Partout dans le monde, les luttes ouvrières se multiplient. En Grèce, en Italie, en Allemagne, en Espagne, en Islande, en Grande-Bretagne, en Irlande ([1])…, les travailleurs et les retraités, les chômeurs et les étudiants, précarisés, tentent de résister. Subissant de plein fouet les bourrasques de la crise économique, ils se battent pour leur dignité en refusant de voir encore leurs conditions de vie se dégrader.

Cette volonté de se battre et de ne pas se laisser faire est particulièrement prégnante en France. Le mouvement de grève générale qui frappe la Guadeloupe depuis plusieurs semaines en est la plus forte expression. Et en métropole aussi la colère gronde. Hier, les lycéens étaient dans la rue contre la loi Pécresse. Aujourd’hui, ce sont les enseignants-chercheurs et les étudiants qui refusent les coupes claires dans les budgets et les effectifs universitaires. Il y a encore eu 10 000 manifestants à Paris le jeudi 26 février. Le “climat social” – comme disent les experts et les journalistes – est particulièrement tendu. La bourgeoisie française en a parfaitement conscience et c’est pourquoi elle tente de désamorcer les conflits à chaque fois qu’elle le peut. Elle a ainsi reporté la réforme des lycées d’une année et promis qu’il n’y aura pas de suppression de postes dans les universités en 2010. Ces reculs montrent que la bourgeoisie a peur de voir une lutte faire tâche d’huile, qu’elle s’étende, que la solidarité se développe entre les différents secteurs de la classe ouvrière et entre les générations ([2]). La mobilisation des étudiants et des travailleurs au printemps 2006 contre le CPE est un souvenir bien trop frais à son goût.

Oui, il y a un véritable ras-le-bol. Oui, la combativité ouvrière est en train de se développer. Oui, il y a une potentialité de convergence des luttes dans l’avenir. Aux quatre coins de l’hexagone éclatent des petites grèves localisées. Ainsi, entre autres exemples, les employés de Caterpillar France sont actuellement mobilisés contre 733 licenciements ([3]). Cinq cents employés ont manifesté à Grenoble le jeudi 26 février et ont commencé à organiser l’occupation des deux usines situées à Grenoble et à Echirolles (en chômage partiel depuis le 17 décembre dernier !). Ce type de réaction, ce refus d’être considérés comme des kleenex que l’on utilise puis que l’on jette quand on n’en a plus besoin, se multiplient un peu partout. Mais bien plus significative encore fut la participation record à la journée de mobilisation du 29 janvier. La présence dans les rues d’environ 2 millions de manifestants avait alors montré que les ouvriers ne veulent pas lutter chacun dans leur coin, dans “leurs” usines ou “leurs” bureaux, mais au contraire se retrouver ensemble, qu’ils soient du public ou du privé, du secteur automobile ou de la fonction publique hospitalière, retraités, chômeurs ou étudiants.

Et ce sentiment d’être “tous dans la même galère” ne va probablement que s’amplifier. La crise économique fait des ravages. La pandémie du chômage n’épargne aucune famille ouvrière : pour le seul mois de janvier, le nombre de chômeurs a augmenté de 90 300, du jamais vu depuis 1991, date de la création de ce type de statistiques. Invité de France 3 le 26 février au soir, le secrétaire d’Etat Laurent Wauquiez a avoué qu'”on va avoir des chiffres comme ça sur plusieurs mois”. Des “chiffres comme ça” signifient concrètement pour la classe ouvrière 1 million de chômeurs supplémentaires en 2009 ! Et les annonces de plans sociaux qui se succèdent (le Monde daté du 27 février titrait “Pourquoi le chômage va encore augmenter : de nombreux plans sociaux annoncés ne sont pas encore mis en œuvre”) laissent présager d’un avenir bien plus sombre encore.

“Comment transformer les “manifestations-balades” en un moment pour tisser des liens dans la lutte ?”

Consciemment ou inconsciemment, la même question trotte donc dans toutes les têtes : comment développer les luttes ? Comment faire pour ne pas rester seul et impuissant dans son coin ? Comment tisser des liens avec les autres travailleurs ?

Les syndicats ont parfaitement perçu ce questionnement et ils se sont empressés d’y apporter leur réponse : les journées d’actions syndicales. Après celle du 29 janvier, les syndicats se sont donnés officiellement pour but de “mobiliser plus fortement” encore le 19 mars ([4]). Et surtout, ils crient haut et fort leur unité retrouvée : “Nous sommes tous unis et nous allons tous dans le même sens” a ainsi clamé, le 23 février, Gabrielle Simon (CFTC) au nom de l’intersyndicale (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC, FSU, UNSA et Solidaires) ([5]).

Mais à y regarder de plus près, cette belle unité syndicale ne signifie absolument pas l’unité des ouvriers dans la rue et dans la lutte. Au contraire ! Ce que propose concrètement cette intersyndicale, ce sont des journées de “manifestation-balade” où tout est fait pour que les travailleurs des différents secteurs ne puissent pas discuter entre eux. Officiellement, il s’agit de journées d’action “public-privé” mais dans les administrations, tous les tracts syndicaux insistent pour la défense du “service public”. Les syndicats soulignent l’aspect “interprofessionnel” de leur journée, mais les ouvriers défilent boîte par boîte, sous “leur” banderole (“hôpitaux du 78”, “lycée Montaigne du 92”, “cheminots de Saint-Etienne”, etc.). Chacun est parqué, étiqueté, sans possibilité de discuter avec ceux de la banderole de derrière ou de devant, prié de marcher sans s’arrêter et de reprendre en chœur les slogans crachés par le mégaphone. Et à la fin de la manifestation, là où il pourrait y avoir éventuellement un temps pour débattre, discuter collectivement des perspectives à donner à la mobilisation, tout le monde est prié de se disperser et de ne pas faire attendre les cars syndicaux. D’ailleurs, cette soudaine unité n’est-elle pas suspecte de la part de ceux qui, depuis des années, freinent des quatre fers pour éviter tout rassemblement trop important dans les rues, de la part de ceux qui n’ont cessé de jouer la carte de la division en signant des “accords” branche par branche, entreprise par entreprise, la plupart du temps dans le dos de la classe ouvrière ? Sous les apparences donc, dès qu’on creuse un peu, on s’aperçoit que ces “journées d’action unitaire” distillent encore et toujours le poison syndical de la division.

Pour développer réellement notre unité, nous devons prendre en main nos luttes, ne pas nous en laisser déposséder. C’est à nous de décider, en discutant collectivement, de comment organiser les grèves et les manifestations. Sur les lieux de travail, cela signifie (quand il y en a la possibilité et qu’une grève se déclenche) se rassembler en AG souveraine (comme l’ont fait les étudiants en 2006) et essayer d’aller voir les travailleurs des administrations ou des entreprises les plus proches pour les entraîner dans la lutte et tisser des liens de solidarité. Et surtout, lors de ces journées d’actions syndicales, il faut aller discuter avec les autres manifestants, échanger ce que l’on vit sur les lieux de travail, en restant à la fin, quand le cortège se disperse, pour réfléchir ensemble sur comment poursuivre et développer la lutte, quels mots d’ordre communs mettre en avant. Il faut aussi discuter de comment on perçoit l’avenir, pourquoi il y a une crise économique si violente, et réfléchir à la question : comment peut-on édifier ensemble un autre monde pour mettre fin radicalement à la misère et à l’exploitation capitalistes.

Pawel – Courant Communiste International

[1]) 120 000 fonctionnaires ont manifesté à Dublin, le 21 février, contre le plan d’austérité annoncé par le gouvernement irlandais.

[2]) Un article du Monde, publié sur son site web le 26 février, avait pour titre “Après la crise financière, la guerre civile ?”. On pouvait y lire : “La crise économique va-t-elle dégénérer en violentes explosions sociales ? En Europe, aux Etats-Unis ou au Japon, la guerre civile est-elle pour demain ?”. Ce ton excessif et dramatique révèle surtout à quel point la bourgeoisie a aujourd’hui de nouveau peur de la lutte des classes, à quel point elle est de nouveau hantée par le spectre du communisme.

[3]) Cette entreprise a annoncé, pour 2009, 24 000 suppressions d’emplois à travers le monde, soit près du quart de ses effectifs.

[4]) Yahoo ! Actualités, le 23 février.

[5]) Les Echos Web, le 25 février.