Le collectif CACTUS se ré-organise et continue son travail après l’assassinat de Bety.

« Nous voulons aujourd’hui vous dire merci. La solidarité exprimée face au lâche assassinat de notre compañera Alberta (Bety) Cariño Trujillo et de Jyri Antero Jaakkola, nous dit que les frontières n’existent pas »

Communiqué du Centre d’Appui Communautaire Travaillant Unis – CACTUS

Nous sommes ici et n’oublions pas

Toi tu n’es pas mort. Sont morts ceux qui ont éteint le murmure de tes yeux.

Et mourront tous ceux qui haïssent ta voix, ton signe,

la douce lumière de ton étoile.

Mourront tous ceux qui nient les semailles et la chanson.

Roberto Armijo

Les jours passaient, comme d’habitude sur la Terre du Soleil, la pluie ne tombe pas et quand elle tombe elle emporte tout, la terre s’en va, et les gens s’en vont. La vie est érodée, les terres sans semences, la famille avec un pied ici et un autre là-bas. Les villages commencent a être seuls, la migration va non seulement vers le nord (aux Etats Unis), mais aussi vers les villes, et dans notre cas, la dépendance à la drogue, les kidnappings, les viols, les copains nettoyant les pare-brises et les cracheurs de feux, semblent être déjà notre pain quotidien. Nous ne savons pas comment nous en sommes arrivés là, mais nous sommes nés ici sur cette terre digne.

C’est ce qui nous a vu naître et nous avons vu comme la vie changeait, nous sommes nés en 1998 sous le nom de CACTUS. Ceux qui nous ont fait naître nous parlent beaucoup de nos premiers pas, mais peu, beaucoup, peut-être même tous, en savent peu sur nous.

Malgré les années, l’histoire est courte, en nos temps et avec nos manières, nous disons que l’année 2006 a fini par déterminer notre direction. Pour beaucoup de raisons, notre travail était par nature silencieux, ou plutôt nous disions juste le nécessaire. Avant 2006, peu de gens nous connaissaient, et les médias de communication encore moins. L’Autre Campagne et l’Assemblée Populaire des Peuples d’Oaxaca, mais surtout, les organisations qui nous ont ouvert leur cœur, nous ont connus et ont écouté notre parole, aujourd’hui nous pouvons les appeler compañeras et compañeros.

Compañeras et compañeros d’Oaxaca, du Mexique et du monde, nous voulons aujourd’hui vous dire merci. La solidarité exprimée face au lâche assassinat de notre compañera Alberta (Bety) Cariño Trujillo et de Jyri Antero Jaakkola, nous dit que les frontières n’existent pas, que la solidarité est ce qui unit les peuples, qu’un autre monde construit à partir d’en bas est possible.

Et comme preuve que les frontières sont des séparations illusoires, il y a toutes les lettres que nous avons reçues de Finlande, de France, de Grèce, d’Espagne, de Suisse, du Pays Basque, d’Allemagne, d’Italie, de Belgique, de toute l’Europe et aussi les lettres que nous avons reçues de notre Amérique, de Colombie, d’Équateur, du Pérou, d’Argentine, du Brésil, du Guatemala, du Honduras, des Etats-Unis et du Canada, et de beaucoup d’autres dignes coins de ce monde. En ouvrant chaque lettre, nous sentions que nous ouvrions un chemin vers la justice, que depuis chaque coin du monde notre lutte est votre lutte.

La mort nous fait mal, aujourd’hui plus que jamais, mais la douleur, est notre rage la plus digne contre l’injustice. Nous sommes ici et nous n’oublions pas, que depuis 2006 ils ont cherché à nous faire taire, nous n’oublions pas les 20 compañeros mixtèques qui ont été réprimés en novembre 2006, envoyés à la prison de Nayarit ; nous n’oublions pas non plus les innombrables perquisitions dans nos bureaux ou les menaces contre notre compañera Bety, lui disant qu’ils allaient lui couper la langue ; ou la nuit de décembre où ils ont tué notre compañero Plácido Abraham López Castro dans la Communauté de San Pedro Yosotatu ; ou avril 2008, quand Tere et Feli ont été assassinées… chaque jour la douleur s’est accrue et les injustices s’accumulent.

Mais la lutte des peuples pour l’autonomie et l’autodétermination a été renforcée il y a 16 ans. Depuis 2001, lorsque la classe politique n’a pas reconnu les accords de San Andres et a trahi les peuples indigènes, diverses expressions d’autonomie sont nées et la parole des peuples a ouvert un chemin pour la construction d’un monde digne et juste.

Depuis sa naissance, CACTUS a effectué son travail dans la région mixtèque, pour permettre la construction, avec les peuples indigènes de la région, de conditions de vie dignes et justes. C’est ce qui a poussé l’organisation à engager des initiatives de type communautaire, à la demande des communautés. C’est le cas de la commune autonome de San Juan Copala, qui comme chacun le sait, est née durant l’année 2007. Les compañeros nous ont demandé d’appuyer la formation pour la construction d’une radio communautaire, qui aura ensuite été connue comme « la Voix qui brise le silence ». Quelques mois plus tard, le meurtre des nos compañeras animatrices Tere et Feli, nous a rapprochés encore plus, puisque face à ce crime nous ne pouvions rester muets. Pour cela et depuis lors, nous réclamons justice.

A travers les communiqués émis par la commune autonome, nous avons été informés de la gravité de la situation à laquelle ils faisaient face. Dès novembre 2009, des meurtres ont commencé à être dénoncés. Ce contexte grave, nous a fait prendre part, avec d’autres organisations de l’État d’Oaxaca et des observateurs internationaux, à la caravane humanitaire du 27 avril dans laquelle notre compañera Bety Cariño a été brutalement assassinée.

Ce terrible fait ne peut pas rester impuni, à deux mois de ce crime terrible, nous continuerons à réclamer justice, et nous exigeons que les responsables physiques et intellectuels du meurtre de Bety et de Jyri soient punis.

Aujourd’hui, nous voulons dire aux compañeros internationaux et mexicains que, même si le gouvernement cherche à criminaliser la solidarité, notre cœur et notre conviction sont toujours présents. Les intimidations n’ont pas cessé, ils continuent à nous poursuivre, mais ils ne pourront pas taire notre parole.

Nous combattrons jusqu’à ce que les assassins de nos compañeros Bety et Jyri soient punis, jusqu’à ce que justice soit faite pour les peuples indigènes de ce pays appelé Mexique, et jusqu’à ce que l’Autonomie et l’Autodétermination de la Commune Autonome de San Juan Copala et de tous les Peuples Indigènes en résistance soient respectées.

Les jours passent comme d’habitude sur la Terre du Soleil, mais maintenant sur notre CACTUS fleurit une Pitaya Rouge.

Bety Vit !

« Semant des Rêves, Récoltant des Espoirs »

CACTUS Centre d’Appui Communautaire Travaillant Unis

Juin 2010.

http://cactusoaxaca.wordpress.com/

Vous pouvez consulter une rubrique en français avec des vidéos sous-titrées

sur la caravane du 27 avril 2010, sur le site de

http://liberonsles.wordpress.com

Rubrique Oaxaca : Caravane du 27 avril 2010

Centre d’appui communautaire travaillant unis CACTUS

« Semant des Rêves, Récoltant des Espoirs »

Pour toi notre compañera, notre soeur, qui devient aujourd’hui un guide pour ton peuple Nuu savi*

« Poussons le silence jusqu’à ce qu’il se transforme en parole »

Sous-commandant Marcos

Depuis le pays des nuages, nous partageons avec vous notre parole simple, qui essaie d’arriver à toutes celles et tous ceux qui ont accompagné notre cheminement, et aussi à tous ceux qui ne nous connaissent pas mais se sont solidarisés avec nous depuis chez eux. Nous remercions toutes les initiatives de soutien qui nous invitent à continuer à semer des rêves pour que quand viendra le temps juste, nous récoltions des espoirs.

Ceux qui sont arrivés sur ces terres dans les années 90, et qui plus tard ont fondé avec d’autres le Centre d’Appui Communautaire Travaillant Unis, nous disent :

« CACTUS est né de la nécessité de donner une réponse plus adéquate à la réalité de la région mixtèque, à sa problématique et à sa richesse culturelle, à partir d’un point de vue plus social et politique. Né juridiquement comme Association Civile et pensé comme une organisation qui irait en enrichissant sa vision politique et son action par un engagement de plus en plus politique venant des communautés, c’est à dire, avec la participation principale des populations organisées. »

Ces années ont été difficiles, par dessus tout, il a été difficile de maintenir l’engagement pris depuis le début : « enrichir la vision et l’action avec la participation principale des communautés » nombreuses sont les façons et les manières de travailler qui au fur et à mesure se sont transformées, en cherchant notre chemin, en cherchant des stratégies et des moyens de nous transformer en communauté.

L’année qui définit CACTUS, est peut être 2006, au travers de l’APPO et de l’Autre Campagne. Cependant 2010 restera l’année de la pire tragédie que nous ayons vécue. L’assassinat de notre compañera Bety nous a arraché la possibilité de continuer ce projet politique de la main de celle qui, par son exemple et sa lutte, nous a amené à pousser le silence jusqu’à ce qu’il se transforme en parole. Son souci pour l’égalité des genres, l’amenait à interrompre des réunions pour dire que la participation des femmes manquait, cela ne l’éloignait pas des fêtes du mois d’août à Chila, sa terre natale, cela ne l’empêchait pas de danser et de crier « ils ont peur de nous parce que nous n’avons pas peur d’eux »

La joie de son sourire, est aujourd’hui la mémoire qui guidera CACTUS. A plus de trois mois de l’assassinat de Bety, nos efforts se concentreront sur notre ré-organisation, pour remettre en place le travail et le chemin à suivre, parce que nous croyons que cela sera le meilleur hommage que pouvons offrir à notre sœur assassinée, continuer sur le chemin de l’autonomie et de l’autodétermination des peuples.

Nous voulons partager avec vous le fait que nous avons passé un moment difficile, surtout parce que nous étions « presque » sur le point de décider que CACTUS ne continuerait pas son travail, c’est pour cela que ce temps a été un temps de réflexion, qui nous a amenés à une restructuration de notre équipe opérationnelle et de notre façon de travailler.

Peut-être tout ceci est difficile à comprendre, cependant, pour nous cette étape est fondamentale car nous ne pouvions pas continuer sans avoir une idée claire du chemin que suivra CACTUS, nous pensons que beaucoup parmi vous se sont posé la question, Qu’est-ce qui est en train de se passer avec CACTUS ? Nous croyons qu’à partir de ce moment précis une nouvelle étape commence, guidés par le travail réalisé par le compañero Omar et la compañera Bety à l’intérieur du collectif .

Cette autre étape de CACTUS, continue sous quatre horizons de travail. Ainsi nous avons décidé de nommer une coordination pour chaque horizon de travail de la façon suivante :

Économies Communautaires, Maria Antonia Izaguirre

Éducation pour l’autonomie, Camilo Gomez et Eva Galvez

Communication Indigène et Communautaire, Oscar Gonzalez

Souveraineté Alimentaire, Elvia Contreras

et une coordination générale de la façon suivante :

Administration, Rebeca Flores

Trésorier, Elvia Contreras

Coordination Générale, Fernando Urbano

Par ce communiqué nous annonçons que nous entreprendrons des initiatives pour réclamer justice pour Bety, sans oublier l’exigence de justice pour Jyri Jaakola. Ces actions se réaliseront dans le cadre de l’horizon des Droits Humains pour la Dignité et la Justice.

Ceci est notre parole, nous continuons à croire que c’est le temps des peuples et que notre simple effort continuera pour la construction de l’autonomie et de l’autodétermination.

Nous sommes toujours là, les CACTUS, les pieds bien ancrés au sol, la tête haute, digne, le cœur ardent… « Semant des Rêves, Récoltant des Espoirs »

Fernando Urbano

Coordination Générale

Août 2010

*« Mixtèques » signifie « peuple des nuages » en nahuatl.

La Mixteca est une zone regroupant les États mexicains de Oaxaca, Guerrero et Puebla.

Vous pouvez consulter une rubrique en français avec des vidéos sous-titrées

sur la caravane du 27 avril 2010, sur le site de

http://liberonsles.wordpress.com