J’écris depuis la prison de Rouen, qui s’est une nouvelle fois illustrée le 10 septembre par la mort d’un détenu, victime de la folie… de l’Administration Pénitentiaire.

Ca fait maintenant quatre mois que je suis en détention provisoire pour terrorisme.
Terrorisme ! Quel outil formidable pour l’Etat ! Le terrorisme vient aujourd’hui justifier des mesures de contrôle et de fichage de plus en plus poussées au nom de notre sécurité. On ne s’étonne même plus de croiser dans les gares des militaires, mitraillettes à la main. Démocratie ou pas, la peur reste le meilleur moyen pour soumettre et gouverner.

Dans l’imaginaire collectif, le terroriste, avec le pédophile, est devenu une des figures même du mal. D’un côté il a le visage de monsieur tout le monde, ce qui en fait une menace permanente et insidieuse qui ne peut se combattre que par un contôle généralisé de plus en plus strict. Et de l’autre, il a le visage repoussant d’un monstre sanguinaire, fasciné par la violence et n’ayant plus rien d’humain ni de commun avec nous pour éviter qu’on le comprenne et que de tels actes se propagent. Apposer l’étiquette de terroriste sur quelqu’un, c’est donc le condamner au bannissement. Qui soutiendrait des barbares pareils ?

C’est une habile manoeuvre politique pour isoler et affaiblir. On fait passer des amis, des camarades de lutte pour des illuminés en décrédibilisant les moyens considérés comme violents (sabotage, bris de vitrine, etc) autant que le sens politique de leur action. Diviser pour mieux régner, rien de nouveau. On fait le tri entre la contestation « raisonnable », que l’Etat tolère, voire intègre pour se renforcer ; et celle sauvage et non autorisée, plus difficilement récupérable. On frappe fort sur quelques-uns pour que tout le monde ferme sa gueule et sache à quoi s’en tenir. Evidemment pour être efficace, ça doit servir d’exemple, on ne peut pas faire de tout le monde des terroristes.

La Mouvance Anarcho-Autonome Francilienne (MAAF), l’organisation terroriste à laquelle nous sommes supposés appartenir, rend bien compte de cette intention. Vous n’avez jamais vu de tract ou d’attentat au nom de la MAAF. Et pour cause : ce sexy sigle est une invention policière, le titre d’une catégorie de classification des RG (Renseignements Généraux). Le mot « mouvance » montre à quel point c’est flou. Il peut suffir d’un contrôle d’identité au cours d’un moment de contestation sauvage, de la fréquentation d’un lieu ou d’une personne, d’une lecture ou d’une opinion subversive. Certains thèmes aussi sont plus sensibles comme les prisons ou les sans-papiers ; RESF par exemple est qualifié de mouvement “quasi-terroriste”.

Cette histoire de tentative d’incendie est loin d’être l’affaire du siècle. Et si le pouvoir, relayé par les médias, l’a gonflée au maximum, ce n’est pas que l’Etat craignait de ne pouvoir se relever de ce coup. Malheureusement, il faudra plus qu’un incendie – même réussi – pour mettre vraiment en danger le système. Si l’Etat est attentif et soucieux de ces “menaces” politiques et que cet affront devait être puni, il en a surtout profité pour faire de cette affaire un exemple, répondre à la contestation sociale, et remettre à jour quelques fichiers de renseignements et bases de données policières.

Nous nions tous les trois notre implication dans cette tentative d’incendie. Mais en vérité c’est un détail.

D’abord parce que face à la supposée irréfutabilité de la preuve par l’ADN des scientifiques, il est difficile d’expliquer la présence de poils qu’on a pu éventuellement semer, si tant est que ce soient les nôtres !

Ensuite parce que la Justice donne peu d’importance à ce qu’on a à dire. Elle n’a pas besoin de toi pour te juger. Qu’importe ce que tu as réellement fait. Si tu as le profil, et il peut suffir d’une garde-à-vue, de la participation à une manif ou d’opinions affichées, ça suffit à être condamné. Tout le reste est du théâtre.

En ce sens, la Justice ne s’est sans doute pas trompée. Je crois bien avoir le profil recherché. Non pas celui d’un fanatique qui veut semer la terreur dans la population pour arriver à ses fins – c’est plutôt l’apanage des gouvernements, qu’ils soient despotiques ou démocratiques -, mais plutôt celui d’un révolté parmi les autres.

Dans ce monde régi par le fric où la plupart des gens crèvent de faim pour soutenir le rythme de vie des riches ; où le seul horizon pour beaucoup est un travail de merde qu’on est réduit à pleurer au moment de perdre ; où l’ennui et la dépression sont la norme ; où ceux qui n’ont pas de papiers doivent raser les murs ; où la nature devient un luxe pour touristes ; où notre pouvoir sur nos vies se limite au choix de la chaîne télé, du bouffon qui nous gouverne, et de la marque de lessive ; où la police te rappelle à chaque instant de fermer ta gueule ; et où la prison t’accueille si tu déroges à la règle.

Dans ce monde moisi, il serait malvenu de pleurer la carcasse cramoisie d’une voiture de flics. Nous n’avons que trop de raisons de nous révolter.

Ce n’est pas la répression qui nous les enlèvera.

En taule comme dans la rue, que la lutte continue avec rage et joie !