Nous publions ci-dessous la traduction d’un article de Communist Internationalist, organe de presse du CCI en Inde.

Deux cent cinquante mille travailleurs du jute, dans la région de Calcutta, sont entrés en grève fin 2009 jusqu’en 2010 pour obtenir de meilleurs salaires, le même statut à durée indéterminée que celui du plus grand nombre de travailleurs sous contrat, des prestations de retraite et d’autres questions liées à leurs conditions de vie et de travail. Avant tout, ils se sont mis en grève pour obtenir leurs arriérés de salaire, pour contraindre les patrons à leur octroyer une assurance-santé, des fonds de prévoyance et pour supprimer des amputations qui avaient été prélevées sur leurs salaires avec l’accord du gouvernement. Le 12 février 2010, après deux mois de grève, la cabale des syndicats a ordonné aux travailleurs de retourner au travail sans qu’ils aient pu obtenir des concessions du patronat. De plus, ce recul a ouvert la voie à d’autres attaques contre la classe ouvrière.

La grève annuelle des ouvriers du jute

Cette grève des travailleurs du jute n’est pas la première. Ces derniers se sont souvent mis en grève. Il y a eu des grèves importantes en 2002, en 2004, une grève de 63 jours en 2007 et 18 jours de grève en 2008. La plupart des efforts des travailleurs pour résister aux attaques ou obtenir quelques concessions ont été déjouées par les patrons et les syndicats.

Les origines de ces efforts désespérés des travailleurs du jute de se battre encore et encore se trouvent dans leurs dures conditions de travail et dans les efforts des syndicats staliniens et des autres syndicats et partis pour utiliser la violence et la répression contre les travailleurs. La plupart des usines de jute sont ainsi confrontées à des troubles sociaux récurrents.

Les travailleurs du jute ont des salaires extrêmement bas. Même les travailleurs en contrat à durée indéterminée obtiennent seulement autour de 7000 roupies (150 $) par mois. Dans chaque usine, plus d’un tiers des travailleurs sont temporaires ou contractuels et reçoivent moins de la moitié du salaire des travailleurs en contrat à durée indéterminée, soit environ 100 roupies (2.2 $) par jour. De plus, ces travailleurs sous contrat sont payés uniquement les jours où ils travaillent. La plupart de ces travailleurs temporaires ont passé toute leur vie active dans la même usine, sans jamais obtenir un contrat à durée indéterminée, puisque cela ne convient pas aux patrons. Souvent, les travailleurs, permanents et temporaires, ne reçoivent pas le paiement intégral de leur salaire et de leurs primes tous les mois. Lorsque les retards de salaires et d’indemnités s’accumulent ceux-ci ne sont parfois pas payés pendant des années. Même les déductions légales du salaire des travailleurs que les patrons font pour l’assurance maladie et les fonds de prévoyance ne sont parfois pas déposées auprès des autorités compétentes. Même lorsque les conventions collectives ont été signées, celles-ci ne sont pas honorées par les patrons. Les employeurs ont purement et simplement recours au lock-out et au non-paiement des salaires pour contraindre les ouvriers à être plus productifs. Les patrons ont pu agir ainsi en toute impunité en raison de la collusion avec le gouvernement du Front de Gauche, les syndicats staliniens et les autres syndicats. Le gouvernement, qui est partie prenante de la plupart des accords, refuse d’appliquer sa propre législation du travail.

Cela a donné naissance à une colère profonde des ouvriers du jute à l’égard des syndicats qui, à plusieurs reprises, s’est traduite par des grèves. L’une des expressions les plus radicales de cette colère a été la lutte des travailleurs du jute aux usines de Victoria et de Kanoria à Calcutta au début des années 1990. A cette époque, les ouvriers en grève ont attaqué et détruit les bureaux des syndicats de gauche comme de droite et agressé leurs dirigeants syndicaux. Les travailleurs de Kanoria ont boycotté tous les syndicats existants et occupé l’usine pendant plusieurs jours.

Mais le Bengale occidental a longtemps été aussi une jungle gauchiste qui n’a pas seulement été gérée pendant 30 ans par des hyènes staliniennes mais qui a de nombreux partis gauchistes, groupes, ONG et « intellectuels » d’opposition. Les efforts des travailleurs des usines Victoria et Kanoria pour défier les syndicats ont été rapidement dévoyés par ces gauchistes d’opposition et diverses autres personnes qui ont démobilisé les travailleurs avec des slogans mystificateurs. Cela a été une tragédie permanente pour les travailleurs du jute au Bengale Occidental et cela souligne la nécessité du développement d’un courant prolétarien au milieu des luttes ouvrières.

La grève actuelle

Une vingtaine de fédérations syndicales ont été contraintes d’appeler à la grève actuelle le 14 décembre 2009 sous la pression grandissante des travailleurs du jute après l’échec de cinq cycles de négociations tripartites impliquant les dirigeants de la section du Bengale occidental du Parti Communiste d’Inde (Marxiste) [CPI(M)], leaders du Front de Gauche actuellement au gouvernement. Les travailleurs en grève, non seulement exigeaient de meilleurs salaires, mais surtout les arriérés de salaires et le dépôt des cotisations déduites de leur salaire depuis longtemps. En moyenne, les arriérés dus à un travailleur vont jusqu’à 37 000 roupies ce qui équivaut à six mois de salaire. Une telle retenue à la source est purement du vol. En outre, en raison du non enregistrement des cotisations, les travailleurs se voient souvent refuser les soins de santé et les prestations de retraite.

Comme la grève se poursuivait, l’Etat du Bengale et le gouvernement central ont été soumis à la pression des employeurs pour qu’ils interviennent. D’après Business Standard, les groupes d’affaires ont craint que la grève puisse entraîner un regain de combativité dans d’autres secteurs ouvriers qui avaient été touchés par la dégradation de l’économie de l’Inde. En outre, les patrons perdaient de l’argent. Selon Business Standard, du 16 février 2010, la grève de 61 jours a eu un coût total de 22 milliards de roupies (475 millions de $ US).

Le gouvernement à New Delhi, le gouvernement de l’Etat dirigé par le CPI(M), les autres partis politiques et les syndicats ont collaboré pour saper la grève.

Le rôle des partis politiques

Comme dans un spectacle, tous les partis politiques ont joué à soutenir les travailleurs en grève tout en conseillant en même temps aux syndicats de les contrôler de sorte que les travailleurs restent dans des limites revendicatives ‘raisonnables’. Le Premier Ministre du Bengale occidental, Buddadeb Battacharjee, dont le parti contrôle le plus important syndicat des travailleurs du jute, le syndicat Bengal Chatkal Mazdoor (BCMU), a conseillé à Gobinda Guha, leader du BCMU, ne pas reprendre l’ensemble des revendications des travailleurs. Guha lui-même déclaré à la presse: « Le Premier Ministre a écouté nos revendications lorsque nous l’avons rencontré et a dit qu’il serait difficile de tout obtenir … »

Le parti politique qui a conseillé à ses syndicats d’agir en tant que briseurs de grève contre les ouvriers grévistes était le Trinamul Congress (TMC), bien qu’il se soit pendant longtemps revendiqué comme l’adversaire de la politique libérale du CPI(M). Le TMC a proclamé qu’il ne souscrivait pas aux méthodes « d’interruptions du travail ». Son leader, Mamata Banerjee, essaie déjà de recruter des briseurs de grève pour son parti en sollicitant de l’argent des grandes entreprises.

La combativité ouvrière détournée par les syndicats

Le rôle des syndicats devient évident lorsqu’une lutte ouvrière se généralise. On les voit empêcher les contacts entre travailleurs de différentes usines, falsifier leurs revendications, faire usage du mensonge et de la calomnie pour faire retourner les ouvriers au travail.

La grève actuelle, malgré la colère bouillonnante des travailleurs, a été contrôlée dès le début par les syndicats. En outre, les syndicats ont réussi à maintenir les travailleurs du jute isolés des autres travailleurs de Calcutta et à les amener à être passifs en leur promettant qu’eux, les syndicats, allaient négocier pour que leurs revendications soient satisfaites.

En réalité, les accords conclus entre les patrons, les syndicats et le gouvernement ont été une totale capitulation sous tous les aspects. Non seulement les travailleurs ont obtenu une augmentation de salaire dérisoire, mais même sur leurs arriérés de salaires impayés, il leur a été proposé un rattrapage sous la forme de versements échelonnés sur plusieurs mois. Enfin, une partie de leur salaire actuel, consistant en une prime de “vie chère”, ne sera pas versée sur leur salaire mensuel, mais seulement sur une base trimestrielle.

En outre, les syndicats ont convenu d’appliquer une clause de non-grève pour les trois prochaines années. M. Guha, le leader de BCMU, a déclaré aux médias : « Il n’y aura pas de grève dans les trois prochaines années. » Cette garantie donne aux employeurs les mains libres pour porter de nouvelles attaques sur les emplois, les salaires et les conditions de vie des travailleurs du jute.

Cette trahison des syndicats a laissé les travailleurs, qui n’avaient rien obtenu pendant cette période de grève, emplis de frustration et de colère.

La colère ouvrière explose dans la violence

Quelques jours après la fin de la grève, cette colère a explosé chez les travailleurs qui ont violemment attaqué les syndicats et les patrons.

Le jeudi 4 mars, l’une des usines de jute Jagaddal Jute Mill dans le district North 24 – Parganas a commencé une nouvelle offensive contre les travailleurs. Elle a essayé de transférer le travail accompli par les travailleurs permanents vers des travailleurs contractuels. Les travailleurs ont résisté spontanément, en ignorant les dirigeants syndicaux locaux et ont mis en échec la tentative des patrons. Pour intimider et écraser les travailleurs et introduire plus de coups de canif dans les contrats de travail, le lendemain matin, alors que les travailleurs arrivaient pour le poste du matin à 6h, la direction a fermé les grilles devant les travailleurs et a déclaré la suspension du travail.

Cela a provoqué une onde de choc et de colère parmi les milliers de travailleurs employés par Jagaddal Jute Mill qui étaient restés sans salaire tout au long de la période de grève qui venait de prendre fin. Sans attendre les syndicats et sans rien leur demander, les travailleurs ont décidé de partir en manifestation pour protester contre cette attaque par les patrons. Ils ont exigé que la suspension soit immédiatement retirée et que les travailleurs soient autorisés à se rendre au travail.

Pendant cette période, un travailleur de 56 ans, Biswanath Sahu, est mort d’une crise cardiaque à la suite du choc moral reçu. Cela a naturellement rendu les travailleurs furieux au point qu’ils s’en sont pris à un directeur. Mais la colère principale des travailleurs a été à l’encontre des syndicats. Ils étaient convaincus que les deux syndicats de l’usine, CITU et INTUC, étaient de connivence avec les patrons dans cette dernière attaque à leur encontre et dans la fermeture de l’usine. Les ouvriers en colère ont saccagé les bureaux de CITU et d’INTUC. Ils ont attaqué la maison de M. Singh Barma, leader du syndicat INTUC. Le leader du syndicat CITU, M. Omprakash Rajvar, a été frappé pour avoir défendu la direction. Plus tard, les dirigeants syndicaux et le directeur du personnel n’ont été sauvés de la colère des travailleurs que grâce à l’arrivée d’un important contingent de policiers qui a violemment réprimé les ouvriers à coups de matraques.

Bien que nous croyions que cette violence n’a pas fait avancer la lutte de la classe ouvrière, il ne fait aucun doute que la violence de masse qui s’est manifestée à Jagaddal Jute Mill a exprimé la colère des travailleurs contre les patrons et les trahisons des syndicats.

Comment aller de l’avant ?

L’industrie du jute a déjà été en difficulté et maintenant, comme tous les autres secteurs, elle ne peut échapper à l’impact de l’intensification de la crise mondiale. Les propriétaires d’usines sont déterminés, non seulement à maintenir leurs profits, mais à les accroître constamment et ils ne peuvent y parvenir que par une exploitation intensifiée et des attaques sur les conditions de vie et de travail des ouvriers. Les travailleurs du jute ont une très longue tradition de lutte. Ils ont souvent mené des luttes combatives et héroïques. Mais comme le montrent leur grève récente et les nombreuses grèves précédentes, les travailleurs du jute ne peuvent se défendre et faire avancer leurs luttes qu’en s’unissant à d’autres travailleurs appartenant à d’autres secteurs et industries. En outre, leur méfiance à l’égard des syndicats ne peut pas se limiter à la passivité ou prendre la forme d’une violence anarchique. Ils doivent développer une conscience claire du rôle perfide des syndicats et essayer de prendre leurs luttes hors du contrôle des syndicats et dans leurs propres mains. C’est la seule façon d’aller de l’avant.

Nero – Courant Communiste International