Vichy : témoignage sur la violente évacuation du camping par la police
Catégorie : Global
Thèmes : Contre-sommets
Témoignage personnel de la violente évacuation du camping de Vichy par une petite dizaine de flics hargneux, puis d’une longue errance stressante parmi les patrouilles de flics vichyssois, par une froide et humide nuit de novembre.
Cusset, près de Vichy, nuit du 3 au 4 novembre 2008.
Ceci est un témoignage de ce que j’ai vécu lors de l’évacuation du camping pendant le contre-sommet de Vichy ; j’ai choisi de l’écrire à la première personne pour pouvoir exprimer mes ressentis personnels face à cette expérience relativement traumatisante, et ce sans engager les autres militant.e.s avec qui je me trouvais. Elleux l’ont vécu différemment, et illes ne se retrouveront sûrement pas dans ce texte. Je ne les ai pas escamotés : je veux simplement respecter leurs propres ressentis, et surtout ne pas m’exprimer à leur place.
Après la manifestation contre le sommet européen de Vichy, je rejoins le camping aménagé par la mairie et les organisateur.ice.s de la manifestation, situé sur un terrain de sport, à quelques centaines de mètres du lieu du meeting. Une dizaine de tentes sont montées, une quinzaine de personnes se préparent à passer une nuit froide et humide. Situé entre un champ et un cimetière, clôturé de murs et de hautes haies, le camping est à l’abri des regards. Pas un voisin, pas une fenêtre ne donne sur les tentes. Fatigué, je vais me coucher rapidement.
Au milieu de la nuit, l’obscurité est totale, un grand silence règne et ma tente commence à tanguer violemment. Aucune idée de l’heure ; je me rends compte rapidement que quelqu’un est en train de donner des coups. À peine réveillé, je proteste que je suis dedans, en train de dormir, que ça ne mène à rien de donner des coups dans une tente. Je suis persuadé qu’un.e camarade bourré.e fait une mauvaise blague. En quelques secondes, la toile s’effondre ; comme elle ne me protège plus, je prends des coups dans les côtes. Énervé et un peu affolé, je comprends que lale camarade ne s’arrêtera pas et lâche « bâtard ! » pour signifier que ça ne m’amuse plus, et je me résous à chercher l’ouverture. Là, j’entends « Il m’a traité de bâtard, le con ! » et les coups doublent, triplent, j’en reçois dans la tête, les jambes, les bras, partout. Enfermé comme dans une nasse, je me protège comme je peux, recroquevillé ; je pense à une agression de fascistes, je panique, aucune idée d’où est la sortie, j’ai un peu peur d’étouffer… au bout d’un moment les coups s’arrêtent. À tâtons je trouve l’ouverture, hésitant à déplier mes membres, angoissé de donner de nouvelles cibles à mes agresseurs. Quand j’arrive enfin à sortir la tête, 3 paires de bottes me font face. Enfin, je comprends. Un flic me lance « T’as 5 minutes pour te lever et sortir ». C’est la première fois qu’ils m’adressent la parole, suivie par un flot d’insultes. Puis les blousons « POLICE » disparaissent dans l’obscurité.
Déconcerté, je déplie mes jambes dans mon duvet. Je ne crois pas ce qui m’arrive, et retombe dans une somnolence quelques instants. Rapidement, j’entends courir, les coups repleuvent sur mon corps déjà meurtri, les flics cassent les arceaux de la tente, la toile se déchire, je me lève enfin. « T’as 2 minutes pour dégager, après on envoie les chiens ! » À tâtons, je cherche mes chaussures. Impossibles à trouver. Je mets un pantalon, trouve un pull dans le chaos de mes affaires éparpillées dans l’herbe humide. Je me rends compte que je tremble de tout mon corps, de froid, de terreur, de colère. Toujours pas de chaussures. Avant l’agression, les flics ont pensé à les lancer au loin. Finalement je me rappèle avoir une seconde paire dans un sac, la cherche, la trouve, l’enfile. Je prends ma toile de tente par les 4 coins, en fais un balluchon, et me dirige vers la sortie à travers les tentes détruites. À la sortie, 2 voitures de police, des flics et un chien autour d’un petit groupe de militant.e.s à peine réveillé.e.s.
Ils nous ordonnent de partir. Hésitant.e.s, nous nous dirigeons d’un côté, puis de l’autre, ne sachant où aller, il est 1h30 ou 2h du matin, les flics nous insultent, flash-ball au poing. Après avoir lancé le chien dans le camping déserté, ils le lâchent sur notre petit groupe ensommeillé qui s’étire le long de la route. À travers la muselière, le molosse attrape les membres des retardataires, monte au visage de certain.e.s, je suis terrorisé. Au bout de quelques dizaines de mètres nous nous arrêtons pour faire le point. Je craque, pleure, nous sommes misérables le long de ce cimetière, perdus, avec nos affaires et nos agresseurs tout-puissants et narquois postés à quelques mètres, arme au poing, leur chien qui aboie.
Puis, une longue marche commence, direction Vichy, plusieurs kilomètres, ma tente-balluchon sur le dos, le corps meurtri par les coups, le froid, l’humidité, les insultes et la violence inouïe, gratuite et légitimée, de ce réveil nocturne et sans témoins. Des voitures de flics banalisées, vitres teintées, tous feux éteins, patrouillent au pas, s’arrêtent, repartent ; leurs occupants, indifférents ou narquois, scrutent, insultent, contrôlent. Une voiture de militant.e.s, pleine, nous encourage. Notre groupe en rencontre d’autres, nous discutons quelques minutes, jamais plus : une nouvelle patrouille passe, il nous faut repartir, marcher, marcher, nulle part, partout, sans autre but que de rester en mouvement, pour ne pas attirer l’attention des agresseurs en uniformes. Nous cherchons un appartement, une maison, un jardin, une cage d’immeuble, un abri quelconque, sec, chauffé ou non… Personne ne connaît la ville, personne ne connaît un.e habitant.e, la pression des flics augmente, contrôle. Mes genoux sont très douloureux, je suis épuisé, j’arrive à peine à porter ma tente-balluchon. Après quelques tentatives avortées de trouver un abri collectif, le groupe se sépare. Nous ne sommes plus que trois, nous trouvons une cage d’immeuble, nous dirigeons vers la porte. Manque de chance, une patrouille, tous feux éteints, s’approche, s’arrête, je passe mon chemin, la patrouille repart, elle tourne. Je cours, mon fardeau sur les épaules, j’atteins la porte, entre, monte un étage. Tant de bruit réveille un voisin, il appèle la police… j’ai marché 3h, 3h30, trouvé un endroit à l’abri, sec et chaud, et me voilà pris au piège, la tension monte encore, ça ne s’arrêtera-donc jamais ? Je monte péniblement les escaliers, observe la flicaille qui, tout en bas, repasse, tourne, revient, ils ne sortent pas de la voiture, s’en vont… je m’écroule et m’endors. Il est 4h.
D’un seul coup, une torche dans le visage, angoisse, un chien me marche sur la figure, j’ouvre les yeux. Il est 7h, la dame du dessus sort promener son chien, l’immeuble s’anime et nous devons partir. Je retourne au camping, constater les dégâts. Il est aussi triste que le cimetière à côté : des affaires éparpillées, des tentes détruites, des toiles déchirées. Je retrouve 4 sardines dans la zone où j’ai dormi, récupère quelques affaires, une chaussure lancée au loin, dans une haie, l’autre a disparue.
Direction la gare. Au revoir, Vichy.
Le lendemain, mon corps n’a pas de traces de coups. Pourtant je n’ai pas rêvé ; peut-être le duvet les a-t-il amortis, et, dans mon sommeil, ils m’ont paru plus violents que la réalité.
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