relancer l’activité économique… à rejeter !
– en relevant les cotisations des employeurs : c’est une idée, mais c’est taxer le capital donc pénaliser les entreprises et les dissuader de se développer dans le pays, et puis si l’on répercute cette augmentation sur les prix, vu le niveau de l’euro qui pénalise nos exportations, ça va faire baisser encore plus la compétitivité de nos produits sur le marché mondial… à rejeter !
– -en levant un nouvel impôt, style « impôt sècheresse » : c’est une idée, mais en période électorale c’est pas très bon… à rejeter… ; quant au tabac, on ne peut plus… demandez aux débitants !
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Décidemment ce qu’il faut faire ce sont des économies, et sur qui ? Ben sur les bénéficiaires de telles prestations, autrement dit les chômeurs. Pourquoi ?
– ils ont déjà un bas niveau de consommation, donc ça ne changera pas grand-chose,
– ils sont minoritaires (encore) donc on va limiter l’impact du mécontentement,
– pas mal d’entre eux ne votent pas, ou plus, donc aucun risque
– ils ne peuvent pas faire grève… et pour cause
– ils ne font que des manifs symboliques dont la plupart des gens se foutent, donc pas de pagaille
Décidemment ce Gouvernement a bien calculé son coup… d’ailleurs il ne l’a pas fait tout seul les syndicats (sauf FO et la CGT) l’on parfaitement suivi sur ce terrain.
Le principe de la réalité du travail. Franchement, dans une société où tout le monde (même la Gauche, même le PC) reconnaît le rôle fondamental du travail comme élément d’intégration et de consommation, qu’est ce que ça veut dire que de rémunérer, contre « aucune activité », des gens qui « se tournent les pouces toute la journée » ? Soit, il est vrai qu’ils ont été licenciés, mais est ce une raison pour les entretenir dans l’inactivité ? De toute manière, le Gouvernement n’a aucun pouvoir sur le « marché du travail »… alors ? Passer du RMI au RMA n’est ce donc pas un progrès ? Dans la logique marchande parfaitement que oui. Quant à la réforme de l’ASS (Allocation Spécifique de Solidarité) qui ne sera plus illimitée (mais réduite à 2 ans), elle va se traduire par une réduction de l’indemnisation dans le cadre de la solidarité. Logique ? Dans un cadre marchand parfaitement ! Qu’est ce que c’est que cette histoire de « solidarité » ? Le gouvernement fait de l’ « économie » Monsieur, pas de la « philosophie » et encore moins de la « morale » !… voyez les retraites et vous allez voir bientôt pour la protection sociale ! ! ! !
Tout ceci va accroître la pauvreté et l’exclusion ? Bien évidemment. Mais on peut voir les choses autrement : les gestionnaires du système voient plutôt, en conséquence de ces mesures, une « incitation » pour les chômeurs à se « remuer le cul » pour chercher et trouver un emploi…Tous les gouvernements nous ont fait le même coup… et ça marche chaque fois… pourquoi s’en priveraient-ils ? Et qui soutient les chômeurs ?… Les syndicats ? Ils n’ont jamais été fait pour ça, leur fonction est de se battre pour que « la force de travail soit le mieux rémunérée possible » et que « les conditions de travail soient améliorées »…ils n’ont jamais eu pour vocation de défendre des « privés d’emplois »…ils ont toujours eu pour vocation de « regrouper des salariés »…. Ce n’est certes pas une tare, bien au contraire, mais il est bon de le rappeler. Produits du système marchand, ils en sont le reflet revendicatif… et pas autre chose. Ils se sont battus contre l’ « exploitation », jamais contre l’ « exclusion ». Seule la CGT s’est battue contre le salariat… mais c’était en 1906 (article 2 de ses statuts)… et suite et après 1968 (tiens donc !) elle a modifié ces statuts beaucoup trop dangereux pour le système salarial.
Tout ça pour dire que toutes ces mesures « tiennent la route » et sont en parfaite cohérence avec les principes du fonctionnement du système marchand… et de sa « contestation officielle » (Gauche et syndicats traditionnels)… et ce d’autant plus que dans le cadre d’une mondialisation marchande, les marges de manœuvres sont aujourd’hui réduites. Les silences gênés de la Gauche et ses protestations, pardon ses murmures, symboliques montrent qu’elle n’a rien d’autre à proposer (comme pour les Retraites en juin) et qu’au pouvoir, avec plus de cinéma il est vrai, elle nous aurait sorti un truc du même acabit (peut-être qu’alors CGT et FO auraient signé !?)… au nom du réalisme politique et économique évidemment.
Allons nous à une « rupture sociale »? Personne ne peut le dire. Nous avons tous l’expérience de la manière dont les organisations politiques traditionnelles pourrissent le débat économique et social, autrement dit stérilisent volontairement tout débat sérieux. Elles en ont le pouvoir, elles ont les moyens financiers et politiques de la propagande au travers des médias, elles en ont aussi un intérêt évident : incapables de dépasser la situation, elles ne peuvent qu’en faire une interprétation électoraliste dont on sait très bien qu’elle ne règlera rien. Faire une rupture sociale c’est d’abord se dégager de la gangue politicienne qui entrave, dans ses débats, ses mobilisations et même ses organisations, le mouvement social, gangue d’autant plus collante, nauséabonde, soporifique et donc démobilisatrice, que des échéances électorales sont en vue. L’autonomie stratégique de tout mouvement social est un impératif politique catégorique et qui ne souffre pas la moindre faiblesse, y compris dans sa dimension tactique. De cela, peu en sont encore convaincu-e-s. Il faudra probablement d’autres drames, déceptions et frustrations pour ouvrir suffisamment d’yeux… alors, alors seulement… on verra !
Patrick MIGNARD
Cette analyse appelle divers commentaires et amendements, à mon sens. Je suis plutôt d’accord avec cette notion de “bond qualitatif” fait par le gouvernement actuel en matière de mesures “anti-sociales” (pour le dire vite). En réalité, nous sommes en train de changer de régime économico-social en profondeur. Le terrain a été préparé de nombreuses années auparavant, mais désormais nous y sommes. Et les mesures les plus voyantes ne sont pas forcément les plus dangereuses.
Les lois et décrets déja promus ou en préparation ont de lourdes conséquences structurelles, qui nous feront comprendre une vérité pourtant ordinaire : le capitalisme ne change jamais dans son fondement, mais peut revêtir de nombreuses formes plus ou moins intéressantes d’un point de vue social immédiat -et donc d’un point de vue tactique. La bataille sur ces formes est ce qui sépare réellement les droite et gauche parlementaires ; le résultat à court et moyen terme sur l’issue de cette bataille n’est pas anodin pour l’avenir même d’un mouvement social, et il est impossible de s’en désintéresser en quelques phrases radicales et lapidaires du type : “tous pourris”. Ceux qui évoquent une “reconstruction de la gauche” n’ont pas stratégiquement tort, en dépit du caractère évidemment limité d’une telle perspective, en dépit de la valorisation du champ politique classique que cette reconstruction suppose. Je parle bien de raison stratégique parce que l’autonomie du mouvement social est une notion vide de sens lorsque les salariés et les sans-droits perdent leurs bases arrière et leurs lignes de communication.
Quand à cette fameuse rupture sociale qui pourrait nous faire une heureuse surprise au coin de la rue, comme en mai 68, certes, et pourquoi pas ? Mais cette rupture est déja latente, pas forcément comme on voudrait : la captation des voix “populaires” par l’extrême-droite reste bien le phénomène le plus inquiétant aujourd’hui.