Le « tea party » : l’idéologie capitaliste en décomposition
Catégorie : Global
Thèmes : Elections
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par Internationalism, organe de presse du CCI aux Etats-Unis.
Depuis la débâcle des élections présidentielles de 2000, qui ont vu l’entrée en fonction de la souvent incompétente et maladroitement belliqueuse administration Bush, Internationalism a régulièrement souligné la difficulté croissante de la classe capitaliste américaine à manipuler son appareil électoral afin de parvenir à un résultat politique optimal pour servir les intérêts de l’ensemble du capital national.
Toutefois, avec l’élection de Barack Obama en 2008, la bourgeoisie américaine semblait enfin avoir rejeté les années Bush loin derrière elle. La nouvelle administration était censée relancer la confiance dans le processus démocratique et électoral, redonner vie à la réputation des États-Unis dans l’arène mondiale et adopter une politique et une législation qui permettent de résoudre les problèmes urgents auxquels est confronté le capital national, que l’administration Bush avait soit ignorés, soit bâclés.
Pourtant, même avant la victoire électorale d’Obama, un nouveau mouvement politique a commencé à émerger, déterminé à faire dérailler son élection et à entraver ou à démolir son administration s’il prenait le pouvoir. Ce mouvement a évolué aujourd’hui sous la forme d’un parti politique soi-disant « alternatif » : le dénommé « Tea Party ». Dans cet article, nous traiterons successivement de l’apparition de ce phénomène au cours de la campagne présidentielle puis au cours de la première année de l’administration Obama et, enfin, nous tenterons de tirer quelques conclusions préliminaires sur l’importance de ce mouvement dans la vie de la bourgeoisie américaine.
A l’origine, émanant de la frange la plus à droite du spectre politique américain (comme les groupes blancs de milices racistes, les activistes anti-impôts hyper-liberaux, les diverses composantes du fondamentalisme chrétien, les activistes anti-immigration et diverses variantes d’autres mouvements d’extrême droite), des rumeurs calomnieuses – qui se sont propagées via les radios de droite et Internet – commencent à circuler pendant la campagne présidentielle, selon lesquelles Obama était en réalité un agent des musulmans, envoyé pour prendre le contrôle du gouvernement fédéral et entraîner subrepticement la capitulation de l’Amérique devant les terroristes. D’autres rumeurs tout aussi ridicules affirmaient que l’élection d’Obama en tant que président était illégitime car en réalité il serait né en Indonésie, violant l’exigence de la Constitution selon laquelle le président doit être un citoyen américain ‘de naissance’. Ces proclamations bizarres de la frange d’extrême droite commencent à exercer un sérieux poids dans la campagne électorale de 2008, dans la mesure où le Parti Républicain encourage tacitement ces rumeurs avec la pleine coopération de médias à scandale. Malgré l’évidence qu’Obama était né à Hawaï et les nombreuses déclarations visant à réaffirmer sa foi chrétienne, les sondages d’opinion effectués dans le mois précédant l’élection ont toujours montré qu’un pourcentage significatif de l’électorat croyait qu’Obama était vraiment musulman ou une personne née à l’étranger et donc inéligible à la présidence.
Comme la campagne électorale de 2008, qui s’était échauffée au cours de l’été, retombait, le candidat de la droite républicaine, John McCain, et sa colistière Sarah Palin, gouverneur ultra-libéral de l’Alaska – une débutante souvent politiquement peu fiable – ont redonné vie à ces proclamations, ce qui a immédiatement orienté la campagne électorale vers une succession de coups bas polémiques. A partir de l’été jusqu’à l’élection en novembre, la ligne officielle républicaine a attaqué Obama en tant que ‘socialiste’ et ‘marxiste’ qui, pendant ses activités quotidiennes ‘d’activiste communautaire’ dans les zones urbaines de Chicago, s’était associé à des terroristes de la Nouvelle Gauche. Juste au moment où le système bancaire américain s’effondrait dans le sillage de la débâcle du marché immobilier et des ‘subprimes’, la campagne présidentielle était définie par le Parti Républicain comme une tentative de Barack Obama de se faire le promoteur d’un ‘gouvernement fortement socialiste’!
Cependant, Obama a toujours bénéficié du soutien d’une fraction déterminée très importante de la classe dirigeante américaine, qui avait reconnu l’impérieuse nécessité d’une rupture avec l’ère Bush. Cette fraction a été aidée dans ses efforts pour gagner de nombreux éléments plus incertains par le quasi-effondrement du système bancaire américain, à peine quelques semaines avant l’élection. Cela a changé le débat dans la campagne, donnant à Obama l’élan ultime pour remporter l’élection. Ce canard boiteux, l’administration Bush, avait orchestré un renflouement massif de Wall Street et des banques par le gouvernement fédéral, qui avait prévenu un résultat catastrophique sur le court terme. Cependant, ce renflouement s’était avéré extrêmement impopulaire auprès du grand public et un thème ‘Wall Street contre Main Street’ est apparu dans la campagne présidentielle, ce qui a donné un avantage certain au démocrate Obama (en dépit, d’ailleurs, de son soutien ouvert au renflouement). Face à la prise de conscience qu’une crise économique aux proportions incalculables les attendait, de nombreux citoyens – qui, autrement, auraient pu soutenir McCain et Palin pour des motifs culturels et sociaux – se sont pincés le nez et ont décidé de voter pour le démocrate et pour qu’il soit bientôt le premier président ‘Afro-Américain’.
Après l’élection, la réaction de la droite
Pendant que les fractions dominantes de la bourgeoisie célébraient la victoire d’Obama en novembre et son intention déclarée de résoudre de nombreux problèmes urgents auxquels était confronté l’Etat américain (comme par exemple le système de soins et de santé qui a des coûts élevés pour de moins bons résultats par rapport aux autre pays industrialisés), la droite complotait son prochain renversement. Quelques semaines après son investiture est apparu un nouveau défi pour Obama et les démocrates, né sur le fumier idéologique des arguments mensongers de la propagande anti-Obama déversés pendant la campagne présidentielle : le dénommé ‘Tea Party’.
Le Tea Party se vante de son appel ‘populaire’ pour s’opposer ouvertement au renflouement de Wall Street et punir les banquiers avides tout en luttant en même temps contre la croissance du gouvernement fédéral, qui crée des dépenses à des fins électoralistes et augmente les impôts, et de s’opposer au « socialisme » et au « marxisme » de la nouvelle administration Obama. Sous l’impulsion des radios de droite et de la ‘blogosphère’ Internet, et même avec la légitimité accordée par les politiciens républicains, y compris Sarah Palin, le Tea Party s’est transformé au cours de la dernière année en une force politique sérieuse de la politique américaine.
Il a été dit que son idéologie a joué un rôle majeur dans la victoire des républicains dans la course sénatoriale au Massachusetts en février 2010, qui a vu le siège occupé depuis longtemps par Edward ‘Ted’ Kennedy passer dans des mains républicaines, ce qui a coûté aux démocrates la majorité au Sénat américain. De même, les candidats de la droite républicaine ont récupéré ses thèmes idéologiques dans la perspective des élections au Congrès en 2010. Quelques candidats inspirés par le Tea Party ont lancé des défis préliminaires pour déloger des républicains bien établis, y compris le candidat aux présidentielles de 2008, John McCain.
La campagne autour de la ‘réforme de la santé’
Cependant, le mouvement Tea Party est des plus célèbres aujourd’hui pour le rôle de premier plan qu’il a joué dans la politique et le cirque médiatique autour des efforts d’Obama sur la « réforme » des soins de santé, qui a dominé la politique intérieure américaine pendant des mois. Le Tea Party a été à l’initiative des manifestations qui ont eu lieu dans tout le pays, pour protester contre ce qu’il considère comme une ‘prise de contrôle par le gouvernement’ des soins de santé énoncés dans le plan d’Obama pour contraindre tout le monde à acheter une assurance de santé privée, ayant un but lucratif pour les compagnies d’assurance et un coût global, qui, selon eux, aggravera la dette nationale. Ces manifestations sont souvent couvertes de slogans provocateurs dénonçant « l’Obamanisme » et attisant la peur de la législation qui serait censée créer des « panneaux de la mort », qui permettraient aux bureaucrates du gouvernement de décider quand il faut « tirer la chasse d’eau » sur des personnes âgées et sur des malades en phase terminale. Face à la pression de la base de l’aile droite du parti maintenant dominé par l’idéologie Tea Party, les congressistes et les sénateurs républicains ont repris de nombreux slogans du Tea Party, qui désignent la législation de la « réforme » des soins de santé comme ‘la perte de la liberté’ en Amérique.
Maintenant que la législation sur la santé a été adoptée, les républicains s’engagent à la faire abroger à la première occasion, tandis que la base activiste du Tea Party adresse des menaces de mort aux membres démocrates du Congrès, fracasse les fenêtres du bureau du Parti Démocrate et fait le vœu de « résister » à une législation qu’elle appelle une « atteinte à la liberté » par « tous les moyens nécessaires ». Pendant ce temps, les dirigeants démocrates protestent contre le « déclin du sens civique » dans la politique, condamnent leurs collègues républicains pour n’avoir pas suffisamment dénoncé la rhétorique dangereuse de la droite, et expriment leurs craintes pour leur propre sécurité. La politique intérieure américaine a pris, ces jours-ci, un virage particulièrement brutal et hideux, retournant aux pires moments des années 1960-70. Bien que ne s’attendant pas ouvertement à la réapparition du fascisme dans un avenir proche, un député démocrate a prédit un virage dangereux dans la politique américaine, et il pense que les démocrates devraient essayer de faire passer la « réforme » sur l’immigration de la même manière qu’ils ont fait la législation sur les soins de santé1.
Ainsi, quelle signification devraient donner la classe ouvrière et ses minorités révolutionnaires à l’évolution tourmentée du Tea Party et de son idéologie particulièrement éclectique et souvent contradictoire ?
Une analyse beaucoup plus approfondie est nécessaire pour bien comprendre l’évolution de la politique américaine, dans quelle mesure la décomposition a infesté la vie politique de la bourgeoisie et les effets complexes des campagnes idéologiques bourgeoises sur le mécontentement et la résistance de la classe ouvrière. Toutefois, il est possible d’offrir une analyse préliminaire du phénomène Tea Party d’une perspective politique prolétarienne et d’en tirer certaines implications par rapport à la lutte ouvrière contre le capital.
Le Tea Party reflète une décomposition bien réelle de l’idéologie bourgeoise confrontée à une incapacité croissante de cette classe à gérer ses propres affaires politiques. Confronté sur sa droite au Tea Party et à l’infiltration dans ses rangs de nombreux activistes de ce parti, le Parti Républicain est de plus en plus l’expression d’une idéologie d’extrême-droite qui cherche à ôter toute sa force au gouvernement fédéral en ramenant le pouvoir au niveau de chaque Etat. Cette idéologie est fermement opposée à la politique économique keynésienne pour répondre à la crise, y compris à l’extension des prestations de chômage pour les travailleurs licenciés.
Bien que cette idéologie ait une longue histoire dans la vie de la bourgeoisie américaine qui remonte à la guerre de Sécession et au débat sur l’esclavage (ou même plus loin puisque l’accent sur ‘les droits des Etats’ remonte à la fondation de la République), aujourd’hui elle est totalement incompatible avec le rôle des Etats-Unis en tant que seule superpuissance impérialiste restante et les besoins de l’Etat national pour mettre en œuvre une politique visant à gérer l’approfondissement toujours croissant de la crise économique2. Bien que cette idéologie ait pu auparavant être déployée de façon stratégique par des éléments du Parti Républicain pour atteindre des objectifs politiques immédiats, sans intention de les mener jusqu’à leur conclusion, cette idéologie de droite assume de façon croissante son caractère propre et autonome, malgré les besoins pratiques immédiats de l’Etat national.
Dans une certaine mesure, la politique intérieure américaine est de plus « idéologisée » de telle sorte qu’elle a une incidence négative sur la capacité de l’Etat à gérer efficacement les intérêts du capital national. Cela reflète à la fois la difficulté, qui va en s’approfondissant, de l’Etat américain sur la scène internationale et l’aggravation de la décomposition sociale qui se révèle dans le « chacun pour soi » de la vie sociale et politique et l’épanouissement des idéologies rétrogrades illustré par la droite chrétienne et le mouvement Tea Party3.
Malgré la réalité d’un Tea Party comme force politique et son infiltration dans les rangs du Parti Républicain, la bourgeoisie américaine – à travers son appareil médiatique – est parfaitement capable d’exploiter ce mouvement de plusieurs façons pour désamorcer le mécontentement de la classe ouvrière par rapport à la crise économique. Tout d’abord, les images permanentes des médias montrant des rassemblements de supporters enragés du Tea Party qui arborent fièrement des T-shirts et des pancartes agrémentés de phrases hautes en couleur, comme «le Marxisme est une Obamanation » et « je n’ai pas voté pour le socialisme », sont dans la simple continuité de la longue campagne idéologique contre le marxisme, le communisme et le mouvement ouvrier qui ont été identifiés une fois pour toutes avec le totalitarisme stalinien. Aujourd’hui, la campagne identifie le marxisme avec la politique keynésienne capitaliste d’Etat d’Obama. L’objectif est ici d’associer la politique prolétarienne avec le capitalisme d’Etat et les cadeaux d’entreprises pour détourner la classe ouvrière de son propre terrain de classe et vers une attaque simpliste contre « l’Etat » au nom d’une mythique « liberté » primordiale américaine, faisant référence à la proclamation d’Indépendance de 1776.
Deuxièmement, et de façon complémentaire par rapport à l’objectif premier, la campagne médiatique autour du Tea Party cherche à attiser la peur chez ceux qui rejettent cette idéologie, mais qui restent en colère et préoccupés par la crise économique. Le but ici est d’enrôler ces travailleurs autour d’une défense de l’Etat fédéral, d’une politique autour du capitalisme d’Etat, d’une idéologie démocratique et d’une défense de l’administration Obama, soi-disant menacée par une tendance de plus en plus agressive, raciste et tout à fait irrationnelle et proto-fasciste au sein du Tea Party.
Bref, que celui-ci soit présenté comme une grande menace ou une force positive pour la liberté, les travailleurs vont être appelés à prendre parti dans une lutte de plus en plus acharnée entre des factions de la bourgeoisie qui, en termes historiques, sont également anti-ouvrières et réactionnaires. Il s’agit d’un piège dangereux qui ne peut être désamorcé par les travailleurs que s’ils développent leurs luttes4.
Avec son individualisme fervent, son opposition au bien-être social et aux immigrés, l’idéologie du Tea Party constitue essentiellement un rejet de la solidarité sociale, qui est le sang de la vie de la classe ouvrière qui combat sur son propre terrain de classe, pour la défense de ses propres conditions de vie et de travail5. Cela seul peut fournir l’antidote nécessaire à tous les poisons idéologiques émanant de ce système social à l’agonie.
Henk – Courant Communiste International
1 House Democratic Majority Whip, James Clyburn (Democrat, South Carolina) on ‘Hardball With Chris Matthews’ MSNBC. 24 mars 2009.
2 Bien que l’on pourrait faire valoir que l’argumentation républicaine au sujet de la dette nationale reflète une prise de conscience croissante bien réelle au sein de la bourgeoisie que la tactique keynésienne, si elle peut apporter un soulagement à court terme, ne fait que creuser un tombeau encore plus profond pour l’économie nationale sur le long terme.
3 Il faut faire attention de ne pas exagérer ce phénomène. Malgré le fait que pas un seul républicain n’a voté pour la législation, l’Etat a encore été capable de faire passer la ‘réforme’ des soins de santé par d’autres procédures parlementaires, en évitant la perspective d’une obstruction républicaine au Sénat. En outre, malgré l’opposition du sénateur républicain Jim Bunning, particulièrement rétif, du Kentucky, l’État a trouvé un moyen de faire passer une série d’extensions ‘miraculeuses’ de dernière minute de prestations chômage (chargées évidemment sur la carte nationale de crédit !).
4 Ironie du sort, malgré le vitriol qu’ils ont déversé sur le ‘socialisme’ et la ‘prise en charge des soins de santé par le gouvernement’, de nombreux partisans du Tea Party ont bénéficié d’une couverture par l’assurance-maladie, ce qui a conduit à la vision bizarre de manifestants arborant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire « Gouvernement, bas les pattes de mon assurance-maladie ! »
5 En conséquence, une grande partie de la campagne médiatique concernant le Tea Party est d’identifier la solidarité sociale, la compassion et l’empathie pour les autres avec l’État, comme si seul un Etat fort pouvait garantir ces valeurs contre la menace émanant d’une droite de plus en plus belliqueuse et sociopathe.
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