Histoire du mouvement ouvrier : la cnt
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Les organisations prolétariennes en Espagne face à l’épreuve de la guerre
Nous avons déjà mis en évidence dans le premier article sur l’histoire de la CNT[2] le retard du capitalisme espagnol et les contradictions qui le tenaillaient. L’Espagne s’est déclarée neutre face à la guerre et certains secteurs du capital national (surtout en Catalogne) ont fait des affaires florissantes en vendant aux deux camps toutes sortes de produits. Cependant, la guerre mondiale a frappé durement les ouvriers et toutes les couches travailleuses, notamment à travers une forte inflation. En même temps, le sentiment élémentaire de solidarité face aux souffrances que subissaient leurs frères des autres pays, a provoqué une forte inquiétude. Tout cela a interpellé les organisations ouvrières.
Cependant, les deux grandes organisations ouvrières qui existaient alors – le PSOE et la CNT – ont réagi de façon très différente. La majorité du PSOE a précipité son intégration définitive à l’État capitaliste. Par contre, la majorité de la CNT s’est orientée vers une position internationaliste et révolutionnaire.
Le Parti socialiste (PSOE) a accéléré sa dégénérescence qui était déjà en cours dans la période précédente[3] : il a pris clairement parti pour la gang de l’Entente (l’axe franco-britannique) et a fait de l’intérêt national sa devise[4]. Avec un cynisme indigne, le rapport du 10e Congrès (octobre 1915) déclarait : “En ce qui concerne la guerre européenne, depuis le début nous suivons le point de vue de Iglesias et des circulaires du comité national : les nations alliées défendent les principes démocratiques contre l’attaque barbare de l’impérialisme allemand et, par conséquent, sans méconnaître l’origine capitaliste et le germe de l’impérialisme et du militarisme qui existaient dans toutes les nations, nous préconisons la défense des pays alliés”. Seule une toute petite minorité, assez confuse et timide, a affirmé un point de vue internationaliste. Verdes Montenegro a émis un vote particulier rappelant que “la cause de la guerre est le régime capitaliste dominant et non le militarisme ou la volonté des puissances couronnées ou non couronnées des divers pays” et exigeant que le Congrès “s’adresse aux partis socialistes de tous les peuples en lutte en leur demandant d’accomplir leurs devoirs envers l’Internationale”.
“La CNT face à la guerre mondiale : une courageuse réponse internationaliste”
Quand éclate la guerre mondiale, la CNT est légalement dissoute. Cependant, des sociétés ouvrières de Barcelone maintiennent leur tradition et publient, en mai 1914, un Manifeste contre le militarisme. Anselmo Lorenzo, militant ouvrier survivant de la Première Internationale et fondateur de la CNT, dénonce dans un article posthume[5] la trahison de la social-démocratie allemande, de la CGT française et des Trade Unions anglaises pour “avoir sacrifié leurs idéaux sur l’autel de leurs patries respectives, en niant le caractère fondamentalement international du problème social”[6]. Face à la guerre il comprend que la solution n’est pas “une hégémonie signée par des vainqueurs et des vaincus”, mais la renaissance de l’Internationale : “animés par un optimisme rationnel, les salariés qui conservent la tradition de l’Association internationale des Travailleurs, avec son programme historique et intangible, se présentent comme les sauveurs de la société humaine”.
En novembre 1914, un autre Manifeste signé par des groupes anarchistes, des syndicats et des sociétés ouvrières de toute l’Espagne développe les mêmes idées : dénonciation de la guerre, dénonciation des deux gangs rivaux, nécessité d’une paix sans vainqueurs ni vaincus qui “ne pourra être garantie que par la révolution sociale” et il se termine par un appel à la constitution urgente d’une Internationale[7].
L’inquiétude et la réflexion face au problème de la guerre conduit le cercle culturel syndicaliste de El Ferrol[8] (Galice) à lancer, en février 1915, un appel “à toutes les organisations ouvrières du monde pour organiser un congrès international” contre la guerre.
Les organisateurs n’ont pas réussi à se donner les moyens de réaliser cette proposition, les autorités espagnoles ont interdit immédiatement la tenue du Congrès et ont pris des dispositions pour arrêter les délégués étrangers. De plus, le PSOE a lancé une campagne féroce contre cette initiative. Cependant, le Congrès a réussi à se réunir, malgré tout, le 29 avril 1915 avec la participation de délégués anarcho-syndicalistes en provenance du Portugal, de la France et du Brésil[9].
Une deuxième cession a pu être organisée. La discussion sur les causes et la nature de la guerre fut très pauvre : on rendait “tous les peuples” responsables de celle-ci[10] et on mentionnait formellement la méchanceté du régime capitaliste. Tout était centré sur “que faire ?”. Sur ce terrain, il était proposé “comme moyen pour mettre fin à la guerre européenne l’approbation de la grève générale révolutionnaire”.
On n’a pas tenté de comprendre les causes de la guerre d’un point de vue historique et mondial, il n’y a pas eu non plus d’effort pour comprendre la situation du prolétariat mondial et de quels moyens il disposait pour lutter contre la guerre. On ne faisait confiance qu’au volontarisme activiste de l’appel à la “grève générale révolutionnaire”. En dépit de ces faiblesses, le Congrès est parvenu à des conclusions très concrètes. Une campagne énergique contre la guerre fut organisée qui s’est exprimée dans de nombreux meetings, des démonstrations de rue et des manifestes ; un appel a été lancé pour la constitution d’une Internationale ouvrière “dans le but d’organiser tous ceux qui luttent contre le Capital et l’État” ; et, surtout, a été pris la décision de reconstituer la CNT qui, effectivement, s’est réorganisée en Catalogne à partir d’un noyau de jeunes participants au Congrès de Ferrol qui ont décidé de reprendre la publication de la Soli (Solidaridad Obrera -“Solidarité ouvrière”- l’organe traditionnel de la Confédération). A l’été 1915, la CNT compte déjà 15 000 militants qui, par la suite, augmentent de manière spectaculaire.
Il est très significatif que la force ayant impulsé la reconstitution ait été l’opposition à la guerre. L’activité centrale de la CNT dans cette période était la lutte contre la guerre en lien avec le soutien enthousiaste aux luttes revendicatives qui se multipliaient depuis la fin de 1915.
La CNT manifeste une claire volonté de discussion et une grande ouverture face aux positions des Conférences de Zimmerwald et de Kienthal qui sont saluées avec enthousiasme. Elle discute et collabore avec les groupes socialistes minoritaires qui, en Espagne, s’opposent à la guerre. Il y a un grand effort de réflexion pour comprendre les causes de la guerre et les moyens de lutter contre celle-ci. Face aux visions idéalistes et basées sur l’idée que “tous les peuples sont coupables” qui s’étaient exprimées à Ferrol, les éditoriaux de la Soli sont beaucoup plus clairs : ils insistent sur la culpabilité du capitalisme et de ses gouvernements, ils soutiennent les positions de la Gauche de Zimmerwald (Lénine) et signalent que “les classes capitalistes alliées veulent que la paix soit due à une victoire militaire ; nous et tous les travailleurs, que la fin de la guerre soit imposée par le soulèvement du prolétariat des pays en guerre.”(“Sobre la paz dos criterios” (“Deux critères sur la paix”), Solidaridad Obrera , juin 1917).
Il est très important qu’ait eu lieu au sein de la CNT cette polémique très ferme contre les positions favorables à la participation à la guerre émanant du secteur de l’anarchisme dirigé par Kropotkine et Malato (auteurs du fameux Manifeste des 16 où est préconisé le soutien au gang de l’Entente) et qu’une minorité soutenait au sein même de la CNT. La Soli et Tierra y Libertad se prononcent clairement contre le Manifeste des 16 et réfutent systématiquement ses positions. La CNT rompt clairement avec la CGT française, dont la position est qualifiée d’ “orientation tordue, qui n’a pas répondu aux principes internationalistes”.
En 1916, un éditorial de la Soli réaffirme catégoriquement le principe internationaliste : “Quel est le nerf de l’internationalisme ? Karl Marx et Michel Bakounine nous l’ont présenté dans toute sa robustesse. Nous le défendons sans nous préoccuper des conséquences et nous comprenons qu’après la guerre, les principes de l’internationalisme redeviendront le stimulant de la Révolution Sociale (…) Nous, les ouvriers espagnols, nous avons plus d’affinité avec les ouvriers de France, d’Allemagne, de Russie, etc. qu’avec la bourgeoisie compatriote. Celle-ci est notre ennemie, pour laquelle nous ne faisons pas de quartier, et le prolétariat des autres pays, pour défendre des intérêts et des aspirations identiques aux nôtres, est notre allié, notre compatriote dans l’Internationale qui se donne pour but la disparition du régime capitaliste (…). Nous ne pouvons avoir aucune solidarité avec l’État, même pour défendre l’intégrité nationale”.(cité par A. Bar, pages 433-4).
“La CNT face à la révolution russe”
La révolution de février 1917, bien qu’elle ait été considérée comme de nature bourgeoise, fut saluée avec joie : “Les révolutionnaires russes n’ont pas abandonné les intérêts du prolétariat qu’ils représentaient, entre les mains des capitalistes comme l’ont fait les socialistes et les syndicalistes des pays alliés” ; il a été souligné l’importance du “Soviet, c’est-à-dire, le Conseil des ouvriers et des soldats”, qui a opposé son pouvoir à celui de la bourgeoisie représentée par le Gouvernement provisoire, de façon telle que celle-ci “a dû capituler, lui [au Soviet] reconnaître une personnalité propre, accepter sa participation directe et effective… La véritable force réside dans le prolétariat”.[11]
Les soviets sont identifiés aux syndicats révolutionnaires : “Les Soviets représentent aujourd’hui en Russie ce qu’étaient les fédérations ouvrières en Espagne, bien que leur composition soit plus hétérogène que celles-ci, puisqu’ils ne sont pas des organismes de classe bien que la majorité de leurs composants soient ouvriers et dans lesquels ont une influence prépondérante ceux qu’on appelle maximalistes, anarchistes, pacifistes, qui suivent Lénine et Maxime Gorki” (Buenacasa dans la Soli, novembre 1917). Comme nous le verrons dans un prochain article, cette identification entre soviets et syndicats révolutionnaires eut des conséquences négatives ; cependant le plus important est que la forme soviet ait été perçue comme l’expression de la force révolutionnaire du prolétariat international. Le 5e Congrès national des Agriculteurs[12] qui se tint en mai 1917 déterminait clairement la perspective : “le capitalisme et l’État politique se précipitent vers leur ruine ; la guerre actuelle, en provoquant des mouvements révolutionnaires comme celui de Russie et d’autres qui vont lui succéder de façon inévitable, accélère leur chute”.
La Révolution d’Octobre a provoqué un énorme enthousiasme. Elle était vue comme un véritable triomphe du prolétariat. Tierra y Libertad affirmait, dans son numéro du 7 novembre 1917, que “les idées anarchistes ont triomphé” et, dans celui du 21 novembre, que le régime bolchevique était “guidé par l’esprit anarchiste du maximalisme”. La réception, dans cette période, du livre de Lénine L’État et la Révolution a suscité une étude très attentive qui tirait la conclusion que cette brochure “établissait un pont intégrateur entre le marxisme et l’anarchisme”. La Soli affirme dans un éditorial que Octobre est “le chemin à suivre” : “Les russes nous montrent le chemin à suivre. Le peuple russe triomphe : nous apprenons de ses actes pour triompher à notre tour, en arrachant par la force ce qu’on nous refuse et ce qu’on nous a pris”.
Buenacasa, un remarquable militant anarchiste de l’époque, rappelle dans son ouvrage El movimiento obrero espanol 1886-1926 (“Le mouvement ouvrier espagnol “), édité à Barcelone, 1928 : “Qui en Espagne -étant anarchiste – a dédaigné pour lui-même le qualificatif de Bolchevik ?” Dans le but de faire le bilan d’une année de révolution, la Soli publie en première page rien moins qu’un article de Lénine dont le titre est “Un an de dictature prolétarienne : 1917-1918. L’œuvre sociale et économique des Soviets russes”, accompagné d’une note de la Soli dans laquelle est défendue la dictature du prolétariat, signalant l’importance du travail transformateur “que les ouvriers russes ont réalisé dans tous les domaines de la vie en un an seulement, lesquels sont les maîtres du pouvoir”, et les Bolcheviks y sont également qualifiés de héros : “Idéalistes sincères, mais hommes pratiques et réalistes à la fois, le moins que nous puissions désirer c’est qu’en Espagne se produise une transformation au moins aussi profonde qu’en Russie, et pour cela il est nécessaire que les travailleurs espagnols, manuels et intellectuels, suivent l’exemple de ces héros bolcheviques” (Soli, 24 novembre 1918) ; il est ajouté, dans un article d’opinion, que “le bolchevisme représente la fin de la superstition, du dogme, de l’esclavage, de la tyrannie, du crime (…) Le bolchevisme, est la nouvelle vie à laquelle nous aspirons ; c’est la paix, l’harmonie, la justice, l’équité, c’est la vie que nous désirons et que nous imposerons dans le monde”. (J. Viadiu, “Bolcheviks ! Bolcheviks !”, dans Soli , 16 décembre 1918).
Tierra y Libertad, en décembre 1917, en vient même à écrire qu’une révolution, du fait de la nécessité d’une confrontation violente, exige des “dirigeants et de l’autorité”.
Afin qu’il n’y ait aucun doute sur le fait qu’il s’agissait de la position officielle de la CNT, le livre de Bar cité précédemment fait référence à un Manifeste, publié par le Comité national de la CNT à l’occasion de la fin de la guerre mondiale, intitulé : “La paix et la révolution”, qui avait comme sous-titre une consigne de Lénine – “Seul le prolétariat doit être maître du pouvoir” (12 novembre 1918) – dans lequel il était mis en avant que la révolution russe avait aboli la propriété privée, l’exploitation de l’homme par l’homme et avait établi les lois du communisme, la liberté et la justice (page 445).
Dès le début de la révolution, la CNT a reconnu la vague révolutionnaire internationale et a pris parti en faveur de la formation d’une Internationale qui dirigerait la révolution mondiale : “Brisée par la trahison d’une grande partie de ses représentants les plus significatifs, les Première et Seconde Internationale, il faut former la Troisième, à partir de puissantes organisations exclusivement de classe, pour mettre fin, par la révolution, au système capitaliste et à son fidèle soutien, l’État”(Soli, octobre 1918) et dans le Manifeste : “L’Internationale ouvrière, et personne d’autre, doit être celle qui a le dernier mot, celle qui donnera l’ordre et fixera la date de la poursuite de la guerre sociale sur tout le front contre le capitalisme universel, déjà triomphante en Russie et qui s’étendra aux empires centraux. Le tour de l’Espagne viendra aussi. Fatalement pour le capitalisme”.
De la même façon, la CNT a suivi avec le plus grand intérêt les événements révolutionnaires en Allemagne : elle dénonçait la direction social-démocrate comme des “opportunistes, centristes et socialistes nationalistes”, en même temps qu’elle saluait “l’idéologie maximaliste de Spartacus” comme “une projection de celle qui triomphait en Russie et dont l’exemple, comme celui de Russie, était quelque chose qu’il fallait imiter en Espagne”. Le Manifeste de la CNT se référait effectivement aussi à la révolution en Allemagne : “Regardons la Russie, regardons l’Allemagne. imitons ces champions de la Révolution prolétarienne”.
Il est important de noter les débats très intenses au Congrès de la CNT de 1919 qui a discuté séparément deux rapports, l’un sur la révolution russe et l’autre sur la participation à l’IC.
Le premier rapport affirme : “Que la révolution russe incarne, en principe, l’idéal du syndicalisme révolutionnaire. Qu’elle a aboli les privilèges de classe et de caste en donnant le pouvoir au prolétariat, afin qu’il puisse lui-même se procurer le bonheur et le bien-être auxquels il a droit indiscutablement, en instaurant la dictature prolétarienne transitoire afin d’assurer la conquête de la révolution ; (…) [Le Congrès devrait déclarer la CNT unie à celle-ci] inconditionnellement, en la soutenant dans toute la mesure de ses moyens moraux et matériels”[13]. (cité dans A. Bar, page 526).
Un des rapporteurs sur la révolution russe fut très tranchant : “La révolution russe incarne l’idéal du syndicalisme révolutionnaire qui est de donner le pouvoir, tous les éléments de la production et de la socialisation de la richesse au prolétariat ; je suis absolument d’accord avec l’action révolutionnaire russe ; les actes ont plus d’importance que les mots. Une fois que le prolétariat s’est rendu maître du pouvoir, tout ce qu’il aura décidé sera réalisé dans ses différents syndicats et assemblées”. Autre intervention : “Je me propose de démontrer que la révolution russe, en adoptant dès la seconde révolution d’Octobre une réforme complète de son programme socialiste, est d’accord avec l’idéal qu’incarne la CNT espagnole”.
De fait, comme le dit Bar : “Contre la révolution russe, il n’y a pas eu une seule manifestation ; absolument toutes les interventions se sont exprimées sur des tons admiratifs et laudatifs envers l’action révolutionnaire russe… La grande majorité des interventions se sont exprimées clairement en faveur de la révolution russe, soulignant l’identité existant entre les principes et les idéaux de la CNT et ceux incarnés par cette révolution ; le rapport lui-même s’était exprimé dans ce sens”.
Cependant, il n’y avait pas la même unanimité sur la question de l’adhésion à l’Internationale communiste que beaucoup hésitaient à considérer comme le prolongement de la révolution russe et comme un instrument de son extension au niveau mondial et qu’ils considéraient a priori comme un organisme “autoritaire”. Le rapport sur l’adhésion à l’IC lui-même préconisait une Internationale syndicaliste et considérait que l’IC “bien qu’adoptant les méthodes de lutte révolutionnaires, poursuit des buts fondamentalement opposés à l’idéal anti-autoritaire et décentralisateur dans la vie des peuples proclamé par la CNT”.
Concernant l’adhésion à l’IC, le Congrès était divisé. Il y avait trois tendances fondamentales :
– la première, syndicaliste “pure”, considérait l’IC comme un organe politique et bien qu’elle ne lui fût pas hostile, elle préférait organiser une “Internationale syndicaliste révolutionnaire”. Segui – militant qui avait un poids très important dans la CNT de l’époque – sans s’opposer à l’entrée dans celle-ci, voyait plutôt cette entrée comme un “moyen tactique” : “nous sommes partisans de l’entrée dans la Troisième Internationale parce que cela cautionnera notre conduite dans l’appel que la CNT d’Espagne va lancer aux organisations syndicales du monde pour constituer la véritable, l’unique, l’authentique Internationale des travailleurs” (cité dans A. Bar, page 531).
– la seconde tendance se prononçait de façon décidée pour l’entrée dans l’IC et était défendue par Arlandis Buenacasa et Carbo qui considéraient l’Internationale comme le produit et l’émanation de la révolution russe[14].
– la troisième, plus anarchiste, était partisane de collaborer fraternellement mais considérait que l’IC ne partageait pas les principes anarchistes.
La motion approuvée finalement par le Congrès disait :
“Au Congrès :
Le Comité National, comme résumé des idées exposées par les différents camarades qui ont pris la parole dans la session du 17 en se référant au thème de la révolution russe, propose :
Premièrement, que la Confédération Nationale du Travail se déclare un ferme défenseur des principes de la Première Internationale, soutenus par Bakounine.
Deuxièmement, elle déclare adhérer, et provisoirement, à la Troisième Internationale pour le caractère révolutionnaire qui y préside, tandis que s’organise et se tient le Congrès international en Espagne qui doit jeter les bases devant régir la véritable Internationale des travailleurs.
Le Comité Confédéral. Madrid, 17 décembre 1919.”[15]
“Éléments de bilan”
Ce survol nécessairement rapide de la réaction de la CNT face à la Première Guerre mondiale et à la première vague révolutionnaire mondiale démontre de façon frappante la profonde différence entre la CGT française anarcho-syndicaliste et la CNT espagnole de l’époque : alors que la CGT sombre dans la trahison en soutenant l’effort de guerre de la bourgeoisie, la CNT travaille pour la lutte internationaliste contre la guerre et se déclare partie prenante de la révolution russe.
En partie, cette différence est le résultat de la situation spécifique de l’Espagne. Le pays n’est pas impliqué directement dans la guerre, et la CNT n’est donc pas confrontée directement au besoin de prendre position face à l’invasion par exemple ; de même, la tradition nationale en Espagne est évidemment beaucoup moins forte qu’en France où même les révolutionnaires ont tendance à être obnubilés par les traditions de la Grande Révolution française. On peut comparer la situation espagnole à celle de l’Italie qui n’est pas impliquée dans la guerre dès 1914 et où le Parti socialiste reste majoritairement sur des positions de classe.
De même, et contrairement à la CGT française, la CNT n’est pas un syndicat bien établi dans la légalité qui risque de perdre ses fonds et son appareil à cause des mesures d’exception prises en temps de guerre. On peut ici faire un parallèle avec les Bolcheviks en Russie, également aguerris par des années de clandestinité et de répression.
L’internationalisme sans compromis de la CNT en 1914 est la démonstration éclatante de sa nature prolétarienne à l’époque. De même, face à la révolution en Russie et en Allemagne, ce qui la distingue est la capacité d’apprendre du processus révolutionnaire et de la pratique de la classe ouvrière elle-même, à un point qui peut étonner aujourd’hui. Ainsi la CNT prend clairement position pour la révolution sans essayer d’imposer les schémas organisationnels du syndicalisme révolutionnaire (la révolution russe “incarne, en principe, l’idéal du syndicalisme révolutionnaire”) ; elle reconnaît la nécessité de la dictature du prolétariat et se range fermement et explicitement du côté des Bolcheviks. A partir de cette position, il ne fait aucun doute qu’elle a collaboré loyalement et discuté avec un esprit ouvert avec les organisations internationalistes en laissant de côté toute considération sectaire. Les militants de la CNT n’ont pas regardé la révolution russe à travers le prisme du mépris pour le “politique” ou “l’autoritaire” mais en sachant apprécier à travers elle le combat collectif du prolétariat. Ils ont exprimé cette attitude avec un esprit critique sans renoncer en aucune façon à leurs propres convictions. Le comportement prolétarien de la CNT dans la période de 1914-1919 constitue sans aucun doute un des meilleurs apports qui ont émané de la classe ouvrière en Espagne.
Néanmoins, on peut distinguer certaines faiblesses spécifiques au mouvement anarcho-syndicaliste qui pèseront sur le développement ultérieur de la CNT et sur son engagement aux côtés de la révolution en Russie. Il faut souligner que la CNT en 1914 se trouve essentiellement dans la même situation que Monatte, de l’aile internationaliste de la CGT française. Ni les anarcho-syndicalistes, ni les syndicalistes révolutionnaires n’ont réussi à bâtir une Internationale au sein de laquelle pouvait surgir une gauche révolutionnaire comparable à la gauche de la social-démocratie autour de Lénine et de Luxemburg notamment. La référence à l’AIT est une référence historique à une période révolue, qui n’est plus vraiment de mise dans la nouvelle situation. En 1919, la seule Internationale qui existe, c’est la nouvelle Internationale communiste. Le débat dans la CNT sur l’adhésion à l’IC et, notamment, la tendance à lui préférer une Internationale syndicale qui en 1919 n’existait pas (une Internationale syndicale rouge allait être créée en 1921 dans une tentative de concurrencer les syndicats qui avaient soutenu la guerre), sont indicatifs du danger du rejet doctrinaire par les anarchistes de tout ce qui ressemble à la “politique”.
La CNT dans la période de 1914-1919 répondit clairement à partir d’un terrain internationaliste et d’ouverture à l’Internationale communiste (avec l’impulsion active, comme nous venons de le voir, de militants remarquables et de groupes anarchistes). Face à la barbarie de la guerre mondiale qui révélait la menace dans laquelle le capitalisme enfonce l’humanité, face au début de la réponse prolétarienne à la barbarie avec la révolution russe, la CNT a su être avec le prolétariat, avec l’humanité opprimée, avec la lutte pour la transformation révolutionnaire du monde.
L’attitude de la CNT changea radicalement à partir de la moitié des années 1920, où on a observé un net repli vers le syndicalisme, l’apolitisme, le rejet de l’action politique et une attitude fortement sectaire face au marxisme révolutionnaire. Pire encore, lorsqu’on arrive aux années 1930, la CNT n’est plus l’organisation résolument internationaliste et prolétarienne de 1914, elle est devenue l’organisation qui allait participer au gouvernement de la Catalogne et de la République espagnole et, à ce titre, participer au massacre des ouvriers, notamment lors des évènements de 1937.
Comment et pourquoi ce changement s’est opéré sera l’objet des prochains articles de cette série.
RR et CMir – Courant Communiste International
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[1] La résistance face à cette marée réformiste s’exprimait d’un côté, dans l’aile révolutionnaire de la social-démocratie et, de façon plus partielle, dans le syndicalisme révolutionnaire et également dans des secteurs de l’anarchisme.
[2] Revue internationale n°128, “La CNT : naissance du syndicalisme révolutionnaire en Espagne (1910-1913)”
[3] Ce n’est pas l’objet de cet article d’analyser l’évolution du PSOE. Cependant, rappelons que ce parti – comme nous l’avions déjà mis en évidence dans le premier article de cette série – était un des plus à droite de la 2e Internationale ; il souffrait d’une forte dérive opportuniste qui l’a précipité dans les bras du capital. La “Conjuncion Republicano-socialista” de 1919, une alliance électorale bancale qui a fourni un siège électoral à son leader, Pablo Iglesias, fut un des moments clef dans ce processus.
[4] Fabra Ribas, membre du PSOE critique vis-à-vis de la direction mais clairement belliciste, se lamentait du fait que le capital espagnol ne participerait pas à la guerre : “Si la force militaire et navale de l’Espagne avait une valeur effective, si elle pouvait contribuer avec son aide à la défaite du kaiserisme et si l’armée et la marine espagnoles étaient des institutions vraiment nationales, nous serions de fervents partisans de l’intervention armée avec les alliés”. (Extrait de son livre El socialismo y el conflicto europeo (“Le socialisme et le conflit européen”), Valencia, sans date de publication, approximativement à la fin de 1914).
[5] Il mourut le 30 novembre 1914.
[6] Publié dans l’Almanach annuel de Tierra y Libertad (“Terre et Liberté”), janvier 1915. Tierra y Libertad était une revue anarchiste proche des milieux de la CNT.
[7] On peut noter la convergence de ces idées avec celles que défendirent Lénine, Rosa Luxemburg et d’autres militants internationalistes dès le début de la guerre.
[8] Ferrol est une ville industrielle, basée sur les chantiers navals et les arsenaux, avec un prolétariat ancien et combatif.
[9] Ceux-ci purent seulement assister à la première session car ils furent arrêtés par les autorités espagnoles et expulsés immédiatement.
[10]”Que cessent les critiques sur le fait que les socialistes allemands portent la responsabilité, ou les français, que Malato ou Kropotkine étaient des traîtres à l’Internationale. Belligérants et neutres, nous avons notre part de culpabilité dans le conflit pour avoir trahi les principes de l’Internationale”. (Texte de convocation du Congrès publié dans Tierra y Libertad, mars 1915).
[11] Cité dans A. Bar, La CNT en los anos rojos (“La CNT dans les années rouges”), page 438. Ce livre, que nous avons déjà cité dans le premier article de la série sur l’histoire de la CNT, est assez bien documenté.
[12] En étroite relation avec la CNT.
[13] Livre de Bar, cité précédemment, page 526.
[14] La délégation du syndicat de la métallurgie de Valence déclara : “s’il existe une affinité claire et concrète entre la Troisième Internationale et la révolution russe et que la CNT appuie celle-ci, comment pouvons-nous être séparés de cette Troisième Internationale ?”
[15] Il convient d’ajouter que quand, l’été 1920, Kropotkine a envoyé un “Message aux travailleurs des pays d’Europe occidentale”, s’opposant à la révolution russe et aux Bolcheviks, Buenacasa (remarquable militant anarchiste auquel nous avons fait référence précédemment) qui était alors l’éditeur de Solidaridad Obrera à Bilbao et un des porte-parole officiels de la CNT, a dénoncé ce “message” et a pris parti pour la révolution russe, les Bolcheviks et la dictature du prolétariat.
Modé-prudence 3: Contributions multiples ne faisant que reprendre des articles déjà publié sur un autre site:
Cette contribution est mise en débat car elle appartient à un type de contribution à la fois nombreuses et déjà publiées sur d’autre site sur internet. De ce fait, elles tendent à invisibiliser les autres contributions publiées sur le site en occupant démesurément la place des contributions visibles sur le site. Nous demandons donc aux auteurs de ces contributions de procéder plutôt soit par une sorte de « digest » des contributions qu’ils publient (avec les liens vers ces mêmes contributions originales) ou en publiant une seule contribution les résumant.
Le collectif de modération Indymedia Nantes.
Pourquoi ne pas laisser une grande place au réflexion historique et théorique, quand elles sont de qualité…Quand la réflexion n’existe plus dans le milieu dit libertaire on se sert des outils des autres et heureusement qu’ils existent–Il ne viendrais pas à l’idée d’imposer l’arrêt de trop nombreuses contributions sur des sujets purement informationnel date , heure d’action, etccc alors pourquoi cette censure insidieuse envers la longueur des analyses des camarades du CCI…manquerait il le label “Libvertaire” si cher aux mandarins de B17et…
(Je me définis comme communiste libertaire et ne suis pas militant au, CCi je ne ne parle donc ici qu’en mon nom propre)
Je précise que je répond à titre personnel.
Comme c’est indiqué dans la modé-prudence, les contributions envoyé en masse (comme le fait le CCI) tendent à surcharger la colonne “globale”, laissant moins de place aux autres contributions. Nous avons donc décidé d’expérimenter cette solution, qui est de mettre les contrib’ du CCI en débat lorsqu’une de leur contrib’ est déjà dans la colonne globale (elle est validé par la suite).
Je pense que le fait de mettre en débat leur contrib’ n’invibilise pas leur réflexion, au contraire les gens ont tendance à aller voir plus souvent ce qui est en débat que ce qui est validé.
Mais si tu as des propositions concernant ce problème des postes massifs de certains collectif ayant déjà une visibilité sur internet, n’hésite pas à nous en faire part sur la liste.
As tu des statistiques précis sur le fait que les gens vont voir de préférence ce qui est en débat????Il me semble que par économie de temps ce serait plutôt le contraire, sans bien sûr rien affirmer ici…Quant à la validation d’indymedia sur les textes “en masse”, est elle décidé par les modérateurs ou par les lecteurs du site..Si dans une logique de démocratie directe c’est la seconde solution, il me semble difficile de décider quoi que ce soit, étant donné que le mombre d’avis ignorera la totalité des partipants (lecteurs d’indymedia nantes)On arrive ici au même cas de censure décrit plus haut..
Peut -être que la solution serait de consacrer un espace pour les apports théoriques et l’histoire du mouvement ouvrier non exclusivement reservé aux versions libertaires et ouvert à toutes ses tendances…
Bonjour Franck.
Comme Momo, je suis une des modérateur-ice-s d’indy nantes mais je parle ici en mon nom propre.
Je ne pense pas qu’une histoire de statistiques puisse faire comprendre la nécessité que nous avons eut de mettre en place cette modé-prudence, qui, je le rappelle, n’est pas là pour refuser les les contributions, mais permettre une meilleure “ventilation” des articles. Et elle ne concerne évidemment pas que le CCI et il n’y est pas question de la qualité d’un article.
Il se trouve que depuis environ un an, nous avons beaucoup de publications de groupes de pensée qui ont tendance, Fréquemment, il arrivait donc que sur 7 articles visibles dans la colonne, plusieurs provenaient de ces groupes. Avec pour conséquance que les articles d’individu-e-s se voient moins, forcément.
Il me semble donc que lorsqu’un article est une forme d’analyse et fait partie d’un groupe de publication massives, il peut bien attendre une semaine ou deux pour passer dans cette fameuse colonne, puisqu’il n’est pas question ici de le refuser.
On essaye juste de trouver une solution pour que le site reflète plus de diversité.
Tout va bien alors