Néo-cons

C’est fait, on l’est.

Presque trente ans après les Anglais et les Américains (qui en ont redemandé pour 8 ans en 2000, sans doute parce que Reagan n’avait pas eu le temps de déclencher une guerre idiote), ou une décennie après les Italiens et les Espagnols, nous nous essayons à la révolution néo-conservatrice. Par la grâce de notre langue française, ce que les autres appellent néo-cons nous va désormais à merveille. Plutôt vieux que néo, du reste (voir la sociologie du vote Sarko).

Ce n’est pas une surprise. Juste que ça fait quand même très mal. Parce que c’est de l’espoir qui s’en va. L’espoir d’un projet de société où l’humain est privilégié, pas le copinage à paillettes. L’espoir d’une avancée vers plus de solidarité, y compris planétaire compte tenu de la place à part qu’a toujours tenu la France dans l’imaginaire mondial. L’espoir d’une prise de conscience qu’il n’est nul besoin de consommer la planète pour se l’approprier ou en maîtriser les richesses. L’espoir que le seul critère de reconnaissance social ne sera pas l’argent. J’arrête… vous le savez tout ça. Nous partageons la même gueule de bois.

C’est d’autant plus dur à avaler que nous savons qu’il s’agit d’une escroquerie, que derrière le discours « nouveau » de Sarko, nous allons avoir maintenant « le clientélisme chiraquien + la futilité ou l’absence de culture + le refus de tirer les leçons des périodes sombres de notre histoire ». Que nous savons que tous les instincts les plus primaires vont être bientôt récompensés. Au nom du mérite. Mérite d’avoir dénoncé, mérite d’être classé dans les « honnêtes gens », mérite d’avoir baissé la tête devant le plus fort , ou de l’avoir levée, les yeux brillants, parce qu’on aura eu le droit de rencontrer (ou même d’apercevoir) une célébrité. Il suffit de voir le profil personnel des ralliés (Tapie, etc…). J’arrête… vous le savez déjà. Ce n’est pas mon propos.

Je voulais vous parler de résistance ce soir. Résistance parce que nous n’avons pas le droit d’attendre. Pas le droit d’attendre que petit à petit de nouvelles lois nous détruisent. Liberticides d’un côté, libérales de l’autre (les « libéraux » trichent avec les mots en amalgamant libertés fondamentales et libertés d’écraser les autres, au mérite, en glissant les amendements inhumains derrière des lois aux jolis noms, comme les fabricants ou les guerriers donnent des petits noms de code aux armes qu’ils fabriquent ou expérimentent). Résistance parce que nous savons que si l’équipe qui arrive avait été là en 2002 nous serions aujourd’hui en Irak. Résistance dès maintenant parce la France ne bénéficie pas des garanties constitutionnelles qui ont permis à ceux qui ont été néo-cons avant nous d’en sortir. Parce que tout est verrouillé. L’équipe au pouvoir n’aurait pu s’accrocher dans aucun pays d’Europe après de tels gadins électoraux ou politiques (Régionales, Europe, CPE, poursuites par la Justice. Notre président, version Vième République, n’est pas un sage garant de la constitution ou de la tradition du pays, prêt à intervenir dès que le gouvernement devient dangereux ou au contraire est menacé. L’équipe gouvernementale est chez nous choisie par le Président). En Espagne Juan Carlos s’était mis en travers d’une tentative de coup d’état. En Italie, le président constitutionnel a pu empêcher Berlusconi de se transformer insidieusement en Benito.
Nous, nous avons élu Benito. N’attendons pas les prochaines élections pour espérer dire enfin non (la tranche de ceux qui font l’élection de Sarko sera encore plus importante qu’aujourd’hui, pur effet démographique).
Résistance parce que, contrairement à nos amis européens, nous n’avons pas de lois nous protégeant contre l’amalgame entre pouvoir de la Presse et puissances économiques vivant des commandes de l’Etat – ce fut l’erreur de la Gauche de 81 de libérer les médias (grand progrès) sans mettre le garde-fous constitutionnel interdisant qu’on puisse être bétonneur ou marchand d’armes en même temps que patron de Presse trop facilement sensible aux menaces voilées de perdre des marchés publics).
Résistance parce que Sarko a décidé de nous faire revenir aux pires moments de notre histoire, lorsque des policiers venaient chercher des gens parce que leurs noms étaient sur des listes, et ce d’autant plus aisément que ça touchera peu les « bons Français » (au début, parce que certains d’entre nous commenceront à être également poursuivis lorsqu’ils auront décidé de ne pas laisser quelqu’un se faire embarquer ou même maltraiter au motif qu’il n’a pas le faciès ou le nom politiquement corrects).
Résistance, parce qu’il va, par son manque de culture, détruire toute la trame sur laquelle s’est tissée par les alternances successives, telles les navettes d’un métier, la fibre sociale et humaine qui fait notre richesse.
Résistance, parce que ce ne sont pas les nouvelles exonérations offertes aux patrons qui font la force d’une économie, mais l’enthousiasme de ceux qui travaillent, pour améliorer leurs conditions de vie (au-delà du pur « économique »). Parce que les pays qui marchent le mieux économiquement sont aussi ceux qui ont les politiques sociales et d’immigration les plus ouvertes (ce qui n’est pas incompatible avec la sévérité pour les trafiquants et les grands délinquants qui sont pourtant le plus souvent rapidement « reconnus » dès que leur fortune les transforment en « notables »).
Résistance, parce qu’il va essayer de tirer des écrans de fumée avec des mots (comme il l’a fait ce soir >>> Aznar, Berlusconi, Bush, Blair même, ont aussi tenu de beaux discours comme celui-ci lorsqu’ils ont été élus, avant de foncer en Irak ou de mépriser la planète et les autres peuples, en parlant de combattre les tyrannies qu’ils ont un temps soutenu pour les remplacer par d’autres).

Alors, au-delà de l’action politique traditionnelle, partisane ou associative, dont les effets se mesurent sur une échelle de temps incompatible avec les destructions rapides qu’un tel personnage et ses amis vont mettre en œuvre, au-delà de ce que nous pouvons essayer de faire aux législatives de juin pour atténuer le choc, il me paraît important de rappeler à tout moment à M. Sarkozy que nous sommes là, que nous ne laisserons rien passer. Il n’est pas question de contester cette élection. Le programme de celui qui a gagné était pour une fois très clair. Tellement clair qu’il va falloir être vigilant. Parce qu’il va appliquer la partie de son programme qui correspond aux aspirations de son camp et qu’il va être l’objet de vigoureuses pressions pour oublier les beaux discours généreux des soirs de triomphe. Parce qu’en bon libéral, il va teinter ses mesures les plus brutales de l’oripeau des ambitions les plus généreuses.

Monsieur Sarkozy a promis de parler souvent aux Français. Pour affirmer cette vigilance, je vous propose de marteler systématiquement notre présence à chacune de ses futures interventions ou déplacements par des concerts de casseroles, dans les rues ou à nos fenêtres. De nombreux pays, où les citoyens croyaient vivre dans des démocraties solides avant de se retrouver muselés ou abêtis, se sont libérés de gouvernements brutaux ou indignes en rappelant ainsi bruyamment pendant des mois ou des années leur présence de peuples debout. Monsieur Sarkozy doit savoir tout de suite que nous ne laisserons rien passer.
Au-delà du cercle des amis ou des listes qui se sont élargies dans l’urgence citoyenne de ces dernières semaines, j’ai besoin de vous pour faire partager cette idée, pour que les organisations politiques ou associatives organisées la relayent pour l’amplifier.
L’idée peut vous paraître naïve. Il n’est pas question qu’elle se substitue à tous les autres combats, en particulier ceux permettant d’agir dans l’urgence (expulsions, dérives policières, aventures guerrières, etc…). Elle ne remplacera pas la mobilisation pour les prochaines législatives.
Elle est simple et efficace parce qu’elle ne nécessite pas de mobilisations lourdes. Monsieur Sarkozy voudra nous parler aux heures que ses amis des médias lui offriront complaisamment. Nous serons chez nous ou actifs dans notre vie sociale (dans des lieux publics ou chez des amis). Chaque coup sur une casserole ou tout autre tintamarre d’origine métallique ajouté aux autres, discrets ou affirmés, sera un grand rappel à Monsieur Sarkozy (et surtout ses amis) que nous ne les laisserons pas en paix, jamais. Que son discours fut si clair que nous sommes 17 millions à avoir dit « non ». Parce que ce sera aussi une façon de se rappeler que nous ne sommes pas seuls à voir passer chacun dans le coin de nos petites lâchetés ou préoccupations individuelles le train des lois, amendements et décrets insidieux qui vont nous tuer à petit feu (dans nos têtes et dans nos cœurs). Parce que nous aurons besoin de ce signe que nous nous enverrons régulièrement à nous-mêmes : nous sommes toujours là.

Parce qu’il n’y a pas de plus grand désaveu pour un chef d’état que d’être ainsi rappelé publiquement à l’ordre. Comment pourra-t-il être pris au sérieux par ses pairs européens quand les citoyens de son propre pays le feront avec application passer pour un néo-con ?

Cela peut vous paraître précipité, mais il faudra sans doute du temps pour que ce bruit enfle vraiment. Commençons maintenant. Profitons de nos listes et de notre mobilisation du moment. Ca ne peut que faire du bien également, avant les législatives, de faire entendre à la majorité silencieuse ou suiviste que tout n’est pas plié.