« Si nous faisons éclater les vitrines des banques c’est parce que nous reconnaissons leur argent comme une cause majeure de notre tristesse, si nous brisons les vitres des magasins ce n’est pas uniquement parce que la vie est chère, mais parce que la Marchandise nous empêche de vivre, quel qu’en soit le coût. Si nous attaquons la police , ce n’est pas seulement pour venger nos camarades morts mais parce que, entre ce monde et celui que nous désirons, la police sera toujours un obstacle. » Message d’une insurgée grecque : « Pour une nouvelle internationale ».

1 Cela fait un peu plus d’un mois qu’en Grèce a surgi un mouvement dont la spontanéité et la radicalité ont déjà fait trembler les gouvernements d’Europe. Loin de s’en prendre à une réforme, à un gouvernement ou même à la répression policière en particulier, c’est bien l’ensemble du projet de vie que propose cette société qu’il condamne en actes et en écrits. La révolte après le meurtre d’un adolescent de 15 ans a réveillé le sentiment d’oppression contenu dans le cycle monotone de la vie aliénée. A la violence de cette oppression ressentie, et devenue invivable, a répondu la violence des émeutes où les formes matérielles de l’oppression les plus directement accessible sont attaqués (caméras de vidéo-surveillance, police et commissariats, commerces, banques, voitures).

2 « L’homme qui détruit les marchandises montre sa supériorité humaine sur les marchandises. Il ne restera pas prisonnier des formes arbitraires qu’a revêtues son besoin. » Si il y a plus de quarante ans ces propos passer pour fantaisistes, aujourd’hui ils deviennent une évidence pour ceux qui sont décidés à mettre à bas cette société et une vérité à cacher pour ceux qui y ont plus à perdre qu’à gagner. Les coups portés à des centaines de commerces brûlés ou pillés à travers toute la Grèce ne peuvent être compris que sous cet angle. Ces attaques de plus en plus fréquente à travers le monde témoignent d’une volonté de trouver prise sur ce qui nous échappe, de stopper la tentative de soumission intégrale aux intérêts du capital et pour cela brûler sa production, cette puissance étrangère qu’on nous demande partout d’adorer : la marchandise. C’est cet acte de sécession, nécessairement accompagner d’un affrontement avec les forces de police, contre un monde dont le principe d’unité se réalise dans la consommation passive du vécu qui permet de recréer des solidarités et des complicités authentiques. Le temps consommé, vécu illusoirement, qui se déroule autour de la répétition des mêmes activités où l’ennui et la lassitude trouvent toujours une place de choix, se dissipe pour laisser la place à un temps ressenti comme irréversible où tout peut se jouer et donc où toutes les règles respectés hier peuvent voler en éclat.

3 La plus grande qualité de ce mouvement est d’avoir su traduire en paroles ce que ces actes étaient en faits. Pour la première fois des émeutiers s’attaquant à des magasins et à des banques reconnaissent clairement dans leur geste ce qu’il est essentiellement : une révolte contre la soumission des êtres aux choses et contre l’équivalent général de ces choses, l’argent. A la radicalité de la pratique, se pose maintenant la radicalité de la théorie qui rend l’oppression réelle plus dure encore en y ajoutant la conscience de l’oppression. C’est cette conscience qui a soulevé un peu partout dans le monde d’autres émeutes s’attaquant aux mêmes cibles qu’en Grèce parce qu’elle a commencé à révéler l’explication, qui jusque là rester ignorée, d’une même situation reconnue comme inacceptable.

4 Le 17 décembre une cinquantaine de personnes occupent des locaux de la Confédération Générale des Travailleurs de Grèce (ou CGSEE), principal syndicat grec. Ils déclarent notamment : «  La Confédération générale des travailleurs de Grèce (GSEE), et toute l’intégralité de la machinerie syndicale qui le soutient depuis des dizaines et des dizaines d’années, sape les luttes, négocie notre force de travail contre des miettes, perpétue le système d’exploitation et d’esclavage salarié. » Cette rare lucidité sur le rôle des syndicats amène logiquement à un appel à l’auto-organisation des travailleurs sur la base de comités de luttes et de collectifs de base, réaffirmant ainsi que l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.

5 Ce n’est pas la peur de ne pas trouver du travail et d’acquérir une situation convenable avec son lot de conforts rassurants qui ronge la jeunesse grecque. C’est bien plutôt la colère de voir sous leurs yeux vivre encore un monde dont ils n’ont plus rien à espérer. Le désastre écologique, la mise au pas de tous au rythme du travail et du flicage annonce une société de casernes qui risque bien, tôt ou tard, de rendre inhabitable pour l’être humain la planète sur laquelle nous vivons. Il n’y a pas de réforme possible, seulement un renversement totale de tout ce qui fonde ce vieux monde. C’est fort de cette constatation que des insurgés grecs sont parvenus près du parlement dans l’intention de le brûler. Par cette initiative et par l’occupation de nombreux bâtiments appartenant à l’Etat grec, ils ont donné une nouvelle force à l’appel anarchiste d’abattre l’Etat.

6 Le mouvement révolutionnaire grec marque un saut qualitatif important par sa critique de l’Etat, des syndicats, de la tyrannie de la marchandise et de l’argent et éclaire par la même occasion l’échec de toutes les luttes partielles passées et présentes. Devant l’irrationalité de plus en plus pesante d’un monde en décomposition ce mouvement apporte une critique qui a pu voir le jour un peu partout dans le monde, mais qui trouve ici une cohérence qui manquait ailleurs. Face à la falsification de l’idée de révolution servant le moindre changement dans la fabrication de marchandises ou les plus ineptes idéologies (le bolivarisme d’un Chavez par exemple), les insurgés grecs ont su redonner sens à ce projet d’abolition de toutes les classes.

7 Une solidarité effective ne peut tendre qu’à la formation d’un mouvement qui approfondisse ce qu’il y avait de plus radicale dans la pratique et la théorie du mouvement grec. Ce n’est que par cette recherche qu’en Grèce ce mouvement trouvera un second souffle qui permettra de balayer les conditions existantes. Les occupations de différentes propriétés de l’Etat ne sera qu’une impasse si elles ne sont pas accompagnées de perturbations importantes de la circulation des marchandises et d’une véritable auto-organisation des travailleurs sur leurs lieux de travail occupés. De même qu’une insurrection est condamnée à être défaite si elle ne sait pas dépasser les actions émeutières.

A BAS LA TYRANNIE DE LA MARCHANDISE !

A BAS LES SYNDICATS-BORDELS !

VIVENT LES INSURGES GRECS !

VIVENT L’AUTO-ORGANISATION DES TRAVAILLEURS !

MORT AUX VACHES !