Sous couvert « d’autonomie » (de gestion, mais ni intellectuelle ou scientifique) et afin notamment de favoriser la constitution de « pôles d’excellence » susceptibles d’améliorer la place des universités françaises dans le dérisoire « palmarès de Shanghai » (ou dans la course pour attirer les meilleurs « cerveaux »), cette réforme, d’inspiration managériale, vise à amplifier la concurrence entre établissements du service public d’éducation et de recherche, laquelle risque à terme de transformer la majorité d’entre eux en « collèges » universitaires limités au niveau de la Licence, ainsi qu’à déléguer à ces établissements le soin de gérer le désengagement croissant de l’Etat concernant leur financement. Ainsi, et pour faire face à une crise financière déjà présente, ces établissements sont fortement incités à se lancer sur le modèle, -apparemment indépassable-, des grandes écoles de commerce et de sciences politiques, dans la course aux fonds privés qui, par le biais des déductions d’impôt, deviennent une des portes de l’accès aux ressources publiques. De même, le recrutement de personnel non statutaire est vivement encouragé. En effet, la réforme anticipe les difficultés financières auxquelles seront nécessairement confrontées les universités qui ne parviendront pas à capter les ressources privées et publiques en les autorisant à recruter un personnel (enseignant, chercheur et administratif) sans statut. Nul doute qu’avec ces possibilités nouvelles de recruter sous contrats privés, les fonctionnaires seront de moins en moins nombreux dans les universités. Enfin, cette réforme aboutira inéluctablement à une augmentation progressive des droits d’inscription. Comme les collectivités territoriales aujourd’hui contraintes d’augmenter les impôts locaux si elles veulent se donner les moyens de mener une politique propre, les établissements qui n’intéressent pas directement le marché de l’emploi privé seront à terme nécessairement conduits à sélectionner leurs étudiants, et /ou à les solliciter financièrement au travers d’une augmentation généralisée des droits d’inscription (on parle de montants tournant autour de 3.000 / 4.000 euros).
Cette augmentation, – officiellement repoussée pour des raisons essentiellement tactiques – est d’ailleurs réclamée par les parlementaires de l’UMP, comme par la Conférence des présidents d’université (CPU).
Sous couvert de « bonne gouvernance », qui ouvre également la porte à une évaluation du personnel par les « résultats » dont l’efficacité est loin d’être prouvée, cette réforme, – réclamée elle aussi fortement par la CPU-, balaye le principe de collégialité ayant traditionnellement cours à l’université et réduit considérablement le pouvoir des disciplines dans les recrutements.
A ce titre, elle représente une régression tant démocratique que scientifique. En effet, elle augmente considérablement le pouvoir des présidents d’université transformés alors en autant de petits chefs d’entreprise ayant la haute main sur « leur personnel ». Ainsi, et au travers notamment de la disparition des anciennes « commissions de spécialistes » et de leur substitution par des « comités de sélection » ad hoc dont les membres sont proposés par le président, – comme du droit de veto de ces derniers sur les recrutements-, les futurs présidents exerceront un contrôle particulièrement étroit sur le recrutement de leurs «chers collègues». Présentés comme un remède au « localisme » qui affecte beaucoup de recrutements actuels, ces comités de sélection ne feront pourtant que renforcer les logiques de clientélisme. A cela s’ajoutent d’autres instruments de « domestication » du personnel, comme par exemple la définition de la répartition des obligations de service des enseignants-chercheurs entre enseignement, recherche et administration par le Conseil d’administration, la délivrance de primes par le président, la création de « dispositifs d’intéressement », le recrutement en CDI ou en CDD de personnels administratifs ou enseignants, etc.
Cette réforme contient donc une remise en cause du statut national de l’ensemble des personnels universitaires. Concernant les enseignants-chercheurs, elle est manifestement le prélude à la réforme de leur statut préconisée par Bernard Belloc, lequel est d’ailleurs conseiller de l’Elysée pour les affaires universitaires. Dans son rapport, celui-ci proposait notamment de dissocier les activités d’enseignement et de recherche en créant un nouveau corps d’enseignant du supérieur faisant deux fois plus d’heures d’enseignement que les autres. Cette dissociation de l’enseignement et de la recherche, qui permettra notamment au ministère de « faire plus avec moins » pour reprendre une expression chère aux consultants, est congruente avec la division, hiérarchisation accrue des établissements évoquée plus haut et représente aussi une régression scientifique sans précédent. Car ce qui fait le caractère universitaire d’un enseignement, c’est qu’il soit délivré par des enseignants qui sont aussi des chercheurs.
Concernant les critères d’évaluation des universités et leurs nouvelles missions « d’orientation et d’insertion professionnelle », l’évaluation à l’aune de la réussite aux examens des étudiants aura probablement deux conséquences : les facultés tenteront de recruter prioritairement les étudiants qui ont le plus de chances de réussir leurs études (c’est le modèle déjà suivi par l’université Paris IX Dauphine) et/ou abaisseront le niveau d’exigence aux examens. Les étudiants les moins « rentables » seront donc « réorientés », -bien évidemment pour « leur bien », notamment au travers du nouveau dispositif « d’orientation active ». Quand à l’évaluation de la rentabilité par les taux d’insertion professionnelle de leurs étudiants, elle devrait logiquement inciter les universités à se mettre au diapason des discriminations qu’opèrent beaucoup d’entreprises lorsqu’elles embauchent. De ce point de vue, il deviendra problématique d’accueillir massivement, comme le fait aujourd’hui Paris VIII, les jeunes issus de l’immigration, les étrangers, ainsi que les jeunes filles, qui sont plus discriminés sur le marché de l’emploi (souvent quel que soit leur taux de réussite au diplôme). Mais chacun et chacune pourra ensuite librement saisir la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité). Notre université risque donc de ne plus être un lieu de formation, mais un simple centre de tri.
Loin d’apporter une solution aux problèmes actuels de l’université française, cette réforme contribuera notamment à amplifier les inégalités sociales devant les études supérieures au nom d’une philosophie qui fait de la concurrence un garant de l’adaptation aux « besoins » des publics. Ainsi, la démocratisation de l’université (partielle et limitée, mais néanmoins bien supérieure à celle de ces établissements déjà très « autonomes » que sont les grandes écoles) ne sera pas renforcée dans le sens d’une démocratisation des « résultats » (accès de tous à toutes les filières, tous les établissements, et au même niveau d’exigence), mais dans l’accès à un plus grand accompagnement vers le marché de l’emploi, au travers notamment de la généralisation des dispositifs précoces de « professionnalisation » et de la politique des stages (rarement rétribués.). Cette professionnalisation est d’ailleurs souvent présentée comme la panacée universelle censée répondre aux maux de l’université, comme à la demande sociale. Pourtant, il n’y a pas de véritable réflexion sur l’acquisition des savoirs génériques qui permettent ensuite les reconversions et la reprise d’études « tout au long de la vie ». De même, l’importance de la recherche est souvent soulignée par nos gouvernants (c’est le thème européen et sans cesse rebattu de « l’économie de la connaissance »). Mais au travers de la politique dite des « pôles d’excellence », celle-ci est vouée à devenir le privilège d’une minorité d’établissements, comme d’enseignants-chercheurs. Et on observe qu’alors, il s’agit d’une recherche de plus en plus instrumentalisée, phénomène notamment souligné par le mouvement SLR. De même, l’« échec » en 1er cycle n’est pas considéré à la lumière du financement insuffisant par étudiant (pourtant attesté dans les comparaisons internationales) comme des problèmes économiques rencontrés par certains groupes sociaux pour étudier, mais comme un besoin d’une meilleure « orientation ». Ce qui permet alors de déplacer la responsabilité des problèmes économiques et d’emploi vers l’université et par là même de culpabiliser les enseignants-chercheurs défendant l’autonomie de la recherche. Enfin, la pénurie matérielle chronique dans laquelle sont plongées les universités françaises (voire même leur misère, si on les compare aux universités étrangères) n’est pas prise en compte non plus, ce que souligne bien le dernier budget de l’enseignement supérieur.
Contre cette remise en cause frontale du service public d’enseignement et de recherche, -et cynique, car s’opérant souvent au nom des intérêts supposés des étudiants et plus spécialement de ceux d’origine populaire auxquels par exemple certains économistes « équitables » voudraient faire croire qu’il est finalement de leur intérêt d’avoir des frais d’inscription beaucoup plus élevés-, il faut rappeler sans cesse la nécessaire pluralité des missions de l’Université, que sont notamment l’élaboration et la transmission des connaissances, le développement de la recherche comme de l’esprit critique et l’élévation générale du niveau de formation de la population. Celles-ci ne se résument donc pas, -comme voudrait le faire croire l’opinion économiciste dominante-, à la production d’une main d’ouvre immédiatement prête à l’emploi sous prétexte, et profitant du fait qu’elle a, certes, besoin de travailler.
Chaque université a vocation à être un foyer scientifique et culturel vivant ouvert à tous, et notamment aux enfants de la démocratisation scolaire particulièrement nombreux dans notre université qui doivent continuer à y trouver un lieu d’émancipation intellectuelle, comme de promotion sociale. Et de fait, il n’y aurait pas de raisonnement plus méprisant que celui consistant à dire que ces jeunes sont tout juste bons à être précocement « professionnalisés » dans des universités de seconde zone, avec peu de recherche, et sous financées, tandis que d’autres, parce qu’ils sont bien nés, auraient le privilège de bénéficier d’une formation généraliste de haut niveau et tournée vers l’international, sur le modèle notamment des grandes écoles françaises, dont les budgets par étudiant n’ont, – faut-il encore le rappeler?-, rien de comparable avec ceux des universités. En conséquence, nous appelons nos collègues à se mobiliser, à ne pas pénaliser les étudiants au niveau des examens pour leur participation au mouvement, et surtout à y participer activement eux-mêmes, notamment en invitant les étudiants à réfléchir avec eux aux missions de l’université, comme à la fabrication des prochaines maquettes d’enseignement dans le cadre de la campagne d’habilitation dite du LMD2. L’université que nous voulons est d’abord celle des étudiants, des enseignants-chercheurs, chercheurs et de tous les personnels qui y travaillent, et non celle rêvée par les entreprises.

Pour signer cette pétition écrire à : p8_contre_la_lru {arobase} yahoo.fr

Liste des premiers signataires : Avril Christelle PRAG Sociologie, Paris VIII ; Béliard Aude ATER Sociologie, Paris VIII ; Ben Hounet Yazid ATER Anthropologie, Paris VIII ; Coulmont Baptiste MCF Sociologie, Paris VIII ; Cusso Roser MCF Sociologie, Paris VIII ; Davault Corinne MCF Sociologie, Paris VIII ; Diener Ingolf MCF Anthropologie, Paris VIII ; Gaertner Laure ATER Sociologie, Paris VIII ; Joubert Michel Professeur Sociologie, Paris VIII ; Jounin Nicolas MCF Sociologie, Paris VIII ; Laé Jean-François Professeur Sociologie, Paris VIII ; Lafaye Claudette MCF Sociologie, Paris VIII : Ménoret Marie MCF Sociologie, Paris VIII ; Molinéro Stéphanie ATER Sociologie, Paris VIII ; Soulié Charles MCF Sociologie, Paris VIII ; Terrolle Daniel MCF Anthropologie, Paris VIII ; Trat Josette MCF Sociologie, Paris VIII