Le joker
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Etre abstentionniste n’empêche pas d’essayer de comprendre, bien au contraire, ce qui se passe dans la démarche électoraliste d’une grande partie des citoyens-nes qui vont tout de même aller voter, même s’ils ne se font, pour la plupart, aucune illusion. Une telle démarche nous permet d’évaluer les dégâts causés par le système politique électoral actuel et de prendre conscience de la nécessité de repenser le politique.
La percée politique de François.Bayrou n’est pas simplement due à un effet médiatique. Que les médias amplifient le phénomène, c’est certain, mais à la base il y a des changements de comportements induits par la dégénérescence du milieu de la politique.
L’INSOLUBLE EQUATION
La présence d’un parti majoritaire à Droite et d’un parti majoritaire à Gauche n’est évidemment aucune garantie, malgré les discours, d’une possibilité de changement… Ceci fini par engendre un véritable lassitude civique pouvant déboucher sur le « dégoût de la politique » et finalement sur l’abstention. Il faut dire qu’il faut être particulièrement attentif, voire extralucide pour déceler, sur le fond, des différences de programmes du candidat de Droite et de la candidate de la Gauche.
Certes Bayrou n’apporte rien non plus, mais au niveau formel, et c’est là qu’hélas ça se joue, il rompt la routine… et permet d’imaginer, pour une opinion publique agacée et déboussolée, quelques solutions, plus ou moins miraculeusement, inattendues
Le désir de « rupture » avec celle-ci, imposée par le processus électoral, se fait sentir depuis quelques années. Le premier à en bénéficier a été le Front National…mais, largement et efficacement combattu, il a fait long feu et sa flamme est en passe de redevenir une braise.
L’option Front National, après avoir donné des sueurs froides, est largement relativisée :
– le relookage du FN est insuffisant par rapport à ce qu’il représente,
– tout le monde, et même ses partisans, sait qu’il n’a aucune chance dans ce type d’élection – le 29 avril 2002 a été un test.
– la politique du candidat officiel de la Droite a largement mordu sur son électorat ou du moins sur celles et ceux qui étaient, ou pouvait être attirés par lui.
Le « paramètre Bayrou », lui, permet de faire varier l’ensemble sans jamais le déstabiliser. Avec Bayrou, contrairement qu’avec Le Pen, on peut se donner le grand frisson de la « dissidence » sans prendre trop de risques, ni avec le passé, ni avec le futur… Giscard, en son temps, a su profiter de ce type de situation.
C’est d’ailleurs la force politique, parfois aussi sa faiblesse, du « centre » d’avoir un pied de chaque côté. Ceci est une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour qu’il gagne, encore faut-il que Droite et Gauche n’inspirent plus confiance.
Or c’est bien cela qui se produit aujourd’hui. Le désir de « changement » se heurte à deux formations qui ont parfaitement montré qu’elles en étaient incapables. La gauche de la gauche ne représentant aucune alternative crédible et le FN définitivement barré pour la victoire,… la solution « mi chèvre-mi chou » a sa chance.
L’ILLUSION SECURISANTE DU « CHANGEMENT SANS RISQUE »
Est-ce à dire que Bayrou puissent procéder au « changement » espéré? Bien sûr que non. Par contre il peut donner l’illusion, l’impression du « changement »
Encore faut-il, allez vous dire très justement, que l’on s’entende sur le terme de « changement ».
Or précisément, le « changement », l’idée qu’on en a, sa conception, et encore plus les conditions de sa réalisation, sont extrêmement floues ;… et est pour ces raisons la chose la mieux partagée. En l’absence d’une alternative concrète crédible, le changement est une sorte d’auberge espagnole ou chacun apporte ce que bon lui semble… et à défaut de réellement changer, on va se contenter de brouiller les règles du jeu électoral imposé par les deux principaux partis. On va pouvoir se faire le plaisir enfantin de donner un « coup de pied dans la fourmilière » de la classe politique pour voir les visages défaits de ces êtres arrogants que l’on méprise, le soir des élections… et on appellera ça le « changement » à défaut de pouvoir lui donner un autre contenu … Rappelez vous le soir du 10 mai 1981 !.
François Bayrou n’est certes pas un « homme neuf », mais ce qu’il fait, qui séduit, c’est qu’il prend le risque de s’ « opposer » à la domination des deux partis majoritaires figés, sectaires et jaloux de leurs privilèges… En ce sens il donne l’impression de briser un tabou, de bousculer le jeu ce qui peut prendre, et qui prend, l’allure, l’illusion d’une « voie nouvelle ».
La candidature Bayrou permet à l’électeur, qui n’a aucune perspective sérieuse de changement, de se défausser par rapport aux deux principaux candidats et d’avoir l’impression de faire du neuf ou du moins d’y contribuer.
Mais ne nous y trompons pas, François Bayrou est au changement ce que la mongolfière est à l’exploration spatiale.
Il perturbe le jeu des « chaises musicales » de la politique mais il a les mêmes objectifs et les mêmes recettes que les gestionnaires du système de droite comme de gauche, dont il fait partie. Les opportunistes de tous poils commencent d’ailleurs à retourner leurs vestes… et ce n’est probablement qu’un début… la course au fromage est lancée !
Si François Bayrou accède au pouvoir, seules les cartes seront redistribuées, certainement pas les richesses… Le système marchand restera ce qu’il est, un système d’inégalité et d’exclusion… et cette nouvelle donne n’entravera pas la marche vers un bipartisme, garantie institutionnelle, mais au combien fragile, de la pérennité du système en place.
La montée de Bayrou n’est que le révélateur du piège dans lequel le système a enfermé les électeurs.
Il est le Joker du jeu politique garant du système en place. Il fait partie d’un jeu où ce sont toujours les mêmes qui ramassent les mises. Il fait partie des cartes maîtresses qui peuvent éviter un blocage institutionnel voire, ce qui serait plus grave pour le système, une désertion par les citoyens-nes champ de la politique, c’est-à-dire de l’acceptation des règles d’un jeu qui les gruge systématiquement..
Patrick MIGNARD
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