Dhkp-c paris
Catégorie : Global
Thèmes : RacismeRépression
Mes 5 jours de garde à vue
C’est dans les nouveaux locaux hypersécurisés des services de renseignement de la police nationale à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) que j’ai été interrogé par la nouvelle alliance des services de sécurité. Celle-ci comprend la Direction de Surveillance du Territoire (DST), la Direction Centrale des Renseignements Généraux (DCRG), les Renseignements Généraux de la Préfecture de Police (RGPP), la Sous-direction antiterroriste de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) et la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale (DGGN). Faisant suite aux attentats de Londres, l’alliance de ces services a été ratifiée par la loi antiterroriste de Sarkozy du 23 janvier 2006.
Tout a commencé le lundi 9 Juin 2008 à 6h10 du matin, quand un commando de 6 personnes cagoulées et armées jusqu’aux dents ont fait irruption à mon domicile à Blois. Alors que mon épouse et moi-même qui dormions paisiblement étions complètement inoffensifs, les assaillants ont braqué leurs armes en direction de ma tête et ont hurlé: « Restez calme. Police ».
Je leurs ai répondu : « C’est à vous de vous calmez. Mon épouse et enceinte, alors calmez vous ». Ils m’ont ensuite menotté puis m’ont fait asseoir sur mon canapé.
Je leurs ai demandé le motif de leur présence et ils m’ont répondu « un avis de recherche a été lancé a votre encontre pour association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes au nom de l’organisation DHKP-C et pour financement du terrorisme. En clair, j’étais soupçonné d’être un terroriste. Rien que ça !
Après avoir effectué une fouille minutieuse de mon domicile, ils m’ont emmené dans leurs locaux à Levallois. Chez moi ils ont pris pour preuve que j’étais bien un terroriste et que j’appartenais bien au DHKP-C des livres, des revues culturelles, des revues politiques, notamment l’hebdomadaire (légal, même en Turquie) Yürüyüs, un classeur contenant des poèmes écrits par mon épouse, mon disque dur, des clés USB, une clé Wifi, une clé bluetooth, quelques papiers avec des chiffres mentionnés dessus, mon disque dur externe et 2 photos prises lors d’un concert.
A peu près une demie heure après m’avoir placé en cellule, ils sont venus me chercher pour un interrogatoire très court. En retournant dans ma cellule, j’ai pu apercevoir quelques amis et connaissances dans les autres cellules. Là, j’ai compris que cette opération a été lancée contre l’Association anatolienne de culture et de solidarité à Paris située au Faubourg St Denis et dont je suis adhérant.
Cette association est bien entendu tout à fait légale et démocratique. Solidaire des luttes sociales en Turquie, elle défend les droits et les libertés des travailleurs et des diverses communautés de Turquie en France, se bat pour le droit d’asile, contre le racisme et pour une culture populaire et progressiste.
J’ai rapidement compris que le but de toute cette opération était une énième tentative de criminalisation des défenseurs des droits et des libertés, reposant sur la fabrication de liens entre des associations démocratiques et des mouvements prétendument terroristes.
Le second jour, les enquêteurs m’ont posé des questions auxquelles je m’ attendais, non pas par expérience pratique mais par connaissance du système dans lequel nous vivons et des récentes machinations orchestrées par les diverses polices européennes à l’encontre des démocrates et des progressistes de Turquie.
Avant de poursuivre avec les questions posées, je souhaiterais revenir sur ce qui m’est arrivé le soir du lundi 9 juin dans ma cellule qui est sous surveillance vidéo 24h24. Le matin, je suis reçu par un médecin de l’établissement. Je l’informe de la maladie dont je suis atteint, nommément l’algie vasculaire de la face. Je lui explique que lorsque j’ai des crises, si je ne me fais pas mon injection, je me cogne brutalement la tête contre les murs et que donc, il suffit juste de me retenir pour éviter que je me blesse. Le médecin me répond qu’il connaît cette maladie, qu’il aviserait les policiers de faire le nécessaire en cas de crise et que par conséquent, je ne devais pas m’inquiéter.
Après la visite médicale, un des enquêteurs vient me voir et me dit : « ça va, tu n’as pas mal à la tête? Ne t’inquiète pas le médecin m’a dit ce qu’il y a à faire et je l’ai dit a l’équipe donc pas de souci ». Je lui dit : « OK, merci, c’est gentil ».
Le soir, je suis pris d’une crise. Je me cogne la tête contre le mur. Le gardien ouvre la porte de la cellule et commence à crier (sachant que le bruit et la lumière me dérangent beaucoup quand je suis en crise) et là, il me donne un grand coup de pied à la hanche. Perdant équilibre, je tombe sur la tête et perds connaissance. De la brutalité du gardien, je garderai un hématome sur le front puis un autre sur la hanche.
Lorsque j’ouvre mes yeux, quelques instants plus tard, j’aperçois les pompiers à mes côtés. Ils m’emmènent à l’hôpital…
Le lendemain, les enquêteurs viennent me récupérer de l’hôpital et là, je leurs annonce mon intention de porter plainte contre le gardien qui m’a brutalisé pour coups et blessures et non-assistance à personne en danger. Ils me répondent laconiquement que ce n’est pas possible. Je leurs rétorque que je refuse de m’alimenter tant que je n’aurai pas pu porté plainte. Ma grève de la faim, je l’ai poursuivie jusqu’au jour de mon transfert au parquet de Paris.
Durant ces jours, je n’ai bu que de l’eau et n’ai pas absorbé de sucre.
Pour en revenir aux questions posées, elles étaient pour le moins prévisibles et surtout ridicules, du genre : « faites-vous partie du DHKP-C ? » ; « Savez-vous que l’association dont vous faites partie et la vitrine légale du DHKP-C ? » ; « Le concert auquel vous avez participé a été organisé par le DHKP-C, le saviez vous? » etc.
Ensuite, ils me montrent une feuille couverte de la photo de 13 personnes en me demandant ceux que je connaissais. Je leur répondis tout en sachant que la plupart d’entre eux était aussi en garde a vue, et, qui plus est, dans les cellules avoisinant la mienne.
Pour me déstabiliser et me démoraliser en semant le doute et la suspicion sur mes amis interrogés, les enquêteurs m’ont posé des questions commençant par : « certains de vos amis disent de vous que… »
J’ai été bombardé de questions jusqu’à mon transfert au tribunal de Paris soit la nuit du jeudi à vendredi vers 01h00. Au tribunal de Paris, j’ai pu enfin voir mes amis et savoir combien nous étions : 8 inculpés au total.
Après le relevé de nos empreintes digitales et de notre ADN, j’ai été placé dans une cellule déplorable où j’ai manqué d’eau et ce, jusqu’au vendredi soir à 21h, une cellule dans laquelle il faisait froid mais où il n’y avait pas de couverture pour se réchauffer, une cellule où la sonnette pour appeler le gardien ne fonctionnait pas.
Je passe finalement devant un juge qui me pose les mêmes questions que les enquêteurs. Il me dit : « Je n’arrive pas à vous cerner, vous parlez et vous vous comportez comme un militant (…) Je vais pour une fois faire quelques chose que je n’ai jamais fait jusqu’ici : je vais laisser le choix au procureur de la république de décider de votre sort, ce sera lui qui prendra la décision. »
Puis, le procureur m’a mis en liberté sous contrôle judiciaire.
D’après mon avocat, il n’y avait aucune chance que je sorte car le scénario était déjà préparé. Pour eux, Ilker Alcan est le numéro un du DHKP-C en France, Erdogan Cakir le numéro deux et moi, le numéro trois et qu’en plus, mon domicile serait soi-disant utilisé comme un bureau de réunion où toutes sortes de décisions seraient prises.
Après tout cela, Erdogan Cakir, Sefik Sarikaya, Veli Yati et Nihat Karakaya ont été placés en détention provisoire. Özgür et Hanim (dont j’ignore les noms de famille), Kemal Balkan, Dayimi Aktepe et moi-même avons été libérés sous contrôle judiciaire.
En fin de compte, je déduis de mon expérience que l’Etat français enfreint ses propres lois en criminalisant des membres d’une association légale qui n’ont commis aucun acte illicite si ce n’est s’exprimer et se réunir de manière démocratique. J’estime que l’Etat français devrait immédiatement libérer les personnes incarcérées au cours de cette opération et faire ses excuses à toutes les personnes arrêtées, à leurs familles et à leurs proches. Je demande à tous les démocrates, progressistes, défenseurs des droits et des libertés, à dénoncer et condamner cette opération soi-disant antiterroristes et ces arrestations infondées et antidémocratiques.
Nezif ESKI (e.nezif@gmail.com)
PS : Je tiens a remercier le Comité belge pour la liberté d’expression et d’association (CLEA) ainsi que tous les amis, camarades, associations qui nous ont soutenu, nous soutiennent et nous soutiendront.
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